Procès

Deux anciens gardes d'Auschwitz jugés

Reinhold Hanning et Hubert Zafke ont 94 et 95 ans. La justice allemande estime qu'elle doit ces procès, même tardifs, aux victimes.
par Nathalie Versieux, Berlin, de notre correspondante
publié le 10 février 2016 à 13h13

Plus de 71 ans après la libération d’Auschwitz, la justice allemande se penche à nouveau sur le cas de gardiens du camp de la mort. Jeudi s’ouvre le procès de Reinhold Hanning, 94 ans, ancien gardien d’Auschwitz, jugé devant un tribunal de Detmold (ouest). Trois autres procès distincts se tiendront dans les prochains mois contre deux hommes et une femme, tous âgés de plus de 90 ans et accusés d’avoir coopéré avec les nazis. Aucun de ces quatre inculpés n’avait été inquiété après la guerre. Depuis le procès de John Demjanjuk – gardien ukrainien du camp de Sobibor condamné en 2011 à cinq ans de prison et décédé en 2013 –, la justice allemande semble décidée à juger jusqu’au dernier les seconds couteaux de l’Holocauste. Après des années d’inaction.

Reinhold Hanning, ouvrier d’usine comme son père, a 18 ans lorsqu’il s’enrôle dans la division «Reich» des Waffen SS. Il se bat dans les Balkans, puis en Russie. En janvier 1942, il est muté à Auschwitz. Il y fait partie du commando chargé de la garde du camp. Selon l’acte d’accusation, son unité se rendait également à Birkenau – le site où se trouvaient les chambres à gaz d’Auschwitz – à l’arrivée de chaque train de prisonniers. Les portes des wagons n’étaient ouvertes qu’une fois les gardiens postés en cercle autour du convoi. La plupart des détenus étaient alors immédiatement assassinés. La cellule «crimes nazis» du ministère public de Dortmund, chargé de l’acte d’accusation, est convaincue que Reinhold Hanning était présent à Birkenau lorsque 170 000 prisonniers ont été envoyés dans les chambres à gaz. Hanning n’a jamais contesté avoir travaillé à Auschwitz. Il nie par contre s’être trouvé sur la «rampe de sélection» à l’arrivée des convois.

«Commandos de désinfection»

Hubert Zafke, 95 ans, fils de paysan, sera, lui, jugé à partir du 29 février à Neubrandenburg, dans les environs de Berlin. Sa biographie est également typique de celle de bien des Allemands de sa génération : Jeunesses hitlériennes à 13 ans, enrôlement dans les Waffen SS à 19 ans, envoyé en Union soviétique en 1941. Comme il est le dernier homme vivant de sa famille, Zafke est retiré du front en mai 1942. Il entreprend une formation de secouriste, puis est muté à Auschwitz en octobre 1943. Les infirmiers d’Auschwitz n’avaient pas pour seule mission de soigner le personnel du camp. Ils assistaient également les médecins lors des sélections à l’arrivée des convois et nombre d’entre eux étaient engagés dans les «commandos de désinfection», chargés du maniement du Zyklon B, le gaz des chambres à gaz. La présence de Hubert Zafke à Birkenau est attestée entre août et septembre 1944. Rien qu’au cours de cette période, 14 convois – dont celui dans lequel se trouvait Anne Frank – sont arrivés à Auschwitz. Au moins 3 681 personnes sont immédiatement dirigées vers les chambres à gaz.

Helma Kisser, ancienne télégraphiste de 92 ans et Ernst Tremmel, ancien garde d’Auschwitz de 93 ans, comparaîtront devant un tribunal pour mineurs, du fait de leur jeune âge au moment des faits qui leur sont reprochés. Les quatre accusés risquent entre trois et quinze ans de prison pour «complicité de meurtres aggravés».

Toutes ces inculpations n'auraient pas été possibles sans la ténacité de la cellule de Ludwigsburg, dans le sud-ouest de l'Allemagne, une administration ad hoc créée en 1958 pour traquer les nazis responsables de crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis à l'étranger. 1,6 million de fiches cartonnées tapissent les murs de ce bâtiment officiel entouré de hauts murs et fermé par une porte blindée. C'est là que sont consignés les noms de 692 000 personnes soupçonnées d'avoir participé aux crimes nazis et de témoins. Les documents attestent de trains de déportation, d'exécutions sommaires, de commandos SS. L'allemand juridique côtoie ici le jargon nazi. Dans les documents consignés à Ludwigsburg, un massacre s'appelle «opération d'épuration» et les commandos d'exécution «groupes d'action».

«Nous n’allons pas arrêter en chemin»

Mais pourquoi la justice allemande, souvent accusée d’inaction par le passé, semble-t-elle se réveiller si tardivement ?

Pendant des années, entre 1969 et 2011, les procureurs du pays ont considéré que toute enquête sur les crimes nazis était vouée à l'échec. En 1969, la Cour fédérale de justice, à Karlsruhe, avait en effet rendu un arrêt aux conséquences dramatiques pour les chasseurs de nazis : cette instance suprême de la justice allemande estimait alors que la simple appartenance au personnel des camps ne peut suffire à justifier une condamnation. En clair, la justice ne peut condamner que si la participation de l'accusé à un crime spécifique est prouvée. «Il a aussi manqué la volonté politique de poursuivre les seconds couteaux», regrette Helmut König, professeur en sciences politiques de l'université d'Aix-la-Chapelle.

Tout change avec la condamnation de Demjanjuk. Jusque-là, la justice allemande avait fait preuve d'une clémence gênante envers les anciens nazis, avec 6 656 condamnations depuis 1945. Dans 90% des cas, les peines étaient inférieures à cinq ans. «Avec ce verdict, la justice allemande estime clairement que la machinerie de l'Holocauste n'aurait pu fonctionner sans tous les petits rouages» qu'étaient les gardiens de camp, explique Jens Rommel, procureur et chef de la cellule de Ludwigsburg depuis décembre. Nous voulons montrer que nous n'allons pas arrêter en chemin, nous le devons aux victimes.»

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