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Des réfugiés syriens relogés en France : « On est venus chercher la paix, on l’a trouvée »

Arrivés d’Allemagne en septembre, Ali et ses deux fils ont quitté leur centre d’hébergement jeudi pour commencer une nouvelle vie à Saint-Etienne.

Par  (Saint-Etienne, envoyée spéciale)

Publié le 09 octobre 2015 à 04h27, modifié le 10 octobre 2015 à 12h44

Temps de Lecture 6 min.

La ville de Saint Etienne accueille les premiers réfugiés Syriens arrivés de Munich en septembre. Elle les installe dans un appartement meublé de la commune.

Et enfin, ils ont posé leurs valises. Ou plutôt deux grands sacs de supermarchés et deux sacs à dos neufs bourrés d’affaires données par des associations. Il ne leur reste malheureusement rien de leur vie en Syrie. Le peu qu’ils avaient emporté a fini au fond de la Méditerranée, cet été, entre la Turquie et la Grèce. De si mauvais souvenirs. Mais pour Ali (les prénoms ont été changés, à la demande des intéressés) et ses deux fils de 19 et 23 ans, ce jeudi 8 octobre marque la fin du voyage. Et le début d’une nouvelle vie. Pour eux, elle s’écrira dans la Loire, à Saint-Etienne.

Arrivés de Munich le 11 septembre, ils font partie des 526 premiers réfugiés accueillis en France dans le cadre du dispositif visant à soulager l’Allemagne, confrontée aux arrivées massives de migrants. Hébergés depuis dans un centre d’accueil à Paris, ils ont officiellement obtenu cette semaine le statut de réfugié, en moins d’un mois, un temps record. Restait à leur trouver un logement pérenne, étape fondamentale pour renouer avec l’ordinaire.

Sur le dispositif d'accueil, lire aussi Article réservé à nos abonnés A la ville ou à la campagne, les réfugiés syriens logés en France selon leur profil

Comme pour les autres réfugiés, les vœux et besoins d’Ali et ses fils ont été recueillis. Ali est chauffeur routier. Sofiane et Walid veulent continuer à étudier, l’agronomie pour l’un, l’informatique pour l’autre. S’appuyant sur les profils ainsi établis et sur le vivier de logements vacants mis à disposition par des maires solidaires, les services de l’Etat, ultra-mobilisés pour faciliter l’intégration de ces nouveaux réfugiés si emblématiques de la politique d’accueil lancée en septembre, leur ont proposé un F4 à Saint-Etienne. L’important pôle universitaire de la ville a emporté les suffrages des deux frères.

« Merci au gouvernement, merci à la mairie, merci à Emmaüs »

Voilà donc les trois hommes, maigres bagages au dos et sourires timides ce jeudi 8 octobre, accompagnés jusqu’au TGV gare de Lyon, à Paris, par la sous-préfète de la région Ile-de-France elle-même, chargée de coordonner l’accueil à Paris. Sur le quai, Ali et ses fils ne prennent la parole que pour dire et répéter encore et encore « merci ». « On dit merci au gouvernement français pour son humanité, merci à la Maire de Paris, merci à Emmaüs. On est si reconnaissant, c’est très important pour nous. »

Il y a deux mois, ils tremblaient à Homs, sous les bombes. Deux semaines plus tard, ils manquaient de se noyer dans leur embarcation de fortune vers la Grèce. Puis il y eut ces horribles journées de marche en Macédoine. La Serbie, la Bulgarie, l’Autriche, l’Allemagne. Et la gare de Munich, où ils ont rencontré les représentants de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Le lendemain, ils étaient à Paris. « On n’en revient pas de ce qui nous arrive. On est venus chercher la paix, on l’a trouvée », dit Ali, solennel. Bientôt 12 h 58, il faut monter à bord du train et quitter ceux qui les ont jusqu’ici si bien escortés. Un nouveau pas dans l’inconnu.

« Il y a des oliviers par ici  ? »

Ils sont désormais seuls dans le wagon, ne parlant pas un mot de français. Pendant trois heures, ils vont découvrir par la fenêtre les campagnes verdoyantes de leur terre d’accueil, cherchant quelques repères : « Il y a des oliviers par ici ? »

Ils passeront aussi de longs moments dans le silence, les yeux dans le vague, comme enfouis en eux-mêmes. Tous les trois ont en effet sur le cœur une pensée qui les empêche d’être heureux. Sur son smartphone, Walid affiche la photo d’un bébé tout sourire. « C’est mon petit frère, il a un an et demi. Il est resté là-bas avec ma mère et ma sœur de 15 ans. » Quand il a fallu partir, ce 6 août, seuls les hommes ont entrepris le voyage. Depuis, ils savent que la famille a échappé de peu à un nouveau bombardement.

