Sunil Sharma se souvient de ce mois de mars 2014 comme d’un « tournant » dans sa vie. Ce mois-là, les 2 500 habitants de Dharnai, un village situé dans le Bihar, l’un des Etats les plus pauvres d’Inde, redécouvrent enfin l’électricité après trente-trois ans plongés dans le noir. L’explosion d’un transformateur en 1981, et l’arrivée au pouvoir d’un parti politique loin de leur être favorable, avaient anéanti chez eux tout espoir de retrouver la lumière une fois la nuit tombée. Jusqu’à ce qu’une équipe de Greenpeace leur rende visite.
L’ONG, qui milite pour l’utilisation des énergies renouvelables, veut montrer qu’en Inde, un village peut s’éclairer en se passant du charbon ou du nucléaire. Près de 400 000 d’euros sont investis dans un réseau d’une capacité de 100 kW et des dizaines de séminaires sont organisés pour aider les villageois à entretenir leur propre réseau. « Grâce à l’électricité, on a pu conserver les médicaments dans des réfrigérateurs, les enfants ont commencé à étudier tard le soir et les lampadaires solaires nous permettent d’éviter les serpents et les scorpions sur la route », se félicite Sunil Sharma.
Piratage
Depuis un an, ce chef du conseil du village vit jour et nuit avec une clé suspendue au fil sacré que tous les membres de haute caste comme lui portent autour du torse. Elle lui donne accès au centre qui gère le réseau photovoltaïque, protégé par des caméras de surveillance. « Les villageois des alentours nous envient, confie Sunil Sharma avec une pointe de fierté, et il a fallu prendre des mesures de sécurité. »
Près de 300 millions d’Indiens vivent encore sans accès à l’électricité et le gouvernement a promis de multiplier par 25 la capacité de production d’énergie solaire d’ici à 2022 pour atteindre les 100 MW. Un objectif jugé ambitieux par de nombreux experts.
Près de 300 millions d’Indiens vivent encore sans accès à l’électricité et le gouvernement a promis de multiplier par 25 la capacité de production d’énergie solaire d’ici à 2022
A Dharnai, les lampes à kérosène sont aujourd’hui rangées au placard. Un petit atelier de farine à blé a ouvert ses portes. « Et grâce à l’électricité, les machines peuvent faire le travail à notre place », s’émerveille Lal Mohan Sinha, un octogénaire qui a appris par cœur les prospectus donnés par Greenpeace pour les réciter aux villageois. Au grand bonheur des commerçants du village, les échoppes peuvent rester ouvertes jusque tard la nuit. Pour 1 à 2 euros par mois, chaque foyer qui le souhaite peut utiliser une prise et quelques ampoules.
Mais pour les habitants qui rêvent de regarder la télévision et d’utiliser des fers à repasser comme en ville, ça ne suffit pas. « Les foyers ont commencé à pirater le réseau solaire pour avoir accès à davantage d‘électricité alors que tout le monde paie le même forfait chaque mois, il n’y a pas de compteur individuel », regrette Sunil Sharma. Sur les 450 foyers qui étaient raccordés au réseau photovoltaïque en 2014, ils ne sont plus aujourd’hui que 250.
« Vraie électricité »
Les habitants ont profité de la visite du dirigeant du Bihar, Nitish Kumar, venu voir de près à quoi ressemblait le si célèbre premier village solaire d’Inde, pour lui faire part de leurs problèmes. « On lui a dit que nous voulions de la vraie électricité, se souvient Sunil Sharma, pas de la fausse électricité qui fonctionne avec des panneaux solaires et qui ne sert qu’à recharger les téléphones portables. » Placé devant le fait accompli et entouré par les caméras de télévisions, le dirigeant politique a promis de leur venir en aide. Le village est désormais raccordé au réseau électrique alimenté par des centrales thermiques à charbon qui tournent à plein régime.
En devenant le premier village entièrement solaire d’Inde, Dharnai a donc gagné une renommée qui lui a permis d’être raccordé au réseau national. Les habitants passent allègrement du courant « Nitish », du nom du dirigeant du Bihar, alimenté par les centrales à charbon, au courant « Greenpeace » qui fonctionne au solaire. « C’est une situation avantageuse, témoigne Ashok Kumar, un agriculteur qui possède des panneaux solaires sur son toit. Avec le réseau Nitish on peut utiliser les biens d’électroménager mais il y a beaucoup de coupures de courant, donc on utilise aussi le réseau Greenpeace pour s’assurer le minimum, à savoir l’éclairage et le téléphone portable. »
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