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Libération
Enquête

Front national : l’homme qui aimait les flammes

Ancienne étoile montante frontiste, Adrien Desport est jugé pour avoir incendié en groupe des voitures avant de dénoncer l’insécurité.
par Dominique Albertini
publié le 1er septembre 2015 à 19h36

Sur Twitter, ses quelques lignes de biographie changent régulièrement. La semaine passée, Adrien Desport était un «patriote orphelin qui demande pardon, remercie ceux qui lui ont tendu la main et pardonne à ceux qui jettent la pierre». La page de l'ex-militant FN, récemment expurgée des messages les plus anciens, cite Gandhi, Martin Luther King, mère Teresa. Ou encore de plats aphorismes que l'on dirait tirés d'un manuel de zen pour débutants : «Le début de la journée peut-être le début d'une nouvelle vie», a-t-il écrit le matin du 26 août. A sa façon, la matinée du 2 septembre marquera bien un tournant dans la vie du jeune homme.

Ce mercredi à 9 heures, Desport et cinq de ses anciens amis, eux aussi membres suspendus du parti lepéniste, doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Meaux. Le plus âgé d'entre eux n'a que 25 ans. Ensemble, ils cumulent les chefs d'association de malfaiteurs, dégradation du bien d'autrui par moyen dangereux, usage et détention de stupéfiants et dénonciation mensongère à une autorité judiciaire. Parmi les faits, le plus spectaculaire est l'incendie d'une quinzaine de voitures en Seine-et-Marne et dans le Val d'Oise, entre le 6 et le 9 avril 2015. Des actes auxquels seule une partie des prévenus auraient participé. Dans la foulée, Desport avait publié, au nom du FN, un communiqué dénonçant l'insécurité dans sa commune de Mitry-Mory. Parmi les victimes figurent également des militants frontistes visés par des tags injurieux, l'une sur son portail, l'autre sur son véhicule. Desport et l'un des prévenus sont enfin accusés d'avoir porté plainte pour une agression imaginaire qui avait justifié un autre communiqué outragé. L'affaire «défie l'entendement», selon les mots du procureur adjoint Emmanuel Dupic.

Chalumeau

On retrouve Adrien Desport à l'avant-veille du procès. C'est un jeune homme d'allure banale, rondouillet, le nez retroussé, les cheveux gominés. Il est flanqué d'un acolyte mutique, l'un de ses derniers fidèles, «venu par curiosité». Voilà donc le «cerveau» que dénoncent les autres prévenus ? Est-ce lui «l'expert en manipulation», le «pervers narcissique» capable de transformer cinq jeunes frontistes en pantins imbibés d'alcool et de médicaments, rejouant dans les rues de Mitry un mauvais remake d'Orange mécanique ? Tel est en tout cas le scénario décrit par Valentin, Nathalie et les autres lors des précédentes audiences. En larmes, la jeune femme disait même craindre des «représailles» de la part de son ancien petit ami, qu'elle avait dénoncé quelques semaines plus tôt à la hiérarchie du FN.

C'est début août que Desport est sorti de détention préventive. «A mon arrivée, j'ai été placé à l'isolement, raconte-t-il d'une voix flûtée. Le directeur m'a dit : "Dans la cour, ton espérance de vie est de deux minutes. Un militant FN en prison, ça n'est pas très bien vu." » Lors d'une précédente audience au tribunal, il avait tenu à «remercier le personnel de l'administration pénitentiaire». Déclaration délicate mais incongrue, faite sur le même ton appliqué avec lequel il indiquait avoir adhéré «en signe de repentance» à Transparency International et à l'Amicale de la police. Aujourd'hui, le garçon reconnaît calmement sa participation aux dégradations des véhicules, même s'il en attribue la responsabilité à ses anciens amis : ce n'est pas lui, c'est un autre qui aurait sorti un chalumeau le soir du 9 avril pour enflammer les voitures de Mitry. Lui ? Il dit avoir vu flamber la première, puis avoir «comaté» jusqu'au lendemain à midi, assommé par l'alcool et le valium. Mais ce n'est pas grave, il est bon citoyen, il veut bien assumer la «bêtise» de ces «soirées qui dégénèrent». Même si, glisse-t-il en passant, il ne faudrait sans doute pas chercher loin les preuves d'un «complot» à son encontre.

