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L'intrigant Monsieur Cambadélis

À quelques jours du premier tour de la primaire de la gauche, l'écrivain Philippe Besson a rendu visite au premier secrétaire du PS, rue de Solférino. Entretien avec un capitaine qui navigue entre les icebergs.

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Par Philippe Besson

Publié le 20 janv. 2017 à 01:01

Tandis que je m'approche de la rue de Solférino, où j'ai rendez-vous avec lui, je me demande quel homme je vais trouver. Car enfin ce Monsieur Cambadélis est pour le moins intrigant. Voilà un ancien trotskiste arborant désormais des costumes bien coupés, un ex-leader étudiant qui fait aujourd'hui assaut de manières précieuses et de langage désuet. On a beau vieillir, blanchir sous le harnais, gagner de la sagesse avec l'âge, la métamorphose n'en est pas moins spectaculaire. S'il voulait donner du grain à moudre à ceux qui vomissent la gauche embourgeoisée, les révolutionnaires reconvertis en salonnards, il ne s'y prendrait pas autrement.

Mais là ne réside pas son seul paradoxe. En effet, il est le premier secrétaire d'un parti qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans le marasme et pourtant il croit dur comme fer dans les chances socialistes de remporter l'élection présidentielle. Comme s'il sifflotait entre les dents: «Tout va très bien, Madame la marquise», alors qu'il règne sur des décombres. Ou comme s'il faisait jouer l'orchestre alors qu'il se tient sur la passerelle du Titanic.

Le Titanic, m'y voici justement. Je veux dire: le siège du parti socialiste. Les hautes grilles qui ont vu défiler tant de ténors politiques depuis des années sont toujours lourdes et imposantes. L'accès en a été sécurisé. Une fois la cour traversée, j'aperçois en haut des marches un panneau jaune de sécurité: «Attention sol glissant». Si on avait l'esprit mal tourné, on y verrait un présage. Dans le hall, où je patiente dans l'attente du patron, je remarque, placée là en forme d'hommage, une photo de Mário Soares, l'homme d'État portugais, décédé quelques jours plus tôt. Mais quand les icônes meurent, qui les remplace? Aux murs, des affiches font appel à des volontaires pour les primaires citoyennes. À croire que les petites mains ne se bousculent pas.

La maison est silencieuse; le contraire d'une ruche. Il faut dire que les candidats ont installé leur QG ailleurs: avenue de France dans le xiiie pour Manuel Valls («un QG à l'américaine», précise-t-on), rue du docteur Roux dans le xve pour Montebourg (le désordre y serait la règle), tour Montparnasse pour Benoît Hamon (pour prendre de la hauteur?) et rue de l'Ouest dans le XIVe pour Vincent Peillon (100 m2 en rez-de-chaussée, pas un local de vainqueur, a priori).

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Finalement, je gravis la volée de marches, apercevant les photos en noir et blanc de ceux qui ont dirigé le parti pour être conduit jusqu'à Jean-Christophe Cambadélis. Il se présente en costume sombre, le cheveu parfaitement gominé, l'oeil vif et le sourire en coin, prêt à séduire son interlocuteur. Ma première question est des plus simples: «Comment ça va?» En s'asseyant dans un des fauteuils rouges de son vaste bureau blanc, il s'esclaffe: «Jusque-là tout va bien !» En général, la réplique qui suit, c'est: «Le plus dur, ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage...» Il ne la prononce pas, mais il me semble la deviner.

Il embraye aussitôt sur la présidentielle, sans que j'aie rien demandé, convaincu d'avoir deviné le sens implicite de mon interrogation: «Toutes les élections ont un favori et un champion. Pas cette fois-ci. Les favoris sont défaits les uns après les autres et le champion n'est pas perceptible. Il y a un scepticisme citoyen. Les médias jouent leur rôle de loterie, avec des engouements successifs et passagers, c'est Noël au balcon, Pâques au tison. Le match n'est pas plié, tout se jouera dans la dernière ligne droite, il faudra aller la chercher avec les dents, cette élection.» Conviction sincère ou méthode Coué? Il assure vouloir se méfier des analyses paresseuses.

Une jeunesse trotskiste turbulente

L'analyse, justement, elle demeure son «péché mignon». C'est ce qui lui reste d'abord de son passé trotskiste: «Il est vrai qu'on préférait l'analyse politique à l'action. On cultivait la science du rapport de force. On pratiquait la conceptualisation des combats.» Que subsiste-t-il d'autre de sa jeunesse turbulente? «L'indignation vis-à-vis de la relégation, de la précarité.» Je lui fais observer que Gérard Filoche, qui a partagé ses combats d'alors, l'a décrit autrement: «Camba était déjà un peu brutal et un peu sectaire et pas démocratique.» Il corrige, sans marquer le moindre sentiment, sans hausser la voix. «Je n'ai jamais reculé. Ça tient à ma carrure, peut-être. Mais pas seulement. Il faut être de marbre et oui, parfois, avoir des formules un peu brutales. L'époque l'était. Par ailleurs, j'ai réunifié toutes les chapelles estudiantines, je ne suis donc pas sectaire, j'ai le goût du rassemblement. Filoche m'en veut parce qu'il ne s'est pas qualifié pour la primaire, mais ce sont ses camarades frondeurs qui n'ont pas voulu de lui. Ils auraient pu lui fournir les signatures nécessaires, ils ne l'ont pas fait.»

