John Grisham, lanceur d'alerte littéraire

Son nouveau polar, "L'Informateur", soulève un nouveau lièvre : la corruption de la justice américaine. Et parvient encore à nous surprendre.

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John Grisham recevait
John Grisham recevait "Le Point" dans son bureau en 2016.  © ©Andrew Shurtleff/ZUMA-REA pour Le Point

Temps de lecture : 5 min

Il est fort ce Grisham ! Avec une grosse vingtaine de thrillers judiciaires à son actif, l'Américain aux 300 millions de livres vendus parvient encore à nous bluffer. Nous seulement parce que la densité de ses personnages magnétise, mais aussi parce qu'à chaque nouvel opus on se surprend à éprouver un intérêt grandissant pour un système aux antipodes du nôtre. Cette fois, il met en branle un trio d'enquêteurs à partir d'une obscure agence d'État anticorruption judiciaire (le Board on Judicial Conduct). Ce qui établit pour avérée la corruption de la justice américaine, et place l'auteur, de facto – et bien qu'il s'en défende –, en position de lanceur d'alerte littéraire. D'autant que Grisham n'écrit pas assis sur du vent. Chacun de ses romans s'inspire d'au moins une ou plusieurs grosses affaires en cours outre-Atlantique. On croit lire un roman sans sentir le poids du fait divers énorme ou du scandale larvé dont la presse ne demande qu'à s'emparer... Cela viendra.

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Cette fois, pour évoquer la corruption du système judiciaire américain, il démonte un à un, avec une aisance virtuose, tous les rouages d'une mécanique mafieuse archi-huilée. Via deux femmes, mises en regard. L'une du côté des bons (l'agence en question), Lacy Stolz, célibataire endurcie qui va se faire physiquement salement amochée tant ce milieu crapuleux ne recule devant rien. De l'autre, une méchante spectaculaire, Claudia McDover, la juge la plus corrompue de Floride, adepte, c'est dit du bout des lèvres, de l'amour saphique…

Lacy, avertie par un énigmatique informateur – Myers, un avocat repris de justice, au chômage, mais néanmoins à la barre d'un voilier 16 mètres, ancré dans une marina chic –, va chercher à coincer cette juge aux manettes d'un vaste circuit de blanchiment d'argent. Tout s'organise autour du plus juteux casino de l'État, implanté directement sur les terres des Indiens Tappacolas, puisque ceux-ci sont exonérés d'impôts... Des petits arrangements entre amis, aux subtils dérapages éthiques en passant par la corruption bien crasse, ça se passe aux USA comme ça pourrait se passer chez nous. Le crime abolit les frontières et Grisham le dévoile magistralement.

L'Informateur de John Grisham, traduit de l'anglais (États-Unis) par Dominique Defert (JC Lattès, 520 pages, 22,50 euros).

L'extrait qui tue :

Lacy prit une longue inspiration et échangea un regard avec Hugo.

— Très bien. C'est quoi l'histoire ? On vous écoute.                  Myers regarda au loin, par‐delà les bateaux. Un pont à bascule se levait. Il sembla fasciné par ce spectacle.

— Il y a de nombreux chapitres à mon histoire, finit‐il par dire. Et certains attendent encore d'être écrits. L'objectif de cette rencontre, c'est de vous mettre l'eau à la bouche, mais aussi de vous faire peur, pour vous laisser la liberté de jeter l'éponge tant qu'il est encore temps. Parce que toute la question est là : voulez‐vous oui ou non vous mouiller ?

— Y a‐t‐il eu un manquement à la déontologie judiciaire ?

— Un « manquement » ? C'est un euphémisme. Un gigantesque euphémisme ! Il s'agit d'une corruption, à ma connaissance, d'une ampleur inconnue dans ce pays. Il faut que vous compreniez, madame Stoltz, monsieur Hatch, que j'ai su mettre à profit ces seize mois d'incarcération. Ils m'ont affecté à la bibliothèque de la prison et je me suis plongé dans les livres. J'ai étudié toutes les affaires connues de corruption judiciaire, dans les cinquante États. J'ai fait des recherches, les archives, les minutes, j'ai tout épluché. Je suis désormais incollable. Je dis ça au cas où vous auriez besoin d'une encyclopédie vivante. Et l'affaire que je vais vous raconter implique plus d'argent sale que toutes les autres combinées. On y trouve aussi des malversations, de l'extorsion de fonds, de l'injonction, des procès truqués, et au moins deux assassinats, plus une erreur judiciaire. À l'heure où je vous parle, un homme croupit dans le couloir de la mort à cent kilomètres d'ici. Victime d'un coup monté. Et pendant ce temps‐là, l'homme responsable de cette infamie prend sans doute tranquillement le soleil à bord de son bateau, un bateau bien plus beau que le mien, je vous le garantis !                     Il marqua une pause, but une goulée de bière à même la bouteille et leur jeta un regard, satisfait d'avoir toute leur attention.

— Encore une fois, la question est : êtes‐vous prêts à vous mouiller ? Parce que les risques sont nombreux.

— Pourquoi nous ? demanda Hugo. Pourquoi ne pas faire appel au FBI ?

— J'ai déjà eu affaire aux fédéraux, monsieur Hatch, et cela s'est plutôt mal terminé. Je n'ai pas confiance en                   ces gens, ni en personne arborant un badge de flic, en particulier dans cet État.

— Je vous le répète, insista Lacy, nous ne sommes pas armés. Nous ne sommes pas enquêteurs dans le domaine criminel. Si ce que vous dites est vrai, vous avez à l'évidence besoin du soutien des autorités fédérales.

— Mais vous avez la possibilité d'assigner quelqu'un en justice, non ? répondit Myers. C'est dans vos statuts. Vous pouvez ordonner à n'importe quel juge de Floride de vous remettre tous ses dossiers. C'est un pouvoir considérable, madame Stoltz. Et, en bien des manières, vous instruisez des affaires criminelles.

— Certes, concéda Hugo, mais nous ne sommes pas équipés pour affronter des gangsters. À vous entendre, les types d'en face semblent solides et bien organisés.

— Vous avez entendu parler de la Catfish Mafia ? demanda Myers en buvant une nouvelle gorgée au goulot.

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Commentaire (1)

  • Viva75

    A lire donc