Le train ralentit, on distingue un terril, vestige du passé minier de la région. Non, ici on dit «  crassier », nous sommes à Saint-Etienne. Des TER multicolores, de vieux entrepôts, le clocher d’une église… Ils dévorent le décor des yeux. Sur le quai, un aréopage de costumes-cravates. Représentants de la préfecture, de la mairie, associatifs… Pour tous, il y a un enjeu à ce que ces premiers parcours soient exemplaires. Car ils traceront le chemin pour les 30 000 réfugiés que la France s’est engagée à recevoir dans le cadre de la répartition européenne. « On s’est mobilisés pour offrir à ces réfugiés un accueil et un accompagnement de qualité afin de les amener à être autonomes et à s’insérer dans la société française », explique Didier Couteaud, directeur départemental de la cohésion sociale, chargé de mettre en œuvre le souhait du ministre de l’intérieur d’accueillir les nouveaux réfugiés « le plus professionnellement possible ». Grâce aux maires volontaires et aux bailleurs, il a pu proposer plusieurs logements vacants. « Nous ne sommes pas une zone en tension immobilière. » Ainsi, la Loire est dès aujourd’hui en capacité de loger plus d’une centaine de réfugiés.

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« Un luxe incroyable »

Ali, Walid et Sofiane seront les tout premiers. Les derniers kilomètres en voiture se déroulent en silence ou presque. « En Syrie, nous avions un si beau pays. Ils ont tout détruit, il ne reste plus rien », murmure le père pensif. On se gare près d’un square et de quelques commerces. L’immeuble HLM fait sept étages. Le hall sent la peinture. On s’arrête au premier. La porte de l’appartement n’est pas fermée. Des personnels de la mairie et de l’association Entraide Pierre-Valdo ont tout préparé. Ali, Walid et Sofiane entrent l’un après l’autre. Et posent enfin leurs bagages.

Une chambre du F4 mis à disposition des réfugiés par la ville de Saint Etienne.

Il y a une grande table en bois et de nombreuses chaises. Une cuisinière, un micro-ondes. Du pain sur la table de la cuisine, de la brioche. Le frigo est plein, les placards aussi. Trois chambres, dans chacune un lit, une lampe, une table de nuit. Des draps encore dans leur emballage. Sur un bureau, une ramette de papier et un paquet de Bic neufs. C’est à la fois simple et plein de petites attentions. Et Ali, Walid et Sofiane répètent « merci, merci, merci. C’était formidable à Paris, c’est pareil ici. C’est un luxe incroyable ». Des dizaines de milliers de migrants qui déposent chaque année une demande d’asile en France, aucun n’a sans doute jamais eu droit à traitement si remarquable.

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Le directeur de cabinet de la préfète fait le point avec eux : « Il y a encore des démarches à faire pour transformer votre récépissé de six mois en une carte de résident de dix ans. Vous serez accompagnés bien sûr. Il faudra aussi ouvrir vos droits à la Sécurité sociale, au RSA ». En attendant qu’ils puissent l’assumer, le bail sera au nom de l’association Entraide Pierre-Valdo, qui accompagnera désormais la famille. La préfecture, le bailleur, l’association ont un accord pour le paiement des loyers, en attendant les 1 000 euros promis aux communes par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, pour chaque place d’hébergement trouvée.

« Avez-vous besoin d’autre chose ? » « Nous n’avons qu’une seule demande  : faites venir notre famille dès que possible », supplie Ali, angoissé à l’idée que ceux qui sont toujours en Syrie subissent des représailles parce qu’eux trois sont en France. Au courant de la situation, l’Ofpra a promis de faire de son mieux. Ali ajoute  : « Et aidez mes enfants à reprendre leurs études. Tout ça, je l’ai fait pour eux. »

Dans la main de Sofiane, la précieuse clé du nouvel appartement.

Ce dispositif exceptionnel durera six mois. Six mois pour qu’ils soient autonomes, se débrouillent en français, que le père soit en voie d’insertion professionnelle et les fils à l’université. Le défi est énorme. Mais ce soir, une première brique est posée. Un trousseau de clés est remis à chacun. On leur expliquera plus tard comment ce badge déverrouille la porte du hall. « C’est une ville de footeux ici vous savez ? », lance quelqu’un. Walid sourit : « Alors je deviens supporteur de Saint-Etienne à partir d’aujourd’hui ! »

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