Le long de la N7 #22 : à Parigny, l'aristo de la cornouille

À Parigny, dans la Loire, Alec de Brosses se bat comme un beau diable pour entretenir la demeure familiale. Un asservissement qui autorise quelques fantaisies.

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Alec de Brosse devant le château dont sa famille est propriétaire depuis le XVIIIe siècle.
Alec de Brosse devant le château dont sa famille est propriétaire depuis le XVIIIe siècle. © Clément Pétreault / Le Point

Temps de lecture : 3 min

Difficile de se sentir complètement chez soi avec ses ancêtres enterrés dans la chapelle qui vous narguent sous vos fenêtres. « J'ai parfois l'impression qu'ils me regardent. J'y pense la nuit », raconte Alec de Brossess. Celui que certains au village de Parigny appellent encore « Monsieur le Comte » est attaché – pour ne pas dire enchaîné – à son histoire familiale et à son château, dans la famille depuis 1745. Mais l'entretien d'une bâtisse de 70 pièces exige des moyens démesurés, souvent au-delà de ce dont peut disposer n'importe quel particulier, quand bien même fût-il un temps banquier d'affaires et entrepreneur en Allemagne. Alors, pour tenir le navire à flot, monsieur le comte loue son château du XVIIe et XVIIIe siècle pour des séminaires ou des réunions. Ce qui marche le mieux, ce sont les mariages. L'été venu, des couples heureux peuvent s'avancer majestueusement sur la grande allée, protégée par une voûte arborée et éclairée aux flambeaux. Succès garanti. Le propriétaire loue aussi l'ancienne maison du régisseur comme gîte à la semaine et quelques chambres dans le corps du château, dont la plupart des pièces n'ont pas bougé depuis les années 1920. On ne peut les occuper que l'été, car il y a bien longtemps que le chauffage central a rendu son dernier souffle. Depuis la salle à manger du château d'Ailly, où sont servis les petits déjeuners, les convives peuvent admirer le lac avec son île et distinguer, tout au fond de la propriété, la nationale 7 et ses camions qui filent, à gauche vers Roanne, à droite vers Moulins.

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Les hôtes amateurs de vieilles bâtisses peuvent aussi déguster les confitures à la cornouille fabriquées par le châtelain. « L'arbre cornouiller fleurit très tôt dans l'année et donne de petits fruits au goût de grenadine », explique le jardinier. Mitonner de la confiture de cornouille demande de la patience. Il faut dénoyauter chaque petit fruit un par un. Ils sont peut-être cinq en France à savoir cuisiner la cornouille. Alec de Brosses avait lancé dans les années 1990 un concours pour élire la meilleure recette de cornouille. L'appel avait été diffusé sur une radio nationale et « des ménagères des quatre coins du pays ont envoyé leurs recettes ». Dans le jury chargé d'éplucher la soixantaine de propositions siégeait Pierre Troigros, « capable de lire ces recettes comme des partitions. Un regard lui suffisait pour savoir si la recette pouvait donner un grand plat ou passer complètement à côté du produit », se rappelle l'aristo des confitures. Certains ont l'oreille absolue, d'autres ont le goût.

Un employé à mi-temps pour l'aider à entretenir le château

Aujourd'hui, un employé à mi-temps permet d'aider à l'entretien du château contre vingt-cinq personnes qui faisaient encore tourner le domaine au début du XXe siècle. À l'intérieur du mur d'enceinte de quatre kilomètres vivait ici un véritable village : écuries, porcherie, poulailler, chenils, bûcher, sellerie, forge, cuvage, serre, orangerie, lavoir... Lorsque le vieux jardinier qui avait servi ici pendant quarante ans s'en est allé, pour le remercier de son dévouement et ne jamais oublier les dernières grandes heures du domaine, il a été enterré dans la crypte familiale, près de Charles de Brosses, inventeur du mot « fétichisme » dans l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

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Comme tant d'héritiers de grandes familles, Alec de Brosses cultive une part de fantaisie, revers à peine dissimulé de son classicisme bon teint. Son secret est dissimulé au milieu des arbres du domaine. C'est sa « baignoire des bois », un lieu de méditation où il se délasse et se lave de la mélancolie du quotidien. «  Vous êtes dans l'eau en plein air, et des oiseaux viennent se percher sur le rebord de votre baignoire. Vous entendez les insectes voler et le vent souffler dans les branches. Personne ne vient vous importuner, c'est formidable. » Inutile d'insister, Alec de Brosses ne prête sa baignoire des bois à personne.


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Commentaires (8)

  • Robert du Chiffre

    Et une très belle histoire, digne de St'Benoit

  • Souzy

    Courage très cher, tenez bon, merci au point pour cet article sur la vie difficile des "heureux " propriétaires de demeures familiales.
    Nous gardons rives à nos basques, nos traditions, notre famille, et notre Honneur.

  • Leber07

    La novécriture... Interdit de mettre n°. Faut mettre #.
    Bien triste. Du coup Charles de Brosse doit se retourner dans sa tombe. J'attends avec impatience le sinistre "vs", très tendance, aussi.