Brighelli - Pourquoi la religion a envahi la tête de nos élèves

Selon "L'Obs", la tête des ados est farcie de préjugés d'un autre âge. Si l'enquête est contestable, la réponse de la ministre ne l'est pas moins.

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Selon Najat Vallaud-Belkacem, le retour en force du religieux à l'école est le signe d'une "société qui se cherche", non la conséquence d'errements pédagogiques. © DR

Temps de lecture : 9 min

L'Obs – et la presse de gauche en général – serait-il en train de lâcher doucement Mme Vallaud-Belkacem ? C'est la première idée qui m'est venue à la lecture du dossier « L'école défiée par la religion », qui confronte le ministre aux résultats – saisissants, quoique d'une méthodologie contestable – d'une enquête effectuée par une équipe conjointe du CNRS et de Sciences Po.

Les femmes au foyer, les livres à l'index

Les ennuis commencent dès la sixième. Au programme, les grands textes fondateurs. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » La prof de français interviewée par le magazine a beau expliquer qu'il s'agit d'un mythe, nombre d'élèves s'insurgent. « C'est vrai, c'est bien comme ça que ça s'est passé. » Probablement y étaient-ils.

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Les adolescents se définiraient donc d'abord en fonction de leur appartenance religieuse. Particulièrement les musulmans – nous y voilà, L'Obs flirte dangereusement avec l'islamophobie –, « fiers de leur religion » à 90 %. Mais dans la même statistique, les enquêteurs font dire aux athées – 39 % des élèves quand même, sur un échantillon de 9 000 collégiens des Bouches-du-Rhône, où ils représentent donc plus d'un tiers, les musulmans 25 % et les juifs 1,6 % (sans que rien dans les graphiques ultérieurs de l'enquête n'indique les rapports de force des différents groupes) – qu'eux aussi sont fiers de leur religion – à 65 % : ils ne doivent pas avoir tout compris, à Sciences Po, sur l'étrange religion des athées.

Des croyants qui pensent à 71 % que Dieu a créé ex nihilo les espèces vivantes – y compris le moustique porteur de chikungunya et de Zika. Que la place de la femme est à la maison (à 40 % – les autres, ce sont les filles sans doute, mais l'absence de statistiques par sexe fausse largement les réponses). Et que les livres et les films qui attaquent la religion devraient être proscrits. (flou artistique : j'aimerais assez connaître les réponses précises de gosses de 12 à 15 ans sur les « livres » en question – vous savez, ce machin imprimé sur du papier qu'on nous force à lire en classe...)

Ou que – cessons de rire – « si une loi heurtait tes principes religieux » (on tutoie les élèves, à L 'Obs – on est de gauche), 68 % d'entre eux suivraient la loi coranique contre la loi de la République. Charia incluse ? Quand on pense au nombre de musulmans entrés dans la police ou l'armée, on frémit, en ces temps d'attentats.

Bref, loin de moi d'absoudre les élèves, de quelque religion qu'ils soient, de tout fanatisme – c'est normal, vu leur degré d'inculture. Mais encore faudrait-il se demander comment l'éducation nationale a laissé dans les cervelles assez de vide pour qu'y prospèrent des idées farfelues.

Témoins triés sur le volet

Suit un reportage d'une complaisance étrange en milieu adolescent, où l'on apprend que toutes les filles, catholiques – forcément Manif pour tous, on est dans L 'Obs quand même – ou musulmanes, arrivent vierges au mariage (d'où le fait qu'elles se marient fort jeunes – pour telle élève de première, ce sera ce mois-ci –, mais mes musulmanes à moi n'envisagent pas ça avant la fin de leurs études universitaires). Et « réajustent coquettement les voiles » à la sortie du collège ou du lycée (sur une classe largement musulmane, j'en ai une seule qui joue à coucou/caché, et encore je suis à Marseille, dans une ville où la moitié des femmes adultes sont voilées). Ou que les élèves musulmanes de section S ne « croient » pas à la théorie de l'évolution – on ne te demande pas d'y croire, hé, patate, c'est un fait, ou alors, tu ne crois pas non plus que l'eau gèle à 0 °C au niveau de la mer, ou que, comme disait Dom Juan, « deux et deux font quatre ». Au passage, Darwin n'a jamais dit que l'homme descendait du singe, mais qu'ils avaient des ancêtres communs : il y a des savoirs que l'on a visiblement oublié de te transmettre…

Les cathos tradis ne sont pas oubliés – on est dans L'Obs, rappelez-vous, on joue à se faire peur. Réfugié derrière ses lunettes et son appareil dentaire (sic !), Hubert affirme qu'il n'y a qu'un dieu dans le ciel – le sien. « Le prénom a été modifié », précise l'hebdo ; mais on comprend qu'« Hubert » ne doit pas s'appeler Kevin dans la vraie vie, après tout, il est élève de l'école Saint-Bernard de Bailly, instituée par Mgr Lefebvre en forêt de Marly : il n'y avait aucun autre endroit pour interviewer des ados, à moins que ce ne soit là que les journalistes de L'Obs inscrivent leurs enfants. En tout état de cause, c'est une école hors contrat afin de « ne pas être soumis aux obligations vraiment perverses, immorales et antichrétiennes » – la laïcité, sans doute.

