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Eva Gabrielsson : « Je ne voulais pas que “Millénium” devienne une industrie »

La compagne de l’auteur de « Millénium » revient sur l’exploitation de son travail, au moment où paraît le tome 4 de la série, signé David Lagercrantz.

Le Monde des Livres

Publié le 20 août 2015 à 14h26, modifié le 22 août 2019 à 05h41

Temps de Lecture 4 min.

Roulement de tambour : le tome IV de la saga Millénium, Ce qui ne me tue pas, paraît dans le monde entier jeudi 27 août, sous la signature non de son créateur, Stieg Larsson, mais d’un autre écrivain suédois, David Lagercrantz. Cet événement soigneusement planifié vise à relancer l’intérêt pour les aventures de Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist, dont les trois premiers tomes se sont vendus à plus de 80 millions d’exemplaires depuis 2005 (sans parler des adaptations au cinéma).

Une parution qui n’est pas du goût d’Eva Gabrielsson, la compagne pendant plus de trente ans de Stieg Larsson, mort, en 2004, d’une crise cardiaque, avant d’avoir vu publié le premier tome de son grand œuvre. Parce qu’ils n’étaient pas mariés, Eva Gabrielsson s’est retrouvée privée de l’héritage de l’écrivain. Elle s’est longtemps battue, en vain, pour obtenir les droits moraux sur cette œuvre, comme elle l’avait déjà confié à Marie-Françoise Colombani dans Millénium, Stieg et moi (Actes Sud, 2011).

Pour « Le Monde des livres », elle revient sur ses griefs et sur l’histoire de la saga.

Comment avez-vous réagi en apprenant que serait publié un quatrième volume de Millénium ?

Je n’avais pas été mise au courant d’un éventuel projet de suite. Je l’ai appris, ainsi que le choix de David Lagercrantz, par un journal, il y a environ un an. Je constate que les créateurs de vêtements sont bien plus protégés que les écrivains. En Suède, la loi sur le droit moral stipule que les intentions, le style et l’originalité des premiers doivent être préservés. Mais ceci ne s’applique pas aux seconds, morts ou vivants. J’imagine que Norstedts, l’éditeur suédois, avait désespérément besoin d’argent, malgré l’énorme profit engendré par Millénium.

L'auteur du quatrième tome de Millénium David Lagercrantz lors d'une conférence de presse à Stockholm mercredi 26 août.

Avez-vous trouvé un arrangement ­financier avec la famille ou l’éditeur ?

Ni financier ni moral. J’insiste, car je ne veux pas d’ambiguïté, je demandais uniquement la gestion des droits moraux de l’œuvre de Stieg, afin qu’elle ne devienne pas une industrie. Je n’ai jamais voulu en être propriétaire. A l’époque, j’avais pris deux avocats, l’un était spécialisé en droit de la famille, l’autre en droit moral. Ce que j’ai reçu – plutôt, ce qui m’a été rendu – est mon propre argent, provenant de nos comptes communs, et une partie des comptes épargne de Stieg, correspondant à des montants versés depuis nos comptes communs. Au bout de presque trois ans vécus dans la crainte d’être expulsée par la famille Larsson, j’ai enfin obtenu l’autre moitié de notre petit ­appartement.

L’auteure suédoise Kristina Ohlson a déclaré que la parution de « Millénium 4 » était « dégueulasse ». D’autres protestations se sont-elles élevées, même si nul n’a pu lire le ­livre avant le 27 août ?

Le couple d’écrivains qui publie sous le nom de Lars Kepler a déclaré à la télévision qu’il n’aurait jamais accepté d’écrire la suite de Millénium. Des amis de Stieg ont publié dans le Dn.se [le site du Dagens Nyheter, le quotidien le plus diffusé en Suède] une tribune dans laquelle ils la qualifient de « pillage de tombe ». Un critique littéraire du Dagens Nyheter s’est demandé si Lisbeth Salander avait vraiment besoin de David Lagercrantz… Cela me rappelle L’Ombre, un conte d’Hans Christian Andersen, dans lequel un savant célèbre est dépossédé de son existence et de son savoir par sonombre, ­jalouse et ambitieuse. Il se pourrait bien que tous ceux qui sont concernés aujourd’hui par ce quatrième volume ne soient en fait que des ombres qui attendaient d’avoir enfin une existence, fût-elle usurpée.

Comment expliquez-vous l’énorme succès des livres policiers nordiques depuis « Millénium » ?

Ce phénomène n’est pas le résultat d’un judicieux plan marketing. Ce sont les lecteurs qui ont créé ce succès. Pourquoi ? Parce que Millénium parlait de la vraie vie et de la lutte contre toutes les formes d’injustice. Tout le monde s’y retrouvait : les femmes, les victimes du racisme, de la ­finance, de l’extrême droite, de la pédophilie, etc. De nouveaux auteurs de polar se sont alors lancés avec leurs propres ­histoires.

Dans votre livre, vous avez raconté que Stieg Larsson avait écrit sur son ordinateur plus de 200 pages du ­qua­trième « Millénium », dont le titre aurait été « La vengeance de Dieu ». Savez-vous où se trouve cet ordinateur ?

Le lendemain de sa mort, j’ai demandé à son père et à ma sœur de le rapporter au journal Expo, la revue d’enquête sur l’extrême droite que nous avions fondée ensemble, Stieg et moi. Un an plus tard, mon avocat a proposé à la famille Larsson de me laisser les droits moraux des œuvres littéraires de mon compagnon. Elle a refusé, tout en réclamant l’ordinateur en échange de la moitié de l’appartement que nous avions acheté avec Stieg. C’était impossible. D’abord, parce qu’il appartenait à Expo et pas à moi. De plus, son contenu était protégé par la loi sur la liberté de la presse, puisque Stieg y conservait aussi ses articles, ses enquêtes, les noms de ses informateurs, etc. Qu’est-il devenu aujourd’hui ? Je ne sais pas.

Peut-on alors imaginer voir un jour apparaître le « vrai » quatrième ­volume de « Millénium » ?

Non. Stieg n’a jamais publié de brouillons. Respecter cette attitude est une manière de lui rester fidèle. Mais ceux qui le connaissaient bien savent qu’il prônait la vengeance comme un devoir et qu’il disait qu’il fallait toujours venger ses amis.

Propos recueillis par Marie-Françoise Colombani

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