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Au Kenya, le retour des djihadistes de Somalie inquiète

Les « returnees » sont la cible de la police ou de leurs anciens frères d’armes. Dans la région de Kwale, la peur a gagné les esprits.

Par  (Kwale (Kenya), envoyé spécial)

Publié le 25 octobre 2016 à 11h13, modifié le 26 octobre 2016 à 08h56

Temps de Lecture 5 min.

Après l’attaque à l’explosif revendiquée par les Chabab à Mandera (Kenya), le 25 octobre.

Un manguier, deux piquets de bois et un petit monticule de terre. C’est tout ce qu’il reste d’un Chabab kényan. Ali Salim est mort à la fin juin sous les balles de la police. Ses grands-parents, Omar et Mwanapili, l’ont enterré discrètement à quelques pas de la maison familiale au village de Mwaluphamba, dans le sud du pays. Pas assez loin pour chasser les mauvais souvenirs.

« On ne comprend pas, hésite le digne grand-père, les doigts perdus dans sa barbe blanche. Il n’avait que 29 ans, on l’hébergeait. On pensait qu’il était enseignant dans une école islamique du coin. Parfois, c’est vrai, il disparaissait… puis revenait. Comment pouvait-on deviner qu’il partait en Somalie ? »

A Kwale, comté de la côte kényane coincé entre Mombasa et la frontière tanzanienne au sud, le cas d’Ali Salim est loin d’être isolé. Dans cette région à majorité musulmane où le taux de pauvreté dépasse les 70 % (vingt-cinq points de plus que dans le reste du pays), des centaines de jeunes ont pris depuis dix ans les chemins du djihad somalien. Selon la police, rien qu’à Mwaluphamba, plus de soixante-dix manqueraient encore à l’appel.

La police accusée de torture

Mais, après le drame du départ, Kwale fait maintenant face aux tourments du retour. A l’ombre des collines de cocotiers et de baobabs en fleurs, un bon millier d’anciens Chabab seraient rentrés au pays depuis 2015, si l’on en croit les chiffres des policiers et des associations rencontrées sur place. Ali Salim lui aussi était ce que l’on appelle ici un returnee, un Chabab rentré à la maison.

Le terme, qui peut être traduit par un rassurant « candidat au retour » ou par un plus inquiétant « revenant », tel un fantôme décidé à hanter le pays, illustre la diversité des raisons motivant un retour au Kenya. La majorité des jeunes combattants, lassés des horreurs du théâtre somalien, effrayés par les imprévisibles frappes de drones américains, ou dégoûtés de n’avoir jamais été payés par les Chabab, reviennent faire leur vie et profiter d’une loi d’amnistie adoptée en 2015 par le gouvernement kényan.

Mais les anciens du djihad somalien sont loin d’être les bienvenus chez eux. Les returnees venus déposer les armes sont la cible des combattants chabab toujours actifs dans la région, qui les accusent de désertion et de trahison, voire de servir d’informateurs à la police. La chronique judiciaire fait régulièrement état de sordides assassinats et d’obscurs règlements de comptes. Ainsi, au mois de mai, un ancien djihadiste, très actif dans les programmes de lutte contre la radicalisation, a été abattu par un groupe de djihadistes alors qu’il regardait la télévision avec quelques amis.

Mais les « revenants », soupçonnés de préparer des attentats, sont aussi pourchassés par la police. Celle-ci, accusée de torture, d’exécutions extrajudiciaires et d’enlèvements des Chabab, repentis ou non, ne fait pas dans la nuance. « Les returnees sont nos ennemis, lâche un policier du département d’investigation criminelle de Kwale. La majorité est là pour préparer des attentats. Ils se cachent, protégés par leurs familles et la population. »

Dans bien des cas, il est difficile de savoir si la police a arrêté un véritable terroriste ou un returnee repenti. Ainsi en va-t-il du cas d’Ali Salim, accusé du meurtre mystérieux et inexpliqué d’un chauffeur de tuk-tuk, retrouvé égorgé il y a quelques mois. La police assure avoir abattu le jeune homme « alors qu’il tentait de fuir », sans plus de précision.

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Dans la région, la peur a gagné les esprits. Les « revenants » se terrent dans l’arrière-pays. Les familles ne parlent pas facilement. Les interviews se font discrètement, dans l’intimité des maisons de famille ou dans des voitures aux vitres teintées et relevées. Chacun craint une descente de la police, une attaque des Chabab. « Kwale est en état de guerre, avoue à voix basse un informateur de la police, lui-même menacé de mort. Si un policier trouve un Chabab, il va le tuer. Et si un Chabab tombe sur un policier, pareil. »

« Menace transnationale »

Pourtant, à quelques kilomètres, le long les plages de sable blanc, les hôtels pour super-riches restent ouverts. A Diani, la plage de Kwale, la saison a été bonne : depuis 2015, les ambassades américaine, britannique et française ont modifié leurs conseils aux voyageurs, incitant à nouveau les touristes à se dorer sur les plages de la région.

« On a beaucoup de monde, c’est à 90 % plein, contre à peine un tiers d’occupation en 2015 », se réjouit Axel Byrd Le Sage, responsable français des opérations du complexe cinq étoiles Swahili Beach. Aux entrées, « on fouille tout, avec détecteurs de métaux. Un service privé assure la sûreté des resorts [complexes touristiques]. On consacre 15 % de notre budget à la sécurité ». Derrière les lourdes portes et les murs électrifiés, tout baigne à Diani.

La menace d’un attentat fait pourtant frémir les bons connaisseurs de la côte. Le gouvernement avait en effet promis, outre l’amnistie, un programme de réinsertion assez large pour les djihadistes repentis, incluant une prise en charge psychologique, un travail de fond mené avec les familles et une modeste aide financière.

« Mais très peu de returnees bénéficient d’un tel programme ! », s’alarme Hussein Khalid, président de l’organisation de défense des droits de l’homme Haki Africa, basée à Mombasa. Au début de l’année, le ministère de l’intérieur a certes fait cadeau à une poignée d’anciens Chabab de motocyclettes, d’un petit frigo et d’un « kit de pêche ». La police de Kwale évoque à peine une cinquantaine d’anciens combattants pris en charge. « Totalement insuffisant », déplore M. Khalid.

Pourchassés, souvent rejetés par leur famille et sans opportunité économique, les « revenants » pourraient-ils retomber dans la violence ? « Oui, et les chances sont d’autant plus fortes qu’il s’agit de combattants, qui ont appris le maniement des armes et les techniques de survie », prédit M. Khalid.

Si l’on en croit un rapport de l’Autorité intergouvernementale pour le développement daté de mars, les Chabab, qualifiés désormais de « menace sécuritaire transnationale », souhaiteraient aujourd’hui exporter leur djihad dans la région. Kwale, zone grise et délaissée à la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, pourrait ainsi représenter une base idéale pour l’organisation. « Si on ferme les yeux, si on ne répond que par la force et l’exclusion, on le regrettera, craint le président de Haki Africa. Le problème des returnees est une bombe à retardement. »

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