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Friches industrielles : les enjeux de la dépollution

PROSPECTIVES. La dépollution des friches industrielles constitue un enjeu pour l'environnement, pour les territoires en quête de foncier, mais permet aussi d'accéder à des ressources minérales qui deviendront de plus en plus rares.

Avec la poussée de l'urbanisation, d'anciens terrains industriels pollués se retrouvent maintenant en coeur de ville.
Avec la poussée de l'urbanisation, d'anciens terrains industriels pollués se retrouvent maintenant en coeur de ville. (Nicolas Tavernier/REA)

Par Frank Niedercorn

Publié le 26 mars 2018 à 17:36Mis à jour le 26 mars 2018 à 17:38

Et si nos friches industrielles polluées devenaient une richesse ? Sous l'effet de la pression foncière, elles sont, en tout cas, de plus en plus vues d'un autre oeil. « Les villes se sont étendues et ces terrains industriels, jadis situés en périphérie, sont désormais en coeur de ville et constituent à la fois un risque et une opportunité », analyse Laurent Chateau, chargé de mission friches urbaines et sites pollués à l'Ademe.

Un risque, car ces sols et leur « pollution invisible » se rappellent souvent au bon souvenir des populations. En 2011, la métropole de Bordeaux a été privée d'un quart de ses ressources en eau potable en raison d'une pollution au perchlorate d'ammonium, utilisé par une filiale de Safran pour la fabrication du propergol destiné à la propulsion des missiles stratégiques et des fusées. Plus récemment, on s'est aperçu que des écoles avaient été construites, dans la première moitié du siècle dernier, sur des terrains contenant des métaux lourds, des solvants chlorés ou des hydrocarbures.

Dépollution selon l'usage

Pour éviter de reproduire les erreurs du passé, un système d'information géographique national est en train d'être constitué à partir de données apportées par les préfectures. Dès 2019, il fournira, à l'échelle cadastrale, toutes les informations connues sur la pollution des sols. Il s'agit aussi, pour les pouvoirs publics, de voir les projets de réhabilitation se multiplier.

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Depuis 2000, les spécialistes ont une doctrine simple : la dépollution est conduite en fonction de l'usage futur du site - une plate-forme logistique, par exemple, étant moins sensible que des logements ou une école. « C'est un calcul cynique et même dangereux, car l'on ne peut pas présager de l'usage futur d'un terrain. Un parking peut voir construire un immeuble », analyse Jacky Bonnemains, président de l'association Robin des Bois. « C'est le meilleur système, conteste Patrick Viterbo, président de Brownfields, une société spécialisée dans la dépollution et la valorisation de friches industrielle. L'approche, apparemment simple et consistant à appliquer une réglementation dure et unique, a abouti à l'effet inverse. »

Tiers demandeur

Pour faciliter la réhabilitation des friches industrielles, la loi Alur a créé le statut de tiers demandeur, permettant au propriétaire d'un site pollué de le transférer à un aménageur. « Avec le principe du pollueur payeur, c'était quasiment impossible. Avec ce statut de tiers demandeur, le même acteur a la responsabilité de la dépense liée à la dépollution et de la recette à travers la valorisation du site », résume Patrick Viterbo.

Son entreprise, la première à avoir bénéficié du statut de tiers demandeur, a ainsi mené la dépollution de l'ancienne raffinerie de Reichstett, à côté de Strasbourg. Après deux ans de travaux et 30 millions d'euros d'investissement, le site a été dépollué et devrait voir s'installer une trentaine d'entreprises.

Equation négative

Un cas presque idéal puisque le site, qui n'a jamais connu le statut de friche, présente un gros intérêt foncier, et les collectivités et l'Etat ont fait de gros efforts sur les plans financier et réglementaire. Le tiers demandeur, dont on attendait beaucoup, suscite pourtant moins d'engouement qu'espéré. « L'idée de départ est bonne mais le texte est mal rédigé et n'écarte pas le risque juridique, notamment pour l'ancien propriétaire », note Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement.

La situation est encore plus compliquée lorsque la pression foncière est moins forte et la valorisation du terrain plus difficile. « Il existe beaucoup de cas dans lesquels l'équation économique est négative, avec une revente du terrain qui n'équilibre pas le coût de la dépollution », reconnaît Abdelkrim Bouchelaghem, directeur général de Brownfields.

Phytoremédiation

Une autre voie existe : accepter des délais plus longs et faire confiance aux plantes. On sait, depuis les années 1990, que certaines sont douées d'étonnantes capacités pour dépolluer les sols : elles peuvent dégrader certains éléments (comme les hydrocarbures), ou même en extraire d'autres (comme les métaux).

Une fois dépollué, le matériau obtenu sert à la production de ciment.