Adrien Desport a adhéré au FN en 2009, séduit par le «côté cash» du mouvement. Son parcours aurait pu être celui d'un jeune apparatchik comme le parti en produit désormais ; un courtisan pressé d'arriver, propre sur lui et beau parleur, plus familier des réseaux sociaux que du porte-à-porte. En 2011, il est candidat aux cantonales. En 2013, séduit par le clinquant de sa nouvelle recrue, le chef du FN en Seine-et-Marne, Renaud Persson, en fait le responsable du pôle communication, puis son bras droit - promotion éclair dont est coutumier ce mouvement en perpétuel manque de cadres. En 2014, Desport reçoit même, des mains de Marine Le Pen, la flamme d'honneur, décoration frontiste décernée aux meilleurs militants. En parallèle, pourtant, le doute s'installe chez de nombreux frontistes. Au printemps 2014, ses velléités de candidature municipale à Mitry échouent piteusement. Et Desport traîne désormais une solide réputation d'affabulateur, d'arriviste et de spécialiste des coups tordus. «Quand Marine Le Pen était interviewée face caméra, c'était le genre à se mettre derrière elle, téléphone en main, afin de passer pour son assistant», se souvient l'un d'eux. Selon un autre, ancien membre de la cellule de communication dirigée par Desport, celle-ci a surtout vite été dédiée à la promotion personnelle du jeune homme, auquel ses rodomontades valent bientôt le surnom de «mytho de Mitry» : «A un moment, plus personne n'arrivait à démêler le vrai du faux dans ce qu'il disait.»

Médicaments

En février 2014, Adrien, qui se dit dépressif, quitte son emploi dans un hôtel pour un congé maladie de longue durée. «A partir de là, on a commencé à recevoir une pluie de courriels à toute heure du jour et de la nuit, poursuit son ancien camarade. Des communiqués écrits avec toute la lucidité que vous pouvez avoir à 2 heures du matin.» Ce n'est pas tout : «Il fouillait les profils Facebook des gens qu'il n'aimait pas pour construire des dossiers sur eux, accuse-t-il. Et, pour s'en débarrasser, il lâchait parfois ces informations à des opposants politiques.»

De son côté, Renaud Persson regrette bientôt les galons attribués au jeune homme : «Il contestait mes décisions, et je me suis rendu compte qu'il me dénigrait dans la presse.» Informé de «tensions» dans la fédération autour de ce militant «erratique et conflictuel», le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, demande que lui soient retirées ses responsabilités. C'est chose faite en octobre 2014, en dépit des suppliques de Desport. Dans la foulée, une succession de petits incidents touchent les locaux de la fédération : «Disparition de matériel, de documents comptables, colle dans la serrure des portes…» détaille Persson, sans accuser ouvertement son ancien adjoint.

Cette déchéance semble pourtant avoir accéléré la dérive du jeune homme, à en croire son ancienne compagne, Nathalie. C'est en mai 2014 que Desport a entamé une relation avec cette néo-adhérente frontiste, dresseuse canine de son état, qu'un ami décrit comme «gentille et fragile». La jeune femme se pique de photographie : son nouveau compagnon promet de lui faire rencontrer les figures importantes du parti pour lui trouver du travail. En pratique, c'est surtout de l'image d'Adrien qu'il lui sera demandé de s'occuper. Nathalie découvre vite l'univers de cet étrange petit ami : elle le voit se comporter en «petit roi» au domicile familial, l'écoute raconter être le fruit d'un amour de vacances et souffrir de ses tentatives pour reprendre contact avec son père. Des troubles affectifs confirmés à demi-mots par son avocat, qui évoque un «lourd passé familial. Mon client a beaucoup souffert dans sa jeunesse et ses actes révèlent un mal-être».

