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A Cizre, lutte à mort entre les forces turques et le PKK

Plusieurs localités du sud-est de la Turquie à majorité kurde sont depuis deux mois le théâtre d’une guerre à huis clos entre les rebelles kurdes armés et les forces spéciales.

Par  (Istanbul, correspondante)

Publié le 09 février 2016 à 22h35, modifié le 10 février 2016 à 16h25

Temps de Lecture 5 min.

Un militant du PKK surveille l'entrée d'une impasse, dans Sur, quartier historique de Diyarbakir (sud-est de la Turquie), le 27 janvier.

Des dizaines de rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie) ont été tués lors d’une opération des forces spéciales turques au cours du week-end dans la ville de Cizre, dans le sud-est du pays. Selon l’armée turque, « dix terroristes ont été neutralisés à Cizre » mais les rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux évoquent le « massacre » de 60 personnes, en majorité des civils.

Mardi 9 février, le coprésident du parti prokurde, Selahattin Demirtas, a confirmé un « massacre de civils ». Selon lui, 70 à 90 personnes, dont certaines blessées, avaient trouvé refuge dans le sous-sol d’un bâtiment du quartier de Cudi à Cizre lorsque l’endroit a été attaqué par des tanks.

« D’après nos informations, ils [les forces turques] ont tué tous les occupants du lieu (…). Puis ils ont dispersé les corps dans les rues et les ruines comme si les cadavres étaient déjà là », a assuré le politicien kurde dans un discours devant les députés de son parti de la Démocratie des peuples (HDP, gauche prokurde), troisième force politique du Parlement. Le gouvernement nie avoir visé des civils. « L’Etat turc lutte seulement contre les terroristes », avait assuré lundi le premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu.

« Guérilla urbaine »

Comme d’autres localités du sud est à majorité kurde (Diyarbakir, Nusaybin, Silopi, Silvan), Cizre est le théâtre d’une guerre à huis clos entre les rebelles kurdes armés et les forces turques. Soumise au couvre-feu, la ville est bouclée par intermittence, des dizaines de milliers de civils ont fui, aucun journaliste, aucun observateur indépendant n’est autorisé à y pénétrer. Les informations sont relayées par les deux acteurs principaux de cette guerre, le PKK et l’Etat turc.

Le commissariat de Cinar, dans le sud-est de la Turquie, détruit par des rebelles kurdes, le 14 janvier.

Difficile de savoir ce qui s’est passé. A priori, les civils ont fui massivement le quartier central de Cudi, soumis depuis deux mois à des tirs d’artillerie et à des explosions intenses, dans le cadre de la « guérilla urbaine » déclenchée par le PKK et que la police et l’armée turque tentent de briser. A l’évidence, les personnes cachées dans le bâtiment étaient plutôt des militants et des combattants du PKK que les forces turques ont pour mission d’« éradiquer ». L’heure est au règlement de compte, le « nettoyage » – terminé à Silopi, en cours à Cizre et à Sur (quartier de Diyarbakir) – a lieu hors du champ des caméras.

A l’automne, des jeunes kurdes se sont mis à creuser des tranchées, ériger des barricades et tirer sur les policiers

Tout a commencé à l’été 2015 avec des déclarations d’« autonomie » survenues dans plusieurs villes peuplées de Kurdes dans le sud-est de la Turquie. Les pourparlers de paix entre le PKK et Ankara ayant volé en éclat à la fin du mois de juillet, la hache de guerre a été déterrée. A l’automne, de jeunes rebelles kurdes, armés et entraînés par le PKK, se sont mis à creuser des tranchées, à ériger des barricades et à tirer sur les policiers qui se risquaient dans les rues transformées en camps fortifiés, au cœur des villes.

Vu la nature extrêmement centralisée et militarisée du PKK, ces insurrections n’avaient rien de spontané. Ulcérée par l’échec des pourparlers de paix avec Ankara, la direction militaire du mouvement, basée à Qandil, dans le nord de l’Irak, a sorti une nouvelle carte de son jeu. Pourquoi ne pas répéter l’expérience plutôt réussie des « frères » kurdes syriens, qui, en seize mois, avaient réalisé ce que le PKK n’était pas parvenu à faire en trente ans de lutte armée ?

Les civils pris entre le marteau et l’enclume

Saluées pour leur lutte acharnée contre l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie, les YPG, les milices kurdes syriennes armées du parti de l’Union démocratique du Kurdistan (PYD) ont ravi la vedette au PKK, leur cousin germain. Des représentants du PYD ont ainsi été reçus à l’Elysée en février 2015 et, pas plus tard que le 2 février 2016, Brett McGurk, le « monsieur anti-EI » de l’administration américaine, a rendu visite aux YPG dans leur fief de Kobané. Leurs combattants reçoivent des armes – russes et américaines –, Moscou offre au PYD une représentation diplomatique. Enfin, l’autonomie des trois cantons kurdes (Afrin, Kobané, Djezireh) de Syrie est désormais une réalité.

Une femme et ses enfants posent dans les ruines de leur maison détruite par les affrontements entre rebelles kurdes et forces turques, à Silopi (sud-est de la Turquie), le 19 janvier.

La tactique « syrienne » du PKK était censée entraîner un embrasement des villes insurgées, une mobilisation sans précédent de la population mais rien de tel ne s’est produit. Les populations civiles, poussées une nouvelle fois à l’exode et à la misère, n’éprouvent aucune sympathie particulière pour les nouveaux guérilleros.

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Pris entre le marteau et l’enclume, les civils payent le prix fort. « Les coupures d’eau et d’électricité, ainsi que les dangers encourus pour se procurer des vivres et des soins médicaux sous les tirs, ont des effets dévastateurs sur la population », souligne Amnesty International dans un rapport publié le 21 janvier. Quelque 200 civils auraient perdu la vie depuis l’instauration des couvre-feu.

Un modèle autoritaire et centralisé

Etrangement, l’éclosion de cette guérilla urbaine a eu lieu au moment où le HDP, qui représente les aspirations des Kurdes de Turquie, venait de gagner en légitimité, ayant remporté 59 sièges de députés au Parlement lors des législatives du 1er novembre.

Par ailleurs, le PKK règne en maître absolu sur le Sud est où 90 % des municipalités sont aux mains du parti prokurde BDP, tandis que la société civile est regroupée sous l’ombrelle du puissant KCK (plusieurs associations proches elles aussi du PKK). Tous les élus kurdes ont pris fait et cause pour la guérilla urbaine menée par quelques centaines de têtes brûlées, une « lutte légitime ».

Une fois le PKK « éradiqué », le gouvernement islamo-conservateur compte reprendre langue avec les populations en attribuant à la région une enveloppe de 26,5 milliards de livres turques (environ 8 milliards d’euros).

Il en faudra plus pour résoudre la question kurde, véritable épine au pied de la Turquie. Le président Recep Tayyip Erdogan s’était engagé, dès 2005, à la résoudre mais il est revenu au modèle autoritaire et centralisé mis en place par Atatürk, dans lequel les minorités n’ont pas voix au chapitre. Le 28 janvier, M. Erdogan a prévenu que la nouvelle Constitution, qu’il appelle de ses vœux, sera forcément « de style turc ».

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