À l'écouter, je comprends mieux pourquoi Jean-Christophe Cambadélis a été repéré, en son temps, par Pierre Lambert, patron des trotskistes, pour ses qualités d'orateur et d'organisateur. À l'évidence, elles ne l'ont pas quitté. «Je crois à l'importance du verbe. Je suis un gaucher contrarié. On m'a attaché le bras gauche dans le dos afin que j'écrive de la main droite. J'ai développé une dyslexie et une dysorthographie terribles. Un handicap dans mon rapport au monde. Pour le surmonter, j'ai misé sur la lecture et sur la parole. Et puis j'aurais aimé être acteur. Je disais: «Gérard Philipe ou rien». J'ai monté une troupe de théâtre. Mais je suis tombé dans le chaudron politique, ça ne s'est pas fait.»

Il admet volontiers également son goût pour l'organisation: «Je ne veux pas me laisser manger par la spontanéité des événements. La politique est un art d'exécution. Il faut être capable de structurer pour agir.» On lui prête une faculté à mettre les bras dans le cambouis, à se salir les mains, à monter des coups. Un parfum de soufre l'accompagne. En a-t-il conscience? Il me livre l'explication fournie par le communicant Stéphane Fouks qui lui dit: «Tu gagnes toujours. Or on n'aime pas les gens qui gagnent toujours. Ce n'est pas naturel. Il y a forcément quelque maléfice derrière tout ça.»

Et les affaires judiciaires? (il a été condamné pour emploi fictif dans l'affaire Agos en 2000, puis, en 2006, dans l'affaire de la Mnef.) Elles expliquent peut-être aussi cette réputation, non? Il balaie l'accusation: «Les Français ont compris que ce n'était pas pour m'enrichir. En réalité, les gens autour de Chirac avaient trouvé ce pare-feu pour affaiblir Jospin.» Il n'aurait donc été que le dommage collatéral d'une guerre au sommet de l'État. Il se rappelle néanmoins «une campagne extrêmement violente, des photos horribles en une de «Libération». Cela ne m'a pas empêché d'être réélu.» Le jugement des électeurs lave de tous les péchés. Il ajoute: «Avant ces condamnations, j'étais insouciant. J'ai mieux compris que la vie politique était féroce.» On l'imagine mal en naïf mais après tout, pourquoi pas? Il insiste: «J'ai mieux perçu la jalousie, l'inconstance humaine, la couardise. Je suis devenu encore plus prudent.»

Prudent? L'adjectif a de quoi faire sursauter quand on connaît son long compagnonnage avec DSK. Il savait que ce dernier aimait les femmes, mais ignorait «quelles proportions cela prenait, et qu'il s'agissait d'une addiction.» S'il refuse tout jugement moral, il admet que «la sexualité devient un problème quand elle peut vous être reprochée dans un combat politique.» Du reste, avant son départ au FMI, il a prévenu celui qui s'apprêtait à en prendre la direction: «Je lui ai dit, ça ne peut pas être «Tel est mon bon plaisir». Il m'a assuré que c'était terminé. Je l'ai cru».

Cet épisode appartient à un passé révolu. Aujourd'hui, Jean-Christophe Cambadélis est à la tête du parti socialiste. «Pourtant, cela me semblait une perspective inatteignable, assure-t-il. Regardez au mur de ce bureau, je fais face à la photo de Jaurès quand même!» Il prétend que son accession au poste de premier secrétaire ne lui a pas semblé une revanche, n'a même pas eu le goût d'un accomplissement: «J'ai pris tout de suite la mesure du défi qui m'attendait, des échéances difficiles dont je sortirais éreinté.» Sauf que tenir la boutique ça se résume à se livrer à de subtils jeux d'appareils et à gérer des ego blessés, non? «Oui, c'est ça aussi, concède-t-il, il y a des rapports de force, des espoirs déçus, mais comme dans toute entreprise humaine, pas plus pas moins.»

L'important: la primaire citoyenne

Il en profite pour réitérer son ambition d'un PS à 500000 adhérents (contre 120000 officiels en 2016). L'espoir le ferait-il vivre? «On va réaliser cet objectif! Je pense le dépassement du PS, philosophe-t-il. J'ai voulu les primaires dans ce but. C'est fini de toute façon l'époque des partis armés, des militants encartés. On aura des militants voyageurs.» On se demande s'il n'est pas un peu déconnecté des réalités. Il s'en amuse: «Je peux avoir un côté agaçant pour certains parce que je suis inébranlable, parce que je refuse les idées du moment.» Et il se pose aussitôt en défenseur du parti: «Nous n'avons pas de dettes. Nous allons offrir 8 millions à notre candidat pour sa campagne de premier tour, 4 millions de plus pour le second quand d'autres empruntent en Russie. Nous sommes implantés dans tous les cantons, nous dirigeons des départements, des régions. Nous ne sommes pas menacés de mort!» Il s'agace de l'acharnement médiatique dont il estime la famille socialiste victime pour le balayer tout aussitôt d'un revers de main: «Comme me le disait Mitterrand, quand je lui rendais visite le soir à l'Elysée, il n'y a rien de plus vieux que le journal de la veille.»

