Lilian Thuram sera à Alençon, vendredi 15 juin : « Ce qu'il faut retenir de 98, c'est la finale qu'on gagne »

En amont de sa venue à Alençon, Lilian Thuram revient sur l'épopée des Bleus en 1998 qui l'a sacrée (comme ses coéquipiers de l'équipe de France de football)... champion du monde.

Lilian Thuram sera à Alençon, vendredi 15 juin, à l'occasion d'une soirée consacrée à la Coupe du Monde de football.
Lilian Thuram sera à Alençon, vendredi 15 juin, à l’occasion d’une soirée consacrée à la Coupe du Monde de football. (©DR)
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Vous venez fêter les 20 ans de la Coupe du Monde dans l’Orne. 20 après, quels souvenirs restent ancrés ?

« En fait, ce sont les émotions de plaisir, les émotions partagées avec les coéquipiers et avec toute la France qui restent. Ce n’est pas la journée ou le match mais c’est ce sentiment de plénitude d’avoir réalisé un rêve d’enfant. »

Il y a quand même vos deux buts face à la Croatie en demi-finale

« Oui mais je l’ai déjà dit plusieurs fois que ce n’était pas moi (rires !) C’était mon double ! Et j’ai tout fait pour qu’il revienne mais il n’est jamais revenu (rires !)  J’ai aussi pensé après cela que j’allais me lancer dans une carrière de buteur… (Rires) Parfois, les hasards de la vie font des miracles!  Très sérieusement, quand vous êtes athlète de haut niveau, ce qui vous intéresse, c’est de gagner. Donc s’il y a une chose à retenir, c’est le match contre le Brésil, en finale, que l’on gagne ».

« Parce que si j’avais marqué deux buts et qu’on ne gagnait pas la finale, ça ne servait à rien ! »

« Et sans les images, je n’aurai pas su exactement ce qui s’est passé sur cette demi-finale. Sur le terrain, j’ai bien évidemment conscience que je marque, mais pas de ce qui se passe entre les buts. Après le match vous avez des flashs mais pas tout le match en tête. Pour la célébration de cette Coupe du Monde, c’est pareil : sans les images, je ne me souviens pas ! »

Votre index sur la bouche après le 2e but face à la Croatie est un geste devenu culte ensuite. Il avait été pensé avant le match ?

« En règle général, les personnes qui réfléchissent au geste qu’ils vont faire, sont ceux qui ont l’habitude de marquer. Ce qui n’est pas mon cas. Non vraiment, sans les images, je n’aurai pas su que je m’étais mis dans cette position. C’est d’ailleurs aussi ce qui a surpris les supporters : qu’est ce qu’il a fait ? Il a marqué un deuxième but ! Mais ce n’est pas possible ! Parfois, il y a des émotions partagées car tout cela est très bizarre ! »

Stéphane Guy est l'initiateur de cette soirée
Stéphane Guy est l’initiateur de cette soirée « L’Orne fête la Coupe du Monde ». En 1998, il avait déjà organisé un événement semblable avec Raï et Kopa. (©L’Orne-Hebdo)

Vous êtes toujours en contact avec les autres champions du monde ?

« Oui bien sûr. On se croise ici et là mais, chaque année, on a aussi un moment dédié pour se retrouver. Le coach [Aimé Jacquet] est aussi présent. »

Comment expliquez-vous cette ferveur en 1998 qui a finalement rassemblé des gens de tous horizons, même parfois très éloignés du monde du foot au début de la Coupe du Monde ?

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« C’était la première fois que la France gagnait un mondial et en plus, c’était en France, donc l’émotion et la joie ont été partagées ! »

« Au début de la compétition, ceux qui adorent le foot et l’équipe de France regardent évidemment les matchs et après, c’est comme un feuilleton à suspens… »

« L’équipe de France gagne des matchs à enjeux et, petit à petit, les personnes qui s’y intéressent moins, viennent quand même regarder. Tout cela génère des émotions et comme, en règle générale, on ne regarde jamais le football tout seul, ça crée une communion et c’est extraordinaire ! »

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Peut-on croire à un nouvel engouement de cette ampleur sur cette Coupe du Monde en Russie ?

