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Pourquoi est-on plus à l’aise pour dire des grossièretés dans une langue étrangère ?

Si vous dites plus volontiers des grossièretés ou des choses très intimes dans une autre langue, sachez que cela porte un nom, la « résonance émotionnelle réduite ».

Publié le 30 mars 2017 à 18h32, modifié le 31 mars 2017 à 07h23 Temps de Lecture 3 min.

Une manifestation contre l’austérité devant la Banque centrale européenne, à Frankfort, le 3 juillet 2015.

Wilhelmiina Toivo est finlandaise, mais elle étudie la psychologie à l’université de Glasgow : après une rigoureuse éducation à la bonne manière de parler, les jurons la mettent particulièrement mal à l’aise… jusqu’à son déménagement en Ecosse, où elle se trouve beaucoup plus à l’aise pour dire des grossièretés, mais aussi pour parler de détails de sa vie intime avec ses colocataires, venues de toute l’Europe.

La doctorante, qui explique son projet de recherche dans une tribune du Guardian, observe en fait un mécanisme bien plus vaste que sa propre expérience.

« Jurer et parler de mes émotions n’était pas seulement facile parce que les étudiants sont à l’aise entre eux, ou parce que je me sentais libérée d’être loin de chez moi. L’effet que j’observais était plus profond, et touchait un nombre important de gens vivant dans des contextes plurilingues. »

De nombreuses personnes plurilingues décrivent en effet l’impression de ressentir moins de choses dans leur seconde langue, qui ne porte pas le même « poids émotionnel » que la langue maternelle. En se sentant moins lié émotionnellement à la langue que l’on parle, on peut plus facilement jurer et/ou raconter des détails de sa vie intime. Le terme scientifique pour cela est « résonance émotionnelle réduite du langage », nous apprend Wilhelmiia Toivo. Un phénomène « plutôt bien établi », mais dont de nombreux aspects « restent mystérieux ». C’est justement l’objet de ses recherches.

Mesurer l’émotion par la dilatation des pupilles

En effet, il est difficile de savoir ce qui crée la « résonance émotionnelle » d’une langue, et de quelle manière. L’enjeu du projet est d’établir les facteurs qui jouent sur la résonance et, partant, sur son absence. A-t-elle un lien avec l’âge auquel on a appris la seconde langue ? Est-ce que le contexte dans lequel on utilise cette langue, et la fréquence d’utilisation, peut avoir des conséquences sur ce sentiment de distance ?

Pour tenter d’établir les liens de causalité entre la langue et les réactions émotionnelles de ceux qui la pratiquent, la chercheuse utilise une technique qui analyse les mouvements de l’œil : on présente à des bilingues des mots « représentant des émotions » dans leur langue maternelle.

« Typiquement, quelqu’un qui est face à des mots ou à des images très chargées en émotion aura les pupilles dilatées sous l’impulsion d’une émotion forte et incontrôlable. Des recherches précédentes ont déjà montré que l’effet était moindre sur des gens confrontés à leur deuxième langue, moins chargée émotionnellement. »

Faire l’expérience du monde dans une deuxième langue

L’enjeu d’une telle recherche est de mieux comprendre l’expérience de la migration, et de l’adaptation à une autre culture. La chercheuse cite le philosophe du langage Ludwig Wittgenstein, qui disait : « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. » Une phrase particulièrement vraie pour les bilingues qui vivent au quotidien dans le contexte de leur seconde langue, selon Wilhelmiina Toivo. Car pour eux, « la résonance émotionnelle réduite définit les limites du monde ». Même pour quelqu’un qui maîtrise sa langue d’adoption, un sentiment d’isolement peut naître du fait que le monde qui l’entoure est structuré dans une langue différente, sans parler du fait de passer pour « maladroit ou malpoli parce que l’on n’emploie pas les bons mots ».

Mais la résonance émotionnelle réduite n’a pas que des accès négatifs, commente la spécialiste. Les bilingues peuvent par exemple tirer profit du fait qu’ils sont moins « émotionnellement investis », et démontrent de meilleures capacités à prendre des décisions rationnelles dans l’autre langue. Les couples bilingues peuvent également avoir plus de facilité à exprimer leurs émotions, puisqu’ils peuvent passer d’une langue à l’autre.

Comprendre les ressorts émotionnels du bilinguisme devient de plus en plus important, commente Wilhelmiina Toivo, à une époque où le bilinguisme ne se résume pas à parler les deux langues transmises par des parents bilingues. Le bilinguisme décrit aussi la pratique de deux langues au quotidien, peu importe son degré de maîtrise, en raison d’une migration, d’un séjour à l’étranger, ou d’un échange universitaire. « Alors que le nombre de personnes changeant de langue régulièrement continue d’augmenter, comprendre tous les aspects du langage et comment il influe sur nos vies est essentiel », conclut-elle.

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