Quant à Daniel, jeune juif du supérieur, tout est religieux chez lui, il fait deux vaisselles, l'une pour le lait, l'autre pour la viande, ne va pas dans des boîtes où l'on pourrait côtoyer des filles pas vraiment casher, d'ailleurs, s'il serre encore la main des femmes, il pense s'abstenir bientôt de leur faire la bise – on ne sait jamais, elles pourraient être impures, et n'arborent pas à ce moment-là le camélia qui fit la gloire de la gourgandine exaltée par Dumas fils et Verdi.

Parenthèse. Je m'imagine rédigeant un article concurrent : dans leur totalité, les juifs de ma connaissance (et un certain nombre de musulmans, d'ailleurs) mangent du cochon, boivent du saint-julien non validé par les autorités de la casherout et n'hésitent pas à coucher avec des goyim ou des gentils bien avant le mariage – ils finiront sans doute dans une Géhenne commune où ils se rejoueront l'intifada pour les siècles des siècles…

À faire de l'impressionnisme sociologique et à mesurer le degré de pénétration – si je puis dire – de la foi au doigt mouillé, on arrive à faire prendre aux derniers lecteurs de L' Obs, le noyau dur qui votera encore Hollande dans un an et demi, de l'alcool hallal pour du porc casher, et inversement.

« Une société qui se cherche » (NVB)

C'est donc cette enquête si scrupuleusement scientifique que commente notre ministre. Il s'agissait, bien sûr, de la montrer ferme sur la laïcité, après ses exploits récents au Supplément de Canal+ – une émission dont L'Obs, non sans perfidie, publie une image, précisant que « la ministre  est restée coite » devant les propos d'Idriss Sihamedi, le barbu humanitaire (ne cherchez pas, c'est bien un oxymore). Où la perfidie ne va-t-elle pas se nicher ! Avec des copains comme ceux de L'Obs, NVB n'a pas besoin d'ennemis. D'autant que dans le même temps Canal+ a précisé que NVB savait parfaitement qui elle devait rencontrer sur le plateau du Supplément. Lâchage généralisé !

Dans la réponse du ministre, aucune mise en cause des programmes ni de la pédagogie – la faute à « une société qui se cherche ». Et si la dévotion est « plus marquée chez les musulmans », c'est parce que « cette génération a grandi dans l'après-11 Septembre ».

Raisonnement étrange : j'aurais cru, moi, que les horreurs perpétrées au nom de l'islam depuis une bonne vingtaine d'années – n'oublions pas les exactions du FIS et du GIA en Algérie dans les années 1990 – auraient dû avoir, sur un esprit normal, l'effet exactement inverse : comment se reconnaître encore dans une religion qui pousse des fanatiques à opérer des tueries de masse ?

Bien entendu, l'instauration du « livret laïcité » résoudra vite tous ces menus problèmes, pendant que la droite se contente « de tenir des discours incantatoires sur la laïcité, sans jamais donner des clés pédagogiques ». Le ministre devrait relire les raisonnements d'Élisabeth Badinter (ou l'un de mes derniers livres) et réfléchir ensuite à qui est à droite – au moment même où Le Point titre avec perspicacité sur « La gauche Finkielkraut ». D'ailleurs, selon la ministre, « la droite porte une lourde responsabilité » dans ce retour du religieux à cause de son « désinvestissement massif dans l'éducation ». Et la réforme du collège, ce n'est pas du désinvestissement, peut-être ? Sans compter que la droite n'a jamais rien compris à l'éducation, et a laissé des pédagos formés à gauche régenter la Rue de Grenelle depuis quinze ans – et même davantage.

NVB défend ensuite la laïcité – et même l'Observatoire de la laïcité et le cher, l'utile Jean-Louis Bianco, que Manuel Valls a pourtant pourfendu récemment. Ils devraient accorder à nouveau leurs violons – mais le même Valls a aussi recadré sauvagement NVB lors d'une réunion avec les présidents de région.

Sur ce point de détail, je dirai qu'en l'occurrence je suis d'accord avec le ministre de l'Éducation, comme je l'ai déjà exprimé ici : quel patron voudrait raisonnablement employer des apprentis à 14 ans, semi-illettrés, peu habitués au travail – et apparemment imbibés de superstitions et de préjugés jusqu'aux oreilles ?

« L'élève au centre », le péché originel

La vérité, c'est que cette religiosité tache d'huile trouve son origine dans la loi Jospin de 1989, qui, en instituant le droit à la libre expression d'élèves qui n'avaient rien à dire que les poncifs et les mensonges récoltés sur le Net et dans leur entourage, a autorisé le discours du « c'est votre avis, ce n'est pas le mien ». Cette formule fonde tous les affrontements verbaux si fréquents désormais en classe, la contestation massive des minutes de silence et la séparation en « communautés » antagonistes.