Nathalie se souvient de l'appartement d'Adrien à Mitry, avec «une grande bibliothèque avec des livres sur la communication et la manipulation», de sa manie de la fauche, des rues entières remontées en testant les portières de chaque voiture, de ce petit chalumeau - tiens - subtilisé dans un centre commercial. Mais aussi des soirées que le couple et un troisième larron, Benjamin, terminent dans les états les plus invraisemblables. La jeune femme accuse même Desport de l'avoir d'abord droguée à son insu, en mêlant des médicaments à ses verres ou à ses assiettes. Avant de lui proposer directement les cachets, qu'elle acceptera.

Selon elle, ce n'est pourtant qu'à la fin de l'année 2014, après la disgrâce d'Adrien, que ces soirées déboucheront sur des équipées vandales. Il n'est pas encore question de brûler des voitures. Mais dans le véhicule de la jeune femme, quelques morceaux de verre brisé tapissent encore le vide-poches, souvenirs de vitres défoncées au clair de lune. Des dégradations auxquelles Nathalie reconnaît avoir assisté, mais pas participé. «A la fin, il me disait qu'il ne pouvait plus vivre sans cela, qu'il en avait besoin au moins une fois par semaine, affirme-t-elle. Il arrivait d'ailleurs qu'il parte tout seul dans des virées de ce genre.» La jeune femme fait état de multiples pressions de la part de son ex-compagnon, visant à l'associer à sa «cause» : «C'étaient des allusions, des "je sais où tu habites", "je sais que tu tiens à tes chiens", "je sais que si je mets le feu à ton bâtiment dans tel endroit, ça prendra bien", etc.» La jeune femme assure qu'elle et Benjamin ont rompu avec Desport au printemps 2015. Laissant la place au second groupe avec lequel celui-ci accomplira les faits les plus graves, et notamment les incendies de voiture d'avril.

Gyrophare

A la fin du même mois, la responsable des fédérations au sein du FN, Nathalie Pigeot, se rend à l’antenne de Seine-et-Marne. Elle vient enquêter en personne sur les échos, toujours plus inquiétants, qui parviennent au siège du mouvement. Prévenue qu’une jeune militante a beaucoup à lui dire, elle ne s’attend pas pour autant à la longue confession que lui livre Nathalie entre deux sanglots. Fin mai, le FN rend compte des faits à la police. Entre le 4 et le 10 juin, les six prévenus sont interpellés.

Au domicile de Desport, on retrouvera la panoplie complète du pandore : du gyrophare aux menottes en passant par la bombe lacrymogène. Le garçon se dit «passionné» par la police, la procureure évoquera de son côté un nébuleux projet de «guet-apens» contre les forces de l'ordre : un point de plus à trancher lors du procès, de même que le rôle exact de Desport.

«Il faudra expliquer comment on peut être amené à commettre des faits délinquants dans une démarche politique, puisqu'il s'agissait bien de créer un sentiment d'insécurité à l'approche des départementales, explique le procureur Emmanuel Dupic. D'autre part, il faudra également régler la question de l'indemnisation des victimes, nombreuses et modestes.» Quant à la thèse faisant de Desport le cerveau des faits, le magistrat se déclare «peu convaincu».

Une chose est certaine : si elle décrit une personnalité «peu affirmée, inhibée, d'une immaturité certaine», l'analyse psychologique n'a pas conclu à l'altération du jugement d'Adrien Desport. Celui-ci est donc bien accessible à une condamnation. S'il en réchappe, l'intéressé a déjà des projets d'avenir. Il veut partir dans le Sud, ne plus toucher à la politique et monter une entreprise de «gestion de services polyvalents». Il se demande simplement comment il pourra indemniser les victimes de ses actes. Ces derniers jours, comme si de rien n'était, Adrien Desport continuait à semer photos et aphorismes sur Twitter. L'un des derniers en date, citant le film la Haine : «L'important, ce n'est pas la chute. C'est l'atterrissage.»

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