Pour l'heure, la grande histoire, bien sûr, c'est la primaire citoyenne. Il escompte que 1,5 à 2 millions de personnes se déplaceront dans les bureaux de vote. Et tacle au passage: «Avant l'été, on nous parlait de 600000 électeurs seulement. Tout le monde a déjà oublié. Nous, on a travaillé.» On verra. Il ne fera pas connaître sa préférence, mais n'hésite pas à donner son opinion sur chacun des impétrants. Et chaque portrait est presque invariablement un inventaire des qualités qui s'achève par une pichenette.

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Benoît Hamon? «Il est parti de loin, mais il a une offre politique, un appétit, une décontraction. Il mène une campagne dynamique, cohérente. Le vent semble tourner en sa faveur. Il peut convaincre cette gauche du parti qui recueille traditionnellement 30% des suffrages dans nos congrès. Il peut créer la surprise. Mais soyons prudents. Souvenez-vous de Bruno Le Maire à droite.»

Vincent Peillon? «J'ai beaucoup d'estime et de respect pour lui. Je crois vraiment qu'il y est allé parce que Hollande a renoncé. Mais il souffre d'un manque de notoriété et il est un peu dans l'improvisation.»

Arnaud Montebourg? «C'est un personnage. Son problème, c'est qu'il a perdu son Graal, l'anti-hollandisme.» Qu'a-t-il pensé des déclarations embarrassées de l'ancien ministre du Redressement productif sur son casier judiciaire? «Edwy Plenel [directeur du site Mediapart, NDLR] les lui a soutirées. Plenel a lancé une fatwa sur moi depuis longtemps.» Les vieilles querelles ne sont jamais loin.

Et Manuel Valls? «Avant son départ en campagne, on disait qu'il ne pouvait pas rassembler la gauche parce qu'il avait utilisé le 49-3. Il y renonce et le préjugé perdure, c'est curieux, non? Le préjugé est plus fort que la proposition, c'est dommage.» On croit comprendre pour qui bat le coeur du premier secrétaire.

Je lui fais remarquer que l'éparpillement des candidatures au sein de la gauche la condamne à ne pas figurer au second tour. Il s'en désole. Et estime que des discussions devraient s'ouvrir à l'issue de la primaire pour traiter la question de ce trop-plein. Néanmoins, il ne croit guère au retrait d'un ou plusieurs candidats.

Il en profite pour se payer ceux qu'il a traités de «galopins».«Mélenchon connaît son histoire de la gauche, le mouvement ouvrier, il sait parfaitement ce qu'il fait, il veut casser le PS, nous passer devant pour recomposer la vie politique de ce côté de l'échiquier. Macron n'a pas cette culture, ne parle pas cette langue, il n'a que mépris pour ce que nous représentons, les militants, les responsables locaux, les élus. Il trace sa route. Il n'est pas tellurique.» Façon de dire qu'il est une planète gazeuse, probablement...

Et en face, côté Les républicains? «Fillon est un honnête homme. Malgré ses châteaux cachés. Je le crois passionné par la France. Mais lui qui a été séguiniste, bonapartiste social, s'est inventé un personnage de conservateur catho pour remporter la primaire de la droite. Et maintenant, il est coincé dans une armure qu'il ne peut plus fendre.» Il y revient: «Donc, cette présidentielle nous réservera des surprises. Elle se joue à l'aveugle.» Mais si la gauche perd, que deviendra le PS? «Un parti d'opposition.» C'est aussi simple que ça?

Et lui, Jean-Christophe Cambadélis, a-t-il réfléchi à son avenir, alors qu'on assure que le vainqueur de la primaire voudra récupérer son poste dès l'été prochain? Il laisse passer quelques secondes, planer un silence puis me lance avec un sourire gourmand: «Je ne suis pas encore parti.» On le croit sur parole.

Quarante-cinq ans d'appareil

14 août 1951 Naissance à Neuilly-sur-Seine. Père diamantaire grec, mère employée à la Banque de France. 1969 Adhésion à l'Alliance des jeunes pour le socialisme (AJS), la structure jeune de l'Organisation communiste internationaliste (OCI), trotskiste.1977 Président du syndicat étudiant Unef.1986 Rompt avec le PCI et rejoint le parti socialiste.1988-93 Député de Paris, réélu sans discontinuer depuis 1997.1988 Membre de l'équipe de campagne de François Mitterrand pour sa réélection.2006 Condamné à six mois de prison avec sursis dans l'affaire emplois fictifs de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef).15 avril 2014 Devient premier secrétaire du PS en remplacement de Harlem Désir, entré au gouvernement Valls, puis élu par les militants.13 avril 2016 Lance la Belle Alliance populaire, destinée à fédérer la gauche.

Par Philippe Besson

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