La vérité, c'est que le refus de statuer, dès octobre 1989, sur la première affaire de voile a autorisé toutes ces têtes creuses à croire – c'est le cas de le dire – qu'un bout de chiffon sur la tête est un gage de pureté – ah, ah !

La vérité, c'est qu'il faut très rapidement recadrer ces ados en manque de repères, en leur clouant dans la tête la différence entre une croyance et un savoir : toutes les superstitions sont autorisées tant qu'elles restent dans l'espace privé – herkos odonton, dit-on en grec : les manifestations du fanatisme n'ont pas à franchir « la barrière des dents », comme l'écrit Homère dans l'Iliade.

NVB finit son interview en évoquant les débats en cours sur la déchéance de nationalité. « Je suis binationale, fière de l'être et je ne me sens pas concernée », dit-elle. Eh bien, je rappellerai ce qu'Éric Conan dit fort bien cette semaine : interdisons la binationalité – et il restera la déchéance de citoyenneté, que prévoit déjà la Constitution. « L'Algérie, écrit le journaliste de Marianne, veut réviser sa Constitution pour exclure de toute fonction publique les binationaux franco-algériens. »  Nous devrions prendre modèle et interdire aux binationaux tout poste dans l'administration – aucune accusation de racisme ne tiendrait, le Maghreb nous donne l'exemple. La France, tu l'aimes, tu lui appartiens parce qu'elle t'a formé(e), et tu la défends, ou tu la quittes. Rien à voir avec un slogan FN, contrairement à ce que croient déjà certains : c'est ainsi que parlaient les révolutionnaires de 1793 – et ils faisaient bien pire. C'est parce que je ne veux pas en arriver à la Terreur que je prêche la laïcité pure et dure – et la diffusion illimitée des savoirs.

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Commentaires (25)

  • Xiao Bao Zhi

    C'est l'atmosphère dans les écoles en ce moment ? C'est pire que jamais alors ! Visiblement le monde des adultes n'est pas à la hauteur de la situation, et surtout à gauche. Sonder des enfants c'est nul. Petits, ou même adolescents ils racontent ce qu'ils entendent autour d'eux, ça n'a aucun intérêt pour un sondage. Ensuite, à mon avis il ne faut pas mettre le doigt sur ce qui fâche, ou ce qui divise, ou ce qui leur permet de faire un discours identitaire. Ce que vous dites est juste, l'élève au centre, c'est de la folie. Ce fut l'origine de toutes les dérives. Tout ce qui est religieux n'a pas sa place à l'école, de même que la politique et la théorie des genres. Très justement vous faites remarquer qu'il faut un contenu d'enseignement sérieux, sinon les cervelles creuses se rempliront de "croyances", comme par ex les diverses propagandes. L'école doit entièrement changer de perspective. Il faut mettre des adultes dans les classes pour transmettre quelque chose. NVB elle-même est le produit de cette école vide de sens, vide de valeurs, qui fonctionne dans l'irréel.

  • hip68

    Réfléchissons sérieusement à ce que rapporte Éric Conan au sujet de l'Algérie qui voudrait modifier sa Constitution "dans le but d'exclure de la fonction publique toute personne binationale franco-algérienne".
    Imaginons, maintenant, comme hypothèse de travail, la même décision prise par nos parlementaires !
    Dans ce cas, ce pays frère courageux et fier nous aurait montré la voie. Nous aurions agi
    par imitation et au nom du principe de réciprocité !
    Pouvons-nous imaginer un court instant pareille décision prise sur notre sol ?
    Percevez-vous déjà, en ville et en campagne, poindre l'indignation, les larmes et le
    désarroi des âmes horrifiées !
    Ce n'est qu'une fiction et à titre d'exemple, que je sache, le poste du titulaire à l'Éducation nationale n'est pas vacant, pour la bonne raison que la révision de notre
    Constitution n'est pas du tout à l'ordre du jour.
    Quoiqu'il en soit, nous connaissons déjà le point de vue de Madame le ministre qui revendique courageusement "d'être binationale et ne pas se sentir concernée"par cette aventure...
    Nous sommes à présent rassurés !

  • razorbak

    Vous me faites rire M. Brighelli ; à parler de laïcité (qui veut dire neutralité) et de liberté de culte en critiquant le contenu des religions.
    Le contenu des cours doivent suivre un programme (libre à vous de le critiquer) et les élèves doivent s'y tenir. Mais si les élèves ne doivent pas emmètre de contestation basés sur leur croyance il ne doit pas être permis, non plus à qui que ce soit de critiquer le contenu de ces croyances.
    Vous dites que la religion doit rester strictement privée et ne jamais être évoquée alors sa critique aussi. Ne pas croire en une chose c'est croire en son inexistence, ce qui est une croyance.
    Par ailleurs interdit la binationalité est totalement illusoire : il n'y a aucun moyen d'interdire à une personne d'avoir une autre nationalité, sans parler de celle qui ne sont même pas au courant qu'ils en ont une.

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