L'enfer oublié des enfants britanniques envoyés à l'autre bout du monde

L'enfer oublié des enfants britanniques envoyés à l'autre bout du monde
Une publicité de 1954 pour la Fairbridge Society qui travaillait à envoyer des enfants en Australie. (MARY EVANS/SIPA)

Une enquête publique vient d'être ouverte pour faire la lumière sur l'ampleur des agressions dont ces enfants, envoyés dans des institutions au bout du monde, ont été les victimes durant des décennies.

Par Agathe Ranc
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Ils sont plus de 100.000 à avoir été envoyés, enfants, à l'autre bout du monde, où ils ont subi des violences et des agressions sexuelles. Une immense enquête publique s'est ouverte ce lundi 27 février à Londres pour faire la lumière sur le scandale du Programme des enfants émigrés, en vigueur des années 1920 aux années 1970.

Ces enfants de 3 à 14 ans, placés dans des institutions publiques ou religieuses car orphelins ou issus de familles très modestes, ont été envoyés vers des pays du Commonwealth – Australie principalement mais aussi Canada, Nouvelle-Zélande, Afrique du sud et Zimbabwe – sans le consentement de leurs familles pour certains d'entre eux.

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L'objectif du Programme d'émigration était double : soulager des institutions surchargées et peupler les territoires d'accueil. Enlevés à leurs foyers, à leurs familles ou leurs familles d'accueil et mis dans des bateaux sans savoir où ils allaient, les enfants ont été victimes sur place de coups, d'abus sexuels et psychologiques. 

Donner les noms des agresseurs

L'enquête publique vise à comprendre l'ampleur de ces abus, mais aussi à déterminer dans quelle mesure le gouvernement avait connaissance de ces actes.  Sur les quelque 2.000 enfants émigrés toujours en vie, 22 vont témoigner durant deux semaines, à l'écrit ou lors d'audiences.

David Hill, 71 ans, auteur du livre "The Forgotten Children" ("Les Enfants oubliés") est l'un d'entre eux. Envoyé en Australie, Nouvelle-Galles du Sud en 1959 avec ses deux frères, il a témoigné ce lundi sur ce qu'il a vécu à la Fairbridge Farm School de Molong.

"Nous ne pourrons jamais revenir sur les méfaits perpétrés sur ces enfants", a-t-il déclaré, appelant les responsables de l'enquête à rendre publics les noms des auteurs des abus :

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"Nombre d'entre eux sont dans la tombe, mais cela serait très réconfortant pour ceux qui ont été leurs victimes lorsqu'ils étaient enfants qu'ils soient nommés et déshonorés."

Pour écrire son livre, David Hill a interrogé plus de 100 enfants émigrés. Selon lui, 60% de ceux qui ont vécu à la Fairbridge Farm School ont subi des abus sexuels.

Comme David Hill, Derek Moriarty a vécu à de Molong. Il a raconté à la BBC l'enfer qu'il a connu au sein de l'institution. Il dit avoir été violenté par le directeur de l'établissement de l'époque et agressé sexuellement par un membre de l'encadrement :

"J'avais 9 ou 10 ans, je n'ai pas compris." 

Après s'être échappé de l'établissement, Derek Moriarty a souffert de dépression et a mis des années à retrouver la trace de sa famille au Royaume-Uni.

Des abus systématiques

Le premier volet de l'enquête publique va porter principalement sur les migrations d'enfants organisées à partir de 1947 vers l'Australie. Cela concerne plus de 4.000 enfants.

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Pour l'avocat d'Oliver Cosgrove, un autre survivant qui a témoigné ce lundi, le fait que ces faits se soient produits il y a plusieurs décennies ne doit pas être un argument :

"Quand a-t-il été acceptable d’abuser physiquement, émotionnellement et sexuellement des enfants ? Ça ne l'est pas aujourd'hui, ça ne l'était pas à l'époque, ça ne le sera jamais."

Un rapport parlementaire de 1998 avait établi que les abus subis par les enfants envoyés en Australie étaient systématiques.

12 ans plus tard, le Premier ministre travailliste Gordon Brown avait présenté ses excuses pour le programme. Il avait notamment reconnu "le coût humain associé à cet épisode honteux de l'histoire" et "la défaillance du premier devoir d'une nation : protéger ses enfants". Les familles et les enfants victimes du programme n'ont pas reçu de compensation de la part du gouvernement britannique.

L'enquête, qui ne débouchera pas sur une condamnation mais vise à établir des faits, doit durer cinq ans.

A.R. (avec AFP)

Agathe Ranc
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