L’organisation Etat islamique (EI) a diffusé, mercredi 27 juillet, à travers l’agence Aamaq, son organe de propagande, une vidéo d’allégeance de deux hommes présentés comme les auteurs de l’attaque perpétrée la veille contre l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Main dans la main, les deux jeunes hommes prêtent allégeance durant une minute à Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l’organisation.
L’état civil de l’homme qui s’exprime en arabe sur la gauche de l’écran a été établi : il s’agit d’Adel Kermiche, 19 ans, l’un des deux tueurs de l’église, identifié dès mardi soir par son ADN. Celui qui l’accompagne en silence, à droite de l’écran, s’appelle Abdel-Malik Nabil Petitjean, un Savoyard de 19 ans lui aussi, originaire d’Aix-les-Bains (Savoie). Ce jeune homme n’a été formellement identifié comme le second tueur de l’église, par comparaison de son ADN, que jeudi matin, après la diffusion de cette vidéo.
Les enquêteurs soupçonnaient depuis mardi que le complice d’Adel Kermiche s’appelait Abdel-Malik Petitjean. Une carte d’identité à son nom avait été retrouvée peu après les faits au domicile familial d’Adel Kermiche. Plusieurs éléments de téléphonie suggéraient en outre que les deux hommes avaient été en contact peu avant les faits. Mais le corps du second terroriste tué devant l’église, défiguré par une balle, était difficilement reconnaissable.
Abdel-Malik Petitjean, bien que visé depuis fin juin par une fiche « S » de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour avoir tenté de gagner la Syrie, était inconnu des services de police, qui ne disposaient donc ni de ses empreintes papillaires ni de son profil génétique pour procéder à une comparaison d’ADN avec le corps.
« Menace contre le territoire national »
Les services de renseignement avaient par ailleurs été destinataires la semaine dernière d’un renseignement étranger à propos d’un terroriste à l’identité inconnue s’apprêtant à commettre un attentat sur le sol français. Ils l’ignorent alors : il s’agit d’Abdel-Malik Petitjean, qui passera à l’acte quelques jours plus tard.
Sur la foi de ce renseignement, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) avait dès vendredi, soit trois jours avant l’attentat, diffusé à l’ensemble des services – police, gendarmerie et douanes – une fiche reproduisant sa photo intitulée : « Menace contre le territoire national », comme l’a révélé RTL.
Cette fiche, que Le Monde a pu consulter, précise : « L’individu (…) serait prêt à participer à un attentat sur le territoire national. Il serait déjà présent en France et pourrait agir seul ou avec d’autres individus. La date, la cible et le modus operandi de ces actions sont pour l’heure inconnus. Des investigations sont actuellement en cours afin de l’identifier et de le localiser. »
Les enquêteurs étaient donc en possession, depuis mardi, de trois éléments, dont ils suspectaient qu’ils désignaient un seul et même homme : un corps sans visage, un nom sur une pièce d’identité et une photo sans nom, celle figurant sur ce signalement. Un curieux puzzle dont il s’agissait de rassembler les pièces. « On cherchait à établir formellement le lien entre un cadavre, une photo et un nom. On se doutait depuis mardi qu’il s’agissait du même homme, mais seul l’ADN permettait d’en être sûr », résume un enquêteur.
Exploitation des données numériques
En attendant que cette identification par l’ADN tombe, jeudi matin, les enquêteurs de tout le pays étaient lancés depuis vendredi dans la traque impossible d’un homme sans identité. Les services de renseignement ont exploité tous les outils à leur disposition pour tenter de mettre un nom sur ce visage. Dimanche 24 juillet, au cours d’une perquisition administrative chez un homme visé par une fiche « S », ils mettent la main sur une vidéo dans un téléphone.
A l’écran, un homme ressemblant fortement à la photo de la fiche de l’Uclat prête allégeance, seul cette fois-ci, à l’EI. Il porte le même tee-shirt rayé, et il n’est pas exclu que la photo de son signalement ait été extraite de ce film. Les enquêteurs l’ignorent encore : il s’agit d’Abdel-Malik Nabil Petitjean, que personne ne soupçonne encore de préparer un attentat.
Cette vidéo d’allégeance avait été partagée sur un groupe privé de la messagerie sécurisée Telegram, dont est membre l’homme visé par la perquisition, explique une source proche de l’enquête. Depuis le 21 juillet et la ratification de la troisième prolongation de l’état d’urgence, décidée après l’attentat de Nice, survenu le 14 juillet, les services ont le droit d’exploiter les données numériques saisies à l’occasion de perquisitions administratives.
Abdel-Malik Nabil Petitjean a finalement été identifié jeudi par comparaison du profil génétique de sa mère – prélevé dans la nuit de mardi à mercredi – et celui prélevé sur le corps du second tueur de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu