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A Mossoul-Ouest, Médecins sans frontières redoute une catastrophe médicale

L’ONG humanitaire alerte sur la saturation des capacités de prise en charge des blessés dans la ville ainsi que dans les camps de réfugiés, où se massent les habitants fuyant les combats.

Propos recueillis par 

Publié le 24 mars 2017 à 15h13, modifié le 24 mars 2017 à 15h14

Temps de Lecture 5 min.

Les habitants de Mossoul-Ouest fuient les combats en direction de l'aéroport, le 8 mars.

Depuis le début de l’offensive militaire pour reprendre Mossoul, en octobre 2016, Médecins sans frontières (MSF) a accru son aide médicale et humanitaire dans la province de Ninive, dans le nord de l’Irak. Au cours des deux derniers mois, l’organisation a reçu plus de 1 800 patients requérant des soins vitaux, dont 1 500 pour des blessures liées au conflit. MSF a ouvert une maternité à Mossoul-Est, où ses équipes ont pris en charge 100 naissances et pratiqué 80 césariennes.

Dans un entretien au Monde, la docteure Isabelle Defourny, directrice des opérations à MSF, alerte sur la saturation des capacités de prise en charge médicale à Mossoul.

Quelle est la situation médicale à Mossoul-Ouest ? Est-elle comparable à ce que vous aviez observé lors de l’offensive dans l’Est ?

Concernant les blessés, nous n’avons pas de chiffres précis, mais on a la nette impression que leur nombre est plus élevé et les blessures plus sévères. Dans notre structure de Hamam Al-Alil [30 kilomètres au sud de Mossoul], nous avons reçu 1 000 blessés de Mossoul-Ouest nécessitant des soins chirurgicaux. C’est un nombre important.

A l’Est, beaucoup de personnes avaient été touchées par des snipers et des balles. A l’Ouest, on a beaucoup de patients qui ont sauté sur des mines, ont été blessés par des tirs de mortier, arrivent avec des brûlures et des membres déchiquetés. Il y a aussi des habitants dont les maisons se sont effondrées sur eux, soit parce qu’elles ont été bombardées soit parce qu’elles ont été touchées par des mortiers.

Notre capacité de prise en charge est aujourd’hui en question. On arrive, nous et les autres organisations présentes, à stabiliser le nombre de blessés, mais il manque dans les environs de Mossoul et de Hamam Al-Alil les capacités en termes de lits d’hospitalisation. Les cas d’extrême urgence sont pris en charge pour éviter le décès, mais on doit les adresser ensuite à d’autres hôpitaux.

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Les cas moins urgents, comme les fractures ouvertes, ne sont pas opérés ou pris en charge dans nos structures. Leur prise en charge peut être très longue. On envoie beaucoup de personnes à Erbil, dont les hôpitaux sont encore en capacité. Mais c’est loin [85 kilomètres à l’est de Mossoul], tous les blessés ne peuvent pas tenir la distance et c’est compliqué pour les gens d’y rester. Il y a de nombreux contrôles de sécurité et beaucoup sont arrêtés.

Notre capacité de réponse est saturée par le volume de blessés qui ne sont pas en danger de mort imminente, en plus des autres besoins médicaux des réfugiés. Hamam Al-Alil accueille déjà 150 000 habitants de Mossoul-Ouest. Sur la route, ce sont des flots continus de cars remplis de personnes qui fuient la ville.

Il va falloir tenir le rythme dans les camps, qui deviennent gigantesques et où les conditions, avec la pluie, ne sont pas extraordinaires et conduisent à de nombreuses affections respiratoires. Pour l’instant, le rythme suit concernant les tentes et la distribution de nourriture, mais pas pour la prise en charge médicale. L’impression que ça donne est d’une énorme catastrophe qui se prépare.

Etes-vous alarmés par les cas de malnutrition parmi la population de Mossoul-Ouest ?

On a vu un peu de malnutrition. Ce n’est pas énorme. Ce sont principalement des petits enfants de moins de six mois. Il n’y a plus de lait maternel dans la ville. Cela montre que le siège est réel. On n’a pas une idée précise des réserves dont ils disposent. On imagine qu’ils ont encore un peu de nourriture. Si ça dure deux à trois mois de plus, ça va devenir difficile.

Des membres de la Mobilisation populaire chiite, distribuent de la nourriture et des cigarettes dans les quartiers de Mossoul-Ouest, le 8 mars 2017.

A quelles autres urgences médicales vos équipes font-elles face ?

Un peu de tout. A Al-Qayyarah [80 kilomètres au sud de Mossoul], nous avons ouvert un hôpital le 15 septembre 2016 avec une salle d’urgence et cinquante lits où l’on fait de la chirurgie générale, de la pédiatrie, des césariennes… Il y a beaucoup de patients âgés qui n’ont pas été soignés pendant près de trois ans et souffrent de complications sévères. L’hôpital est saturé rien qu’avec les besoins des populations qui sont déjà sur place. Et dans la ville, il n’y a quasiment pas de lits d’hospitalisations pour le moment.

Il y a un besoin énorme de prise en charge en santé mentale : choc, syndromes post-traumatiques, des gens qui ne dorment plus, mais aussi des patients avec des maladies psychiatriques ou des psychotiques. Tout le monde est concerné, les enfants comme les adultes. Même dans les camps de l’Anbar [ouest de l’Irak], où les populations sont là depuis plus d’un an, la demande est très forte. Je n’avais jamais vu à ce point-là de besoins en psychologie.

L’est de Mossoul a été libéré en janvier. Deux mois après, quelle est la situation médicale dans la ville ?

La ville est moins détruite que dans l’ouest, donc beaucoup d’habitants sont restés ou revenus. Les services médicaux se mettent en place. Ce n’est pas encore optimal. On y participe avec une grande maternité qui fonctionne bien et des urgences. Mossoul-Ouest risque en revanche d’être extrêmement détruit.

Je suis allée dans les premiers quartiers, qui étaient entièrement détruits. C’est impressionnant : c’est comme à Ramadi [la capitale de l’Anbar, libérée des djihadistes début 2016 après des combats qui ont laissé un champ de ruines]. La population de Mossoul-Ouest est plus pauvre et vulnérable, donc elle n’a pas quitté la ville. Le siège y est plus dur et les combats plus intenses. Ces gens vont certainement devoir passer beaucoup plus de temps dans les camps.

Lors de la bataille de Fallouja, dans la province de l’Anbar, de nombreuses critiques ont été exprimées quant à l’insuffisance de la réponse humanitaire. Qu’en est-il de Mossoul ?

Ce ne sera jamais à la hauteur, car les besoins auxquels on fait face sont énormes. Mais on sent qu’il y a un vrai état de préparation. Les camps se montent rapidement, les gens sont logés, la distribution de nourriture est assurée. Les hôpitaux se montent même si parfois c’est encore avec un peu de retard. Aujourd’hui, on arrive à hospitaliser tout le monde. Les acteurs irakiens sont présents également. Ils remontent leurs hôpitaux. On a beaucoup d’ambulances du ministère de la santé irakien et du Croissant-Rouge.

L’insécurité est un problème important. On a mis du temps à accéder à Al-Qayyarah ou à Hamam Al-Alil. L’atmosphère y est lourde. Il y a des milices chiites partout. Pour l’instant, on est dans une sorte de lune de miel. Tout le monde est concentré sur la reconquête et la délivrance d’aide. L’environnement est hypertendu du fait de la multiplicité d’acteurs militaires et civils, mais il y a une fenêtre pour nous pour travailler.

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