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L’islam radical, cible des autorités depuis les attentats

Depuis l’instauration de l’état d’urgence, 25 lieux de culte ont été perquisitionnés et plusieurs imams ont été assignés à résidence.

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Publié le 24 novembre 2015 à 00h51, modifié le 26 novembre 2015 à 14h45

Temps de Lecture 5 min.

Une perquisition a été effectuée le 19 novembre dans la mosquée Sunna de Brest mais aucune interpellation n'a eu lieu et aucun document susceptible de constituer une infraction n'aurait été saisi.

Les perquisitions et assignations à résidence se multiplient depuis une semaine en France, dans le cadre de l’état d’urgence. La mouvance ultraorthodoxe musulmane semble être parmi les cibles particulièrement visées par les autorités, de la mosquée Sunna de Brest à la salle de prière Aïcha de Montpellier, en passant par la maison d’édition ariégeoise Nawa ou l’association d’aide aux détenus Sanâbil. Olivier Corel, dit « l’émir blanc » de la filière islamiste d’Artigat, en Ariège, a également été placé en garde à vue, mardi 25 novembre. Il fut le mentor présumé de plusieurs djihadistes toulousains, de Mohamed Merah à Fabien Clain.

« Nous avons un ennemi et il faut le nommer, c’est l’islamisme radical et un des éléments de l’islamisme radical, c’est le salafisme », revendiquait, mercredi 18 novembre, Manuel Valls, à l’Assemblée nationale. L’état d’urgence permet au gouvernement d’agir en dehors de toute procédure judiciaire, dès lors qu’il existe « des raisons sérieuses » de penser que « le comportement » d’une personne « constitue une menace ».

Quelques lieux de culte réputés salafistes ont d’ores et déjà été fermés, à Vénissieux (Rhône) ou dans les Alpes-Maritimes. L’un pour non-respect de règles de sécurité et les autres pour « fonctionnement opaque » et « clandestin ». Du reste, ces mesures d’exception suscitent des réactions contrastées. « On est dans une stratégie d’affichage qui sert une lecture très particulière de la radicalisation, estime Samir Amghar, sociologue et auteur de Le Salafisme d’aujourd’hui (Michalon, 2011). On part du principe que toute expression ultraorthodoxe de l’islam amène nécessairement à une radicalisation violente. »

« Les autorités ratissent extrêmement large. S’il s’agit de trouver des terroristes, on tape à côté », estime Alexandre Piettre

Alexandre Piettre, du Groupe sociétés, religions, laïcités de l’Ecole pratique 
des hautes études, abonde : « Les autorités ratissent extrêmement large, sur la base de soupçons policiers largement tributaires des services du renseignement territorial, qui ne sont pas des spécialistes du fait religieux. S’il s’agit de trouver des terroristes ou ceux qui en font l’apologie, on tape à côté. »

« Il s’agit plus de petites bidouilles »

A la mosquée du port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), perquisitionnée dans la nuit 16 au 17 novembre, l’imam Mesmoudi, un Algérien de 70 ans au français rudimentaire, jure ne pas prêcher « de discours salafiste ou qui vienne du Moyen-Orient ». La police n’aurait rien trouvé en fouillant les lieux qu’un peu plus de 3 000 euros en liquide, de l’argent « personnel que je suis obligé de garder ici parce que ma femme a des problèmes psychiatriques », jure l’imam. Le maire Patrice Leclerc (PCF) confirme : « La police n’a pas trouvé d’élément en lien avec le terrorisme. Il s’agit plus de petites bidouilles, d’argent dont on ne connaît pas l’origine, de salariés pas déclarés… »

A Brest, la perquisition, vendredi 20 novembre, de la mosquée Sunna et du domicile du prêcheur Rachid Abou Houdeyfa, n’a donné lieu à aucune suite judiciaire, indique également la préfecture du Finistère, contactée par Le Monde. C’est notamment une vidéo de 2013 sur YouTube qui l’a déclenchée. Le télévangéliste salafisant Abou Houdeyfa y explique à des enfants qu’« écouter de la musique, c’est un grave péché. C’est écouter le diable ». La préfecture a estimé que « ces propos, avérés et publics, nous permettent de considérer l’imam comme un fondamentaliste ».

