« La Commission européenne va mettre à la disposition des autorités françaises jusqu’à 5 millions d’euros », a annoncé lundi 31 août son vice-président Frans Timmermans à l’occasion d’un déplacement à Calais avec le premier ministre, Manuel Valls, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le secrétaire d’Etat aux affaires européennes,
Harlem Desir, et le commissaire en charge des migrations, Dimitris Avramopoulos.
Cette enveloppe financera principalement l’installation de quelque 120 tentes pour abriter environ 1 500 personnes sur la lande où sont actuellement regroupés 3 000 migrants dans des conditions insalubres. Une zone qui a été rebaptisée « la jungle » de Calais. « L’idée, c’est qu’il [le campement] puisse ouvrir au début de l’année 2016 », a précisé Manuel Valls.
« Nous aurions pu survoler la jungle en hélicoptère »
Le matin même, le directeur général de l’association La Vie active, Guillaume Alexandre, qui pilote ce projet, évoquait un coût total de 25 millions d’euros, notamment pour permettre des travaux de terrassement. Ces derniers jours, les pluies ont provoqué de nombreuses inondations dans la lande, principalement constituée de dunes de sable. « On estime que 1 000 personnes ont souffert des pluies, jaugeait Christian Salomé, de l’Auberge des migrants. Des tentes ont été complètement transpercées. » Pour ce responsable associatif présent sur le terrain, le besoin de mises à l’abri se fait chaque jour plus urgent.
Les ministres français et les commissaires européens ont visité le dispositif d’hébergement Jules Ferry, situé dans un ancien centre aéré qui jouxte le camp et qui offre actuellement un accueil de nuit et en dur à 115 personnes particulièrement vulnérables, des femmes et des enfants. Le directeur du centre, Stéphane Duval, a expliqué que les lieux sont saturés et que « 70 personnes sont sur liste d’attente ».
La visite a également permis une présentation du service d’accueil de jour assuré par dix travailleurs sociaux de l’association La Vie active : une moyenne de 2 200 à 2 300 repas sont servis en fin de journée, 500 à 700 personnes peuvent prendre une douche tous les jours. « Un renfort de personnel serait le bienvenu et l’on peut allègrement élargir le service », a souligné Stéphane Duval. Une mesure qui n’est pas à l’ordre du jour. « Nous procédons par tranche et par étape, a défendu Bernard Cazeneuve. Nous aurions pu survoler la jungle en hélicoptère, disperser [les migrants] et ne jamais revenir. »
Pour Véronique Devise, la présidente du Secours catholique du Pas-de-Calais, l’annonce du premier ministre est une « avancée », et « c’est une très bonne chose que l’Europe prenne conscience qu’il y a une urgence humanitaire aux frontières ». Mais la responsable s’interroge: « Il y a 3 500 personnes sur la jungle, je ne sais pas comment ils vont gérer la mise à l’abri de certains et pas d’autres. Comment dire à l’un “toi tu seras à l’abri” et à l’autre “tu restes dehors par -5 degrés”? » C’est pourquoi selon elle, « il aurait presque fallu trouver un autre lieu, ailleurs. Mettre le camp humanitaire au même endroit signifie qu’ils vont devoir gérer des tensions énormes ».
« Humanité et fermeté »
A l’occasion de son allocution, M. Valls a revendiqué une approche alliant « humanité et fermeté », comme il l’avait fait la veille à La Rochelle en clôture de l’université d’été du Parti socialiste. Depuis le début de l’année à Calais, 1 600 demandes d’asile ont été déposées et 1 200 personnes ont été renvoyées vers leur pays d’origine.
« Il faut faire cette distinction essentielle. Il y a d’une part le droit d’asile et d’autre part l’immigration irrégulière. »
Le premier ministre a redit sa volonté de mettre sur pied des « hot spots », sorte de centres permettant d’opérer un tri dans les pays d’arrivée, comme la Grèce et l’Italie. M. Valls a aussi évoqué la nécessité de créer un « centre de prévention au départ et d’aide au retour » au Niger, connu pour être un pays de transit.
M. Cazeneuve a jugé que « 60 % de ceux qui arrivent » à Calais « relèvent de l’immigration économique ». Une estimation qui ne semble cependant pas être partagée par tous. « Quand vous regardez les pays d’origine, Soudan, Érythrée, Ethiopie, Afghanistan, Syrie...peut-on dire que les populations se déplacent uniquement pour des motifs économiques ? Ça paraît peu probable », a commenté Guillaume Alexandre, le directeur général de La Vie active.
La venue à Calais de M. Valls en compagnie de deux commissaires européens revêt aussi un aspect « symbolique », a reconnu le premier ministre. Elle permet de mettre en scène une approche concertée de la crise migratoire. M. Valls a ainsi défendu l’idée d’une « étroite
coopération entre la Commission et les Etats membres et aussi les Etats candidats » tout en condamnant le fait que « de trop nombreux pays se refusent à prendre leur part. Nous ne pourrons pas l’accepter ».
« Les chiffres restent tout à fait gérables »
Frans Timmermans a lui aussi jugé que « personne ne peut se cacher, on a besoin de tout le monde », il a rappelé que « les flux migratoires vont se poursuivre » et que « les chiffres restent tout à fait gérables pour un continent de 500 millions d’habitants, a condition que nous
répondions avec unité ». L’agence Frontex parle de 340 000 arrivées en Europe depuis le début 2015.
Le vice-président de la Commission européenne a de nouveau défendu l’idée d’un « mécanisme permanent de répartition des demandeurs d’asile » en Europe. « Nous proposerons dans quelques semaines une liste de pays sûrs », a-t-il ajouté, faisant référence aux Etats candidats à l’entrée dans l’UE et dont les ressortissants ne pourraient pas prétendre à l’asile.
« Nous ferons très prochainement d’autres propositions pour garantir le retour effectif et rapide [des migrants économiques]. Les pays européens ne sont pas assez efficaces. »
Manuel Valls a abondé dans son sens en plaidant pour un « système unifié d’asile » avec une « harmonisation des règles et des niveaux de prestations ». « Nous devons réfléchir au déploiement de gardes-frontières européens », a ajouté M. Valls. A la demande de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne, une réunion des ministres de l’intérieur et de la justice européens doit se tenir le 14 septembre et permettre d’avancer dans la concrétisation de ces mesures.
La fin de la conférence de presse a été brièvement perturbée par une militante Femen. La jeune femme, le buste nu et portant des inscriptions sur son corps, a fait irruption dans la salle, faisant basculer plusieurs caméras, en criant à plusieurs reprises « Il aura fallu 200 000 morts pour retrouver votre humanité ! », en allusion au bilan de la guerre en Syrie. Elle a rapidement été expulsée puis interpellée.
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