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Au Gabon, les éléphants de forêt n’échappent pas au massacre

En seulement dix ans, la population de pachydermes du parc de Minkébé, l’un de leurs derniers refuges, a chuté de près de 80 %.

Par Denis Delbecq (journaliste au Temps)

Publié le 21 février 2017 à 12h00, modifié le 21 février 2017 à 12h00

Temps de Lecture 4 min.

Des éléphants de forêt dans le parc de la Lopé, au Gabon, en novembre 1999.

Plus trapu que son cousin de savane, l’éléphant de forêt occupe une place essentielle dans la biodiversité : en consommant des fruits, il en prédigère les graines, et les rejette dans ses excréments, favorisant ainsi leur germination et leur dissémination. Les effectifs exacts de ce pachyderme qui réside dans les forêts d’Afrique centrale ont longtemps été méconnus, son habitat compliquant les recensements. Mais une étude publiée en 2013 suggérait déjà que ses populations s’étaient fortement réduites, passant de 500 000 individus en 1993 à moins de 100 000 vingt ans plus tard.

Une nouvelle étude suggère que le cauchemar continue pour les éléphants de forêt, et cela jusque dans l’un de leurs principaux refuges, le parc naturel de Minkébé, au nord du Gabon. En 2013, l’Agence nationale gabonaise des parcs nationaux (ANPN) avait annoncé que 11 000 éléphants y avaient été tués entre 2004 et 2012. Un nouvel inventaire du parc, publié dans la revue scientifique américaine Current Biology, est infiniment plus inquiétant : 25 000 éléphants auraient été massacrés entre 2004 et 2014, soit quatre éléphants sur cinq. Une mauvaise nouvelle pour l’espèce, qui s’avère encore plus menacée qu’on l’imaginait jusque-là.

Compter les déjections

Les paysages de Minkébé ne laissent pas indifférent : ce plateau forestier de 8 000 km2, quasi inhabité, est maillé de milliers de cours d’eau, hérissé de hautes collines rocheuses et parsemé de clairières marécageuses où s’abreuvent les éléphants. Une région si peu accessible que ses frontières avec le Cameroun et le Congo semblent virtuelles. Chaque année, les gardes y retrouvent quelques dizaines de cadavres sans défenses. Une goutte de sang dans l’océan du braconnage.

« Pendant plus d’un an, vingt-cinq personnes ont arpenté le parc et sa zone tampon en comptant les crottes d’éléphants, afin d’estimer leur nombre », raconte le principal auteur de l’étude, John Poulsen, chercheur à l’université de Duke (Etats-Unis) et collaborateur de l’ANPN. Pour conforter ce recensement, les chercheurs l’ont confronté à un modèle qui tient compte de l’influence de la pluie sur la dégradation des déjections. Les deux résultats concordent presque parfaitement : il ne restait en 2014 qu’environ 7 000 éléphants à Minkébé, contre 32 000 dix ans plus tôt.

Ce résultat semble solide. Notamment parce que ses auteurs figurent parmi les meilleurs spécialistes de l’éléphant de forêt, à commencer par l’explorateur américain Mike Fay, dont une rencontre avec l’animal a failli lui coûter la vie en 2003. Trois ans plus tôt, il avait relié à pied le Congo à la côte gabonaise. Un périple en forêt de 455 jours (3 200 km) qui lui avait permis de convaincre le président gabonais Omar Bongo d’agir : 13 parcs nationaux ont été créés en 2002, dont celui de Minkébé. Depuis, Mike Fay réside en partie au Gabon, au service de l’ANPN.

« Un flux de 200 à 300 kg d’ivoire par semaine »

« Nous avions tiré la sonnette d’alarme sur Minkébé en 2012 », raconte Luc Mathot, de Conservation International, une ONG qui défend l’application et le renforcement des lois de protection des espaces naturels. Lui aussi s’est installé au Gabon, il y a près de sept ans. « Nos évaluations n’ont rien de scientifique – on nous a beaucoup critiqués pour cela – mais nous avions observé un flux de 200 à 300 kg d’ivoire par semaine en différents points de passage près du parc. Cela représentait l’équivalent de 1 000 éléphants tués chaque année à Minkébé, en plein parc national ! »

Après une décennie de tolérance coupable, les autorités gabonaises ont repris la main en 2011, en s’attaquant à l’orpaillage clandestin qui sévit en lisière du parc, à une quarantaine de kilomètres du Cameroun. L’armée et les gendarmes gabonais ont expulsé plus de six mille personnes qui vivaient dans une véritable ville en pleine forêt. « C’était indispensable car toute présence en forêt ouvre des pistes de communication qui facilitent le braconnage », souligne John Poulsen. En dépit de l’interdiction du commerce international de l’ivoire depuis 1989, la Chine continue de s’approvisionner en Afrique : les cours ont même triplé entre 2010 et 2014, à près de 2 100 dollars le kg. Heureusement, la tendance s’inverse, et fin 2017, tout commerce d’ivoire sera, en principe, interdit en Chine.

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« Cette évolution est une bonne nouvelle. Mais le Gabon doit agir pour sauver ses derniers éléphants », prévient Luc Mathot. En 2012, le président Ali Bongo, qui a succédé à son père en 2009, avait annoncé, à grand renfort de publicité, un net durcissement des peines pour braconnage. « Mais la loi n’a jamais été promulguée, et les trafiquants ne risquent que quelques mois de prison. » Plus grave, alors que le parc de Minkébé semble mieux surveillé, le Gabon a continué d’autoriser des concessions forestières aux alentours. « Beaucoup ont été accordées à des sociétés chinoises très douteuses qui laissent leurs pistes ouvertes aux braconniers, quand elles ne participent pas directement au trafic, en pratiquant la corruption. » En 2012, deux conteneurs de bois provenant du Cameroun ont été interceptés à Hongkong, plaque tournante du trafic. « Ils contenaient 4 tonnes d’ivoire en partie d’origine gabonaise », précise Luc Mathot.

Cet article a d’abord été publié par Le Temps.

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