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Calais : la centaine de naufragés du démantèlement est désemparée

Une centaine de migrants, dont beaucoup de mineurs, n’ont pas eu de places dans les bus qui ont évacué la très grosse majorité vers des centres d’accueil à travers la France.

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Publié le 28 octobre 2016 à 01h36, modifié le 24 avril 2017 à 08h30

Temps de Lecture 5 min.

Des migrants marchent au coucher du soleil dans la jungle de Calais, le 27 octobre 2016.

Ahmad relève la capuche de son anorak noir. Il a froid et presque envie de pleurer. Le jeune Afghan de 17 ans ne sait pas trop comment il se retrouve jeudi en soirée, rue des Mouettes, à Calais, sans solution ni pour la nuit ni pour le lendemain.

Tout l’après-midi, il est resté assis, seul, dans cette rue, à 100 mètres de la sortie de la jungle où il vient de passer neuf mois. Devant lui, un cordon de CRS le bloque pour rejoindre le centre de transit, dit « le sas », d’où il croyait que les bus partaient encore. « Depuis 11 heures ce matin, j’attends un bus qui devrait m’emmener loin de tout ça, mais je doute de plus en plus », confie-t-il vers 16 heures.

La veille, Ahmad a passé la nuit devant le centre d’enregistrement, qui a baissé le rideau pour ne plus le relever. Puis, chassé par les CRS, il est venu s’asseoir sous le pont à la sortie de la jungle, du côté des Afghans, ses « frères » comme il dit. « Je ne comprends rien. Chaque fois que j’ai voulu m’enregistrer, pour partir loin d’ici, je n’ai pas pu. Maintenant je ne sais pas ce qu’il va m’arriver », ajoutait-il jeudi soir.

Bien sûr l’évacuation de la jungle de Calais a commencé lundi matin à 8 heures. Mais ce jour-là, Ahmad n’était pas prêt à partir ; comme beaucoup de membres de sa communauté. Mardi il est venu, « mais il y avait trop de monde ». Mercredi, il ne sait plus trop et jeudi, le sas a terminé les enregistrements avant que ce ne soit son tour, explique-t-il.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés La longue fin de la « jungle » de Calais

Perdu dans le temps

Ahmad est perdu, exténué. Son rapport au temps semble assez flou. Au point qu’il ne sache plus très bien quand il a quitté l’Afghanistan pour rejoindre sa sœur en Grande-Bretagne. « Ça fait tellement longtemps que je ne sais plus vraiment. Je me suis arrêté en Iran où j’ai travaillé dans une briqueterie. Et puis, quand j’ai eu assez d’argent, je suis reparti », poursuit-il. « A Calais, j’ai vraiment pas eu de chance. Tous mes copains sont passés en Grande-Bretagne et pas moi. Je me suis fait prendre plusieurs fois caché dans les camions. J’en ai marre, madame, de cette vie… », poursuivait-il en traînant ses baskets blanches vers l’école laïque des Dunes, à 19 heures jeudi.

Juste avant, il avait compris qu’encore une fois il n’était pas dans la bonne file. Comme la centaine de migrants qui attendaient pour un centre d’accueil et d’orientation un bus qui n’est jamais venu. Jeudi, huit bus sur les dix mis en réserve, transportant en tout 226 majeurs et 16 mineurs, sont pourtant encore partis de Calais, selon Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). « Je suis resté assis sous le pont du matin jusqu’au milieu de l’après-midi, explique Ahmad qui n’a rien compris. Ensuite, les policiers nous ont demandé d’aller rue des Mouettes. Et des humanitaires nous disaient encore que nous aurions un bus. » Mais aucun n’est venu.

  • « C’est vraiment aujourd’hui la fin de la “jungle”, il n’y a plus personne sur le camp », a répété, mercredi 26 octobre, le soir, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio. « Notre mission est remplie [et] une page se tourn » pour ces migrants qui « vont pouvoir commencer une nouvelle vie » en France, avait-elle dit quelques heures plus tôt.

    « C’est vraiment aujourd’hui la fin de la “jungle”, il n’y a plus personne sur le camp », a répété, mercredi 26 octobre, le soir, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio. « Notre mission est remplie [et] une page se tourn » pour ces migrants qui « vont pouvoir commencer une nouvelle vie » en France, avait-elle dit quelques heures plus tôt. MATT DUNHAM / AP

  • En trois jours, près de 5 600 migrants (principalement d’origines soudanaise, afghane et érythréenne) ont été « mis à l’abri », selon le gouvernement, dont certains dans des conteneurs à l’intérieur de la « jungle ». C’est un peu moins que le nombre de personnes recensées sur le camp mentionné ces derniers jours encore par l’Etat (6 400).

    En trois jours, près de 5 600 migrants (principalement d’origines soudanaise, afghane et érythréenne) ont été « mis à l’abri », selon le gouvernement, dont certains dans des conteneurs à l’intérieur de la « jungle ». C’est un peu moins que le nombre de personnes recensées sur le camp mentionné ces derniers jours encore par l’Etat (6 400). THIBAULT CAMUS / AP

  • Peu avant 20 heures, mercredi 26 octobre, le site était quasiment désert et seuls quelques migrants erraient dans le campement, qui n’était pas bouclé par les forces de l’ordre.

    Peu avant 20 heures, mercredi 26 octobre, le site était quasiment désert et seuls quelques migrants erraient dans le campement, qui n’était pas bouclé par les forces de l’ordre. MATT DUNHAM / AP

  • L’Etat compte sur le déblaiement massif de la « jungle » dès jeudi pour dissuader toute tentative de continuer à y séjourner.

    L’Etat compte sur le déblaiement massif de la « jungle » dès jeudi pour dissuader toute tentative de continuer à y séjourner. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

  • Certains migrants ne se résignaient pas à partir en centre d’accueil et d’orientation (CAO). « Je vais finir dans la rue. Ça va être le destin de beaucoup d’entre nous. Je pense que même si la “jungle” brûle, certains reviendront ici, où au moins on a une possibilité de tenter notre chance en Grande-Bretagne », affirmait Rami, un Soudanais de 27 ans.

    Certains migrants ne se résignaient pas à partir en centre d’accueil et d’orientation (CAO). « Je vais finir dans la rue. Ça va être le destin de beaucoup d’entre nous. Je pense que même si la “jungle” brûle, certains reviendront ici, où au moins on a une possibilité de tenter notre chance en Grande-Bretagne », affirmait Rami, un Soudanais de 27 ans. THIBAUT CAMUS/ AP

  • Difficile de savoir le sort qui sera réservé à ceux qui s’accrochent à la « jungle » et refusent le départ en bus vers un CAO à l’autre bout du pays. Ces « ders des ders » pourraient être délogés par les pelleteuses plus que par la police, que la préfète ne souhaite pas faire entrer dans le camp.

    Difficile de savoir le sort qui sera réservé à ceux qui s’accrochent à la « jungle » et refusent le départ en bus vers un CAO à l’autre bout du pays. Ces « ders des ders » pourraient être délogés par les pelleteuses plus que par la police, que la préfète ne souhaite pas faire entrer dans le camp. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

  • Juste au bord de la « jungle », le Centre d’accueil provisoire (CAP), qui compte 1 500 places dans des conteneurs et n’héberge plus que des mineurs, affiche complet.

    Juste au bord de la « jungle », le Centre d’accueil provisoire (CAP), qui compte 1 500 places dans des conteneurs et n’héberge plus que des mineurs, affiche complet. MATT DURHAM/ AP

  • Dans la soirée de mercredi, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, a pris acte de cette situation et a assuré au « Monde » qu’une « dizaine » de CAO pour mineurs isolés allaient être ouverts en France.

    Dans la soirée de mercredi, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, a pris acte de cette situation et a assuré au « Monde » qu’une « dizaine » de CAO pour mineurs isolés allaient être ouverts en France. MATT DUNHAM / AP

  • Avant la tombée de la nuit, la « jungle » offrait un visage d’apocalypse, après les multiples incendies de l’après-midi. Il semble que certains aient été allumés par des Afghans. « Ils sont en colère parce que la “jungle” est finie et qu’ils n’ont pas réussi à aller en Angleterre », commentait Yones, un Erythréen de 17 ans.