Lire aussi le post de blog : Observons l’état d’urgence

A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), enfin, la fouille musclée de la mosquée de la Fraternité, dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 novembre, n’a pas davantage débouché sur des suites judiciaires.

Pour Samir Amghar, les perquisitions de ces dix derniers jours laissent penser à une « confusion » : « Si les personnes visées défendent des valeurs proches des chrétiens intégristes, elles n’ont pas incité des jeunes à partir en Syrie ou à poser des bombes. » Le sociologue insiste : « L’idée de tarir les sources de la radicalisation en endiguant le salafisme et les Frères musulmans dans les quartiers populaires est séduisante. Mais dans les faits, l’islam ultraorthodoxe n’amène pas à de la radicalisation violente. Le djihadisme est au salafisme ce qu’Action directe est à la gauche radicale. Il y a une matrice commune mais des applications différentes. » Alexandre Piettre ajoute : « La violence djihadiste à la mode de Daech vient souvent compléter des trajectoires dans la délinquance. Les référents religieux n’y jouent qu’un rôle d’accessoires. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Récit d’une perquisition musclée dans le Val-d’Oise

Une vision qui n’est pas partagée de tous. Lundi 23 novembre, la députée socialiste de l’Hérault Anne-Yvonne Le Dain se réjouissait de l’assignation à résidence de l’imam montpelliérain Mohamed Khattabi : « C’est un intellectuel brillant mais le jour où il a voulu poser des grillages en bois devant le balcon réservé aux femmes de la mosquée, j’ai compris que c’était un intégriste. » La perquisition au domicile de l’imam « n’a rien donné mais il est prié de rester chez lui, se rassure l’élue. Ça limite sa capacité d’action ». Et de préciser : « Ce qu’il dit n’est pas répréhensible par la loi mais, que je sache, Hitler n’a pas tué de ses propres mains. »

« Mensonges éhontés »

M. A. B., le président de l’association Sanâbil, est lui aussi assigné à résidence depuis le 17 novembre. Dans l’arrêté qui lui a été signifié, le ministère de l’intérieur l’assimile à une « figure emblématique du salafisme », qui aide des « détenus islamistes » et qui a « été impliqué dans une filière d’acheminement vers la Syrie et mis en cause dans plusieurs affaires d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

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Des « mensonges éhontés » conteste l’intéressé, qui invoque son « casier judiciaire vierge ». Il souligne : « Mon association intervient dans le milieu carcéral et tous nos courriers sont ouverts. Et si je recrutais des personnes pour le djihad, pourquoi avoir attendu les attentats pour m’assigner ? » M. A. B. pointe désormais quatre fois par jour au commissariat et l’opérateur téléphonique pour lequel il travaillait depuis dix ans a entrepris de le licencier.

Autour de la maison d’édition Nawa, basée en Ariège et qui prône une vision conservatrice de l’islam, la police a également procédé à des perquisitions. Notamment auprès de son fondateur Soleiman al-Kaabi. Celui-ci imagine que sa proximité géographique avec Artigat, commune où l’une des principales filières djihadistes françaises a pris son essor, n’est pas étrangère à l’intérêt que lui portent les autorités. « J’ai connu Fabien Clain [le djihadiste dont la voix a été identifiée sur une revendication des attentats de Paris par l’Etat islamique] parce qu’il parlait à beaucoup de gens, mais les policiers savent que je ne faisais pas partie de son cercle proche, et que l’on n’avait pas d’affinités idéologiques. » Samedi 21 novembre, pendant dix heures, les policiers « ont copié tout ce qu’il y avait sur mon ordinateur, ils ont photographié toute la maison, fouillé ma bibliothèque… », rapporte-t-il.

Selon le même procédé, le développeur informatique Samir Oueldi a expliqué sur Facebook avoir été réveillé, dans la soirée du jeudi 19 novembre, par une vingtaine de policiers casqués. M. Oueldi est un ancien salarié de Baraka City, une ONG proche des milieux salafistes. Asta Diakité, la jeune cousine du joueur de football Lassana Diarra, était une donatrice de BarakaCity. Un mois avant de mourir dans la fusillade de la rue Bichat, elle avait fait un don pour la Syrie.

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