François Hollande dans son bureau de l'Elysée le 24 février 2016 à Paris

Des élus de droite appellent la justice à enquêter sur la manière dont François Hollande se serait servi de la police durant son quinquennat à l'Elysée. Photo d'illustration.

afp.com/ERIC FEFERBERG

Il avait remis en cause la légitimité de la justice, estimant qu'elle était "instrumentalisée". C'est pourtant à cette même institution que François Fillon, empêtré dans l'affaire des emplois présumés fictifs, fait désormais appel pour mener une nouvelle offensive. Ce lundi, six élus Les Républicains proches du candidat de la droite ont publié un courrier dans lequel ils demandent l'ouverture d'une enquête judiciaire sur les pratiques présumées illégales de l'Elysée.

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Signée par plusieurs ténors du parti, tels Valérie Pécresse, Christian Jacob ou Luc Chatel, la lettre est adressée au procureur de Paris, François Molins, et à la procureure nationale financier, Eliane Houlette. Les auteurs ont recensé des dizaines d'infractions qu'ils disent avoir relevées à la lecture de l'ouvrage Bienvenue Place Beauvau, signé de trois journalistes. Le livre se présente comme le récit des relations troubles entre la police et le pouvoir exécutif sous le quinquennat de François Hollande.

Que dénoncent les auteurs du courrier?

Sur France 2 jeudi dernier, François Fillon avait dénoncé un peu hâtivement l'existence d'un "cabinet noir", qui serait aux ordres de l'Elysée et responsable de ses déboires judiciaires. Il a été contesté par les auteurs mêmes du livre, préférant les termes "d'instrumentalisation de la police" à des "fins politiques".

En réalité, les journalistes décrivent, avec beaucoup de mystère et un soupçon de complotisme, un système de remontée d'informations vers l'exécutif qui ne serait pas né sous François Hollande. Ils n'écrivent pas explicitement que le chef de l'Etat oriente les enquêtes. Encore moins dans l'affaire Fillon qui, selon les auteurs, n'est aucunement liée à une manoeuvre politique.

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Dans leur courrier, les élus LR se gardent bien d'évoquer un "cabinet noir" mais recensent plusieurs infractions au premier chef desquelles l'atteinte à la vie privée, la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction, la corruption et le trafic d'influence. Nombre d'entre elles reposent sur l'interprétation de témoignages anonymes ou de propos rapportés faisant état de fuites dans la presse ou de surveillance policière et non de faits étayés.

En témoigne cette phrase qu'aurait lâchée François Hollande en privé à des députés: "Sarkozy, je le surveille." Pour les auteurs du courrier, cette fanfaronnade serait constitutive de cinq infractions, parmi lesquelles l'atteinte à la vie privée et aux correspondances.

Quelle va être la réaction de la justice?

Contactés par L'Express, le parquet de Paris comme le parquet national financier affirmaient ce lundi en fin de matinée n'avoir reçu encore aucun signalement. Mais même après réception, leur décision risque de prendre du temps. "Il va falloir recenser et étudier chacune des infractions présumées", souligne une source judiciaire. "Les faits dénoncés dans le livre ne sont pas suffisamment caractérisés. Mais la justice pourrait ouvrir une enquête juste pour lever les doutes, quitte à la classer ensuite", observe un policier spécialisé.

Pour Benjamin Blanchet, ancien substitut financier au parquet de Nanterre, la justice est "testée" par la droite et n'aura pas d'autre choix que de se saisir des faits, compte tenu du contexte. "Les proches de Fillon ont dénoncé la rapidité de l'enquête ouverte contre Fillon après les révélations du Canard. Ils ne manqueront pas de dénoncer une nouvelle instrumentalisation si elle ne fait rien. En général, le parquet classe immédiatement un signalement si celui-ci est farfelu, si les personnes sont mal intentionnées ou ne jouissent pas de leur facultés mentales. Là, il y a quand même le président de la commission des lois au Sénat [Philippe Bas, NDLR] parmi les signataires", souligne le magistrat, syndicaliste à l'Union syndicale des magistrats (USM), qui se présente comme apolitique.

Comment la justice peut-elle enquêter sur les pratiques présumées de l'Elysée?

En cas d'ouverture d'une enquête, la justice pourrait rencontrer plusieurs difficultés. En premier lieu, elle ne pourra ni poursuivre, ni entendre François Hollande, étant donné qu'il bénéficie de l'immunité présidentielle. Elle pourra seulement solliciter d'éventuels collaborateurs du Président ou des fonctionnaires de police. Aucune perquisition ne peut être menée à l'Elysée en raison du même statut protecteur du chef de l'Etat.

Autre difficulté, les infractions présumées reposent pour beaucoup sur des suppositions et des insinuations. "Comme les faits sont assez vagues et imprécis, les investigations risquent d'être longues et approfondies. Par exemple, il sera compliqué d'identifier la hiérarchie politique et policière qui a potentiellement divulgué des informations. Pour tout ce qui concerne les violations du secret de l'enquête aussi, les journalistes bénéficient de la protection des sources", note Benjamin Blanchet de l'USM.

Il existe toutefois un précédent. Plusieurs collaborateurs, policiers et gendarmes ont été condamnés en 2005 dans l'affaire des écoutes illégales de l'Elysée sous François Mitterrand. Mais l'enquête, difficile, a duré plus de vingt ans. L'ex-président était mort depuis près de dix ans au moment du procès. Dans ses investigations, la justice s'est notamment heurtée à des éléments classés "secret défense". Un problème qui pourrait se poser à nouveau sous François Hollande. D'autant que les auteurs du livre admettent n'avoir pas pu prouver l'existence d'une structure illégale d'écoutes dirigée par l'Elysée.

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