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Malgré le froid, certains sans-abri demeurent réticents à l’hébergement d’urgence

Le plan grand froid, mis en place lundi 16 janvier, prévoit 10 000 places supplémentaires temporaires alors que les hébergements disponibles se font rares.

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Publié le 18 janvier 2017 à 06h46, modifié le 18 janvier 2017 à 10h03

Temps de Lecture 5 min.

Alors que la France fait face à la pire vague de froid depuis cinq ans, les associations d’aide aux sans-abri sont particulièrement mobilisées. L’attention médiatique pour les SDF déclenchée chaque année par la chute du thermomètre agace d’ailleurs un peu les bénévoles et les travailleurs sociaux : « Ce n’est pas le froid qui tue, c’est la rue », rappelle Maya Allan, épidémiologiste pour le collectif Les morts de la rue, qui, en 2015, recensait 510 morts.

« En réalité, c’est six fois plus selon nous, soit 3 000 morts par an, dont la moyenne d’âge est de 49 ans et après dix ans de vie dehors. Mais seuls 1 % de ces décès sont dus à l’hypothermie. Il y a bien un peu plus de morts durant la période hivernale, environ 13 %, la même surmortalité que dans l’ensemble de la population », précise-t-elle.

La situation est d’autant plus critique cet hiver que le 115, numéro de téléphone pour obtenir un hébergement d’urgence, ne répond presque plus. Dans son dernier baromètre réalisé pour le mois de novembre 2016, la Fédération des acteurs de la solidarité observe que, hors Paris, 34 % seulement des 24 375 demandes ont abouti à une proposition d’hébergement ; un chiffre qui tombe à 30 % chez les jeunes hommes de 18 à 25 ans, la priorité étant donnée aux familles et aux femmes avec enfants.

A Paris, la situation est plus critique encore : le nombre de demandes atteint, au cours du même mois, 30 899, soit 15 % de plus qu’en novembre 2015 ; 57,5 % de plus émanent de familles. Parallèlement, le taux de réponses positives a fortement chuté, passant de 40,5 % à 27 %.

« Nous n’appelons plus le 115, c’est du temps perdu », confie Marie-Laurence Sassine, responsable d’Itinérances (association Aurore), lieu d’accueil de jour situé boulevard Magenta, dans le 10e arrondissement de Paris. Ici viennent les jeunes, entre 18 et 30 ans, qui dorment dans la rue, des squats, des cages d’escalier, le métro : partout sauf dans les centres d’hébergement tous saturés. Ils y trouvent un lieu pour dormir, prendre une douche, et, s’ils le souhaitent, un soutien pour démarrer un processus d’insertion.

« Besoin de stabilité »

Depuis qu’il a rompu avec sa famille, il y a un an, Axel, turban bleu de sikh sur la tête, n’a passé que quelques nuits au Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, l’un des rares à ne pas avoir été modernisé comme les autres structures désormais rénovées et équipées de chambres pour quatre personnes, avec salle d’eau. « A Nanterre, il n’y a que des vieux déglingués, témoigne Axel. C’est un vrai mouroir et, en plus, j’ai eu une altercation avec le responsable… J’ai préféré me débrouiller seul. » Lorsqu’il fait la manche près des Champs-Elysées, le jeune homme gagne, dans la journée, de quoi s’offrir l’hôtel. Giovanni, quatre ans de galère, ne s’est pas non plus éternisé au CASH de Nanterre ; il préfère ses « spots », comme il dit, ses squats.

« Pour ces jeunes gens, la rue, c’est d’abord le choix d’être en marge, souvent en groupe, analyse Marie-Laurence Sassine. Et même quand ce choix n’en est plus un, il reste le désir de ne pas être contraint par des horaires, la collectivité, la promiscuité ou la nécessité de quitter ses animaux, comme c’est le cas dans les centres d’accueil. »

« Les hébergements proposés ne le sont que pour quelques jours et on ballotte les gens d’un bout à l’autre de l’Ile-de-France, renchérit Nicolas Clément, président du collectif Les morts de la rue et bénévole au Secours catholique. Beaucoup ne veulent pas quitter leur bout de trottoir de peur de perdre leur place et le peu d’affaires qu’ils conservent, mais aussi de couper les liens qu’ils ont pu nouer avec les riverains, les commerçants. Ils ont besoin de stabilité et on ne la leur offre pas. »

Séjour « de rupture »

Même lorsque quelques milliers de places supplémentaires sont ouvertes, notamment dans des gymnases, comme c’est le cas dans le cadre du plan grand froid activé depuis lundi 16 janvier, certains sans-abri restent rétifs à l’hébergement d’urgence. Pour les plus désocialisés d’entre eux, les travailleurs sociaux savent qu’il faut un patient travail d’approche et de mise en confiance pour les amener à l’idée même de rejoindre la société. Ils s’en tiennent à distance et, parfois, le fait de rester sale et malodorant est une façon de prolonger cette situation : « Je me souviens d’un monsieur qui, au cours de nos maraudes, appréciait beaucoup de parler des films, des musiques qu’il aimait, mais refusait tout de nous, raconte Moussa Djimera, coordonnateur des maraudes de l’association Aurore dans les secteurs est et ouest de Paris. J’ai réussi à le convaincre de prendre un café avec moi et faire ensemble les deux cents mètres jusqu’au bistrot était déjà une grande victoire. »

Les bénévoles qui arpentent les rues jour et nuit connaissent bien ce public de sédentaires de la rue, rétifs à tout changement, qui ont parfois vécu de rudes expériences dans les centres d’hébergement, des agressions, des violences.

« Un SDF de longue date, plus de dix ans, rencontré dans une rue du 16e arrondissement, a émis un seul souhait : manger un McDo, poursuit M. Djimera. Je lui ai dit “d’accord, mais dans le restaurant” et j’ai vu dans son regard que cela lui paraissait impossible, vu son état de saleté. Le lendemain, nous l’avons emmené prendre une douche ; il s’est rasé, coiffé, habillé de propre et nous sommes allés au McDo… non sans faire un crochet par notre centre d’hébergement de l’ancien hôpital Saint-Vincent, à Denfert-Rochereau. Il a vu que c’était accueillant, confortable, et que cela n’avait rien à voir avec ce qu’il connaissait. Après le restaurant, il a accepté de s’y installer. »

Une autre stratégie est le séjour dit de rupture : emmener le SDF en vacances ou à la campagne chez un agriculteur partenaire. « Cela a fonctionné avec cinq Polonais qui stationnaient sur une bouche d’air chaud devant le Musée Guimet, place d’Iéna, dans le chic 16arrondissement, se souvient M. Djimera. Nous sommes allés pique-niquer, nous promener en bord de mer, c’était sympa, on a bien rigolé. Ensuite, on a réussi à les reloger tous les cinq ensemble, car ils ne voulaient pas être séparés, dans le nouveau centre en lisière du bois de Boulogne : ils sont ainsi restés dans leur arrondissement. Je les ai revus devant le musée, mais pas par terre, sur un banc. Ces ruptures, c’est très efficace, ça devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Ensuite, on peut commencer à parler démarches administratives et insertion. Pas avant. »

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