    Avant la tombée de la nuit, la « jungle » offrait un visage d’apocalypse, après les multiples incendies de l’après-midi. Il semble que certains aient été allumés par des Afghans. « Ils sont en colère parce que la “jungle” est finie et qu’ils n’ont pas réussi à aller en Angleterre », commentait Yones, un Erythréen de 17 ans. MATT DUNHAM / AP

  • « Pour certains migrants, il s’agit d’une coutume de mettre le feu à leur habitation lorsqu’ils sont amenés à la quitter », a commenté de son côté un porte-parole de la préfecture. Un responsable de l’Auberge des migrants développe : « La raison principale c’est que les réfugiés eux-mêmes, quand ils quittent leurs cabanes, préfèrent mettre le feu plutôt qu’attendre que la police les détruisent. […] C’est une question de dignité. »

    « Pour certains migrants, il s’agit d’une coutume de mettre le feu à leur habitation lorsqu’ils sont amenés à la quitter », a commenté de son côté un porte-parole de la préfecture. Un responsable de l’Auberge des migrants développe : « La raison principale c’est que les réfugiés eux-mêmes, quand ils quittent leurs cabanes, préfèrent mettre le feu plutôt qu’attendre que la police les détruisent. […] C’est une question de dignité. » PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

  • « Des moyens plus importants » vont être déployés par l’entreprise chargée de déblayer le site, avec l’objectif de « détruire les habitats à l’abandon », a assuré Fabienne Buccio.

    « Des moyens plus importants » vont être déployés par l’entreprise chargée de déblayer le site, avec l’objectif de « détruire les habitats à l’abandon », a assuré Fabienne Buccio. NEIL HALL / REUTERS

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Mission terminée

Joint par téléphone, l’OFII a déclaré que sa mission était terminée. Celle de France Terre d’asile, aussi. La préfecture a tenu, elle, à rappeler qu’elle avait beaucoup abrité depuis quatre jours et que les personnes qui restaient n’étaient pas des ressortissants de la jungle de Calais. Selon la version de l’Etat, tous ceux qui restaient sur le carreau aujourd’hui auraient été « conduits là par des associations ». Ils arriveraient tout droit d’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique ou de Paris, selon la version de l’administration qui ne les a pas rencontrés.

Ahmad refuse d’entendre cette version. Rue des Mouettes, il a pris sa tête adolescente dans ses mains et s’est assoupi. La nuit précédente, il est resté éveillé devant le sas, à guetter son ouverture. Celle d’avant, il s’est réveillé au rythme des explosions dues aux incendies de la jungle.

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Vers 19 heures jeudi, Ahmad a suivi le cortège des autres naufragés de l’évacuation. Avant, il avait entendu le commissaire de police autoriser ses hommes à lever le camp et demander aux migrants de ne pas aller vers la zone en démolition. Personne n’avait de solution à leur proposer. « J’en ai assez d’être ballotté de-ci de-là, comme c’est le cas depuis trois jours, résumait Ahmad hier soir. On te dit d’aller là, puis de revenir, puis tu ne peux aller nulle part. »

Ecole ou mosquée

Le « nulle part » est devenu l’école laïque des Dunes. Vers 19 h 15, après que certains eurent récupéré une couverture et des biscuits en guise de dîner, un petit cortège a démarré vers la route de Gravelines pour rejoindre l’école désaffectée. Quelques-uns – car le groupe était conséquent – ont préféré la mosquée.

A 21 heures, la nuit était déjà là depuis une heure et demie quand les migrants ont commencé à s’enrouler dans leur couverture. La petite école est devenue pour eux un refuge et Ahmad a pu goûter là un repos dont son corps adolescent avait besoin.

Contemplant la situation à son arrivée, Jean-Claude Lenoir, le président de l’association Salam, a senti la colère monter. « C’est quand même stupide de gâcher ainsi une opération si bien menée. On tend des verges pour se faire battre », ajoutait-il en contemplant ces jeunes installés là, qui sur des chaises, qui à même le sol. « Ça fait des jours que notre association aide le gouvernement dans cette évacuation, qu’on se fait traiter de collabos pour ça. Et là, il nous laisse ce groupe sur les bras… et c’est à nous de nous débrouiller », déplorait le bénévole engagé de longue date dans l’aide aux migrants.

La fin de la jungle ?

La préfète pouvait difficilement faire demi-tour, elle qui avait déclaré « la jungle, c’est fini » dès mercredi midi. Elle qui avait déjà « vendu » que la page était tournée et que lundi soir la lande serait rendue à la nature. Jeudi soir pourtant une grosse centaine de naufragés de l’évacuation était bien là, revenue dans la jungle faute de mieux. Et la ministre britannique de l’intérieur demandait à son homologue, Bernard Cazeneuve, de prendre bien soin des migrants mineurs… Reste que rien ne les empêche plus désormais d’être interpellés par la police qui quadrille Calais et ses environs. Pour ces naufragés du démantèlement, l’opération risque d’être plus policière qu’humanitaire.

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