A Creil (Oise), sur 1.000 mètres carrés de sols pollués, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) teste depuis quatre ans différentes techniques de phytoremédiation sur différents sols pollués. « Ces techniques ne sont pas encore utilisées à grande échelle. Elles demandent du temps alors que les aménageurs sont pressés, et le retour sur investissement n'est pas encore là », explique Valérie Bert, ingénieur de recherche à l'Ineris.

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Pourtant, l'industrie s'y intéresse. La société Terenvie, filiale de Serpol - un spécialiste de la dépollution - et du cimentier Vicat, construit, dans la banlieue de Lyon, un site destiné au traitement assisté par les plantes. La terre polluée est étalée en une couche d'un mètre d'épaisseur et ensemencée de luzerne. Le système racinaire de la plante et ses bactéries viennent dégrader les hydrocarbures. Une fois dépollué, le matériau obtenu sert à la production de ciment. « Il y a une logique d'économie circulaire puisque le matériau dépollué revient sur le site sous forme de ciment », résume Vincent Desroches, le directeur de Terenvie.

Se débarrasser du cuivre

La société Biomédé, qui exploite des recherches du Genopole d'Evry, associe différentes plantes pour faire absorber le cuivre, très utilisé en viticulture bio et que l'on retrouve dans le sol. Semées au printemps entre les rangs de vigne, les plantes sont fauchées au mois de juillet. « En cinq ans, on peut ramener un terrain moyennement pollué à la normale », assure Ludovic Vincent, le fondateur de l'entreprise.

L'objectif des chercheurs est d'aller plus loin en valorisant ces métaux, qui sont remontés dans la partie aérienne des plantes. C'est l'objectif de Claude Grison, directrice du laboratoire Chimie bio-inspirée et innovations écologiques (ChimEco), qui dépend du CNRS et de l'université de Montpellier : « Certains métaux, le zinc, l'étain, sont déjà en voie de raréfaction. D'autres, comme le nickel ou le manganèse, le seront bientôt. Sans parler des terres rares, introuvables en Europe. Notre objectif sera de parvenir à recycler ces métaux à travers les plantes. Elles peuvent devenir des outils de la chimie verte. C'est de l'économie circulaire. »

Terres rares

Son laboratoire a déposé 33 brevets dans le traitement des sols ou de l'eau. En Nouvelle-Calédonie, elle travaille avec Eramet à la réhabilitation des sols après l'extraction du nickel. La condition essentielle consiste toutefois à n'utiliser que des plantes endémiques déjà adaptées à cet environnement. En évitant ce qui s'est fait aux Etats-Unis, où l'on a importé d'Europe de l'Est l'alyssum murale, une plante capable de stocker plus de 100 kilogrammes de nickel à l'hectare, mais qui est devenue invasive.

Les chercheurs ont aussi travaillé à un filtre fabriqué à partir d'une poudre végétale qui se comporte comme une éponge à métaux. Le système est testé depuis plusieurs années sur l'ancien site de Saint-Laurent-le-Minier (Gard) pour filtrer l'eau polluée. « On fait coup double, puisque l'on purifie l'eau et l'on récupère des terres rares. Ces friches polluées vont devenir des ressources en métaux. Nous devons nous diriger vers ce type de solution vertueuse et durable. L'idéal serait de le faire avant d'y être contraint », prédit Claude Grison.

En chiffres

1972 Le principe pollueur payeur est adopté par l'OCDE. Il permet la prise en charge par le pollueur, des « coûts de mesures de prévention et de lutte contre la pollution ». C'est un des principes essentiels des politiques environnementales dans les pays développés. 6.600 Le nombre de sites pollués ou potentiellement pollués recensés par la base de données Basol.262.000 sites ayant eu une activité industrielle ou de service et susceptibles d'être pollués sont répertoriés par la base de données Basias. 150.000 hectares de friches industrielles seraient utilisables dans les aires urbaines. 440 millions d'euros. Le chiffre d'affaires des 40 professionnels de l'Union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS), qui représentent 70 % du marché (principalement les grands groupes).

La bible des techniques de dépollution sur Internet

La panoplie des techniques utilisées par les spécialistes de la dépollution ne cesse de s'agrandir. Elles sont toutes recensées sur le site interactif Selecpol, qui permet aux décideurs de choisir les techniques en fonction du contexte. Des techniques réparties en deux grandes catégories. La première regroupe celles consistant à agir sur le sol après l'avoir excavé à l'aide de gros engins de travaux publics. Ce sont les techniques les plus couramment appliquées. La seconde regroupe celles qui sont applicables in situ, c'est-à-dire sans toucher au terrain. On peut injecter de l'air, des bactéries ou des nutriments pour décomposer biologiquement ou physiquement les polluants et les aspirer sans détruire le sol. L'une des plus récentes consiste à confiner la pollution en injectant dans certains types de sol une mousse, comparable à du liquide vaisselle, pour bloquer les régions les plus perméables.

Frank Niedercorn

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