« Il faut toujours y croire ! On l’a vu au dernier championnat d’Europe, en France. On attend tous de vivre des émotions extraordinaires. Et là, 20 ans après, ce serait symbolique et donc encore extraordinaire ! Je crois d’ailleurs beaucoup à cette symbolique des 20 ans ».

Lilian Thuram intervient dans les écoles avec sa fondation d'éducation contre le racisme :
Lilian Thuram intervient dans les écoles avec sa fondation d’éducation contre le racisme : « On s’adresse aux enfants car ils moins conditionnés ». (©Actu)

Pourquoi l’équipe de France n’a-t-elle pas reproduit un tel exploit mondial depuis 1998 ?

« Si vous regardez l’histoire de la Coupe du Monde, c’est très compliqué d’en gagner plusieurs de suite et très souvent, ce sont les mêmes équipes qui gagnent. Et quand vous êtes footballeur de haut niveau, vous voyez que ça se joue dans les détails, donc c’est extrêmement compliqué de gagner Mais j’espère que ce sera le cas en Russie ! »

Un pronostic sur cette Coupe du Monde 2018 ?

« J’ai joué un tout petit peu au foot (Rires) donc je ne fais pas de pronostic ! Je peux citer les équipes favorites La France figure parmi les très grandes équipes, bien sûr ! »

Vous allez assister à la finale des U13 à Alençon. Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite devenir footballeur professionnel ?

« Il ne faut pas tout sacrifier pour devenir joueur de foot. Dans la vie, il faut, avant tout, développer une bonne estime de soi et une bonne qualité d’écoute pour progresser dans tous les domaines et en tant qu’être humain. Comprendre le monde dans lequel on vit, ça passe par l’éducation. »

Grâce à ses droits d’auteur, et avec l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, Lilian Thuram a pu éditer cette édition solidaire de son livre vendue dans les dix pays d’Afrique francophone, Madagascar et Haïti.
Grâce à ses droits d’auteur, et avec l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, Lilian Thuram a pu éditer cette édition solidaire de son livre vendue dans les dix pays d’Afrique francophone, Madagascar et Haïti. (©DR)

Quel regard portez-vous sur la starification des joueurs de foot ?

« On vit dans une société qui a besoin de créer des idoles. Ça a toujours été le cas et ça permet au foot de se maintenir comme le sport numéro un qui fait rêver ».

« Le plus compliqué aujourd’hui, c’est de savoir si l’enfant a envie de jouer au foot pour le jeu ou pour gagner de l’argent ».

« En même temps, c’est le fruit de la société dans laquelle on vit ! On dit aux enfants et même aux adultes : la priorité dans la vie, c’est de gagner de l’argent ! C’est tout le problème mais ce ne sont pas les enfants qui pensent cela au départ. »

En 2001, vous avez été transféré à la Juventus pour 240 MF. Vous étiez alors le joueur le plus cher du monde. Quel regard portez-vous sur ces sommes qui, parfois, effraient ?

« Ce sont les clubs qui fixent les prix comme pour des marchandises. Et ce n’est pas la marchandise qui décide de son prix ! Le foot, c’est le miroir de la société. Ce n’est pas le foot qui crée les problématiques. C’est la société ! Elle est de plus en plus basée sur l’argent et ça se retrouve dans le foot et dans n’importe quel type de métier ».

« Or, on a tendance à vouloir penser que tous les problèmes de la société seraient concentrés dans le foot. Ce n’est pas le cas ».

« C’est le foot qui rend visible les problèmes de la société. On dit : « Il y a du racisme dans le foot ! » Non ! Il est dans la société ! On pourrait croire qu’il y a plein de problèmes dans le foot et pas dans la société. Mais non ! »

« Le racisme s’est imposé à moi à 9 ans »

Vous avez créé votre fondation d’éducation contre le racisme en 2008. Pourquoi mettez-vous votre notoriété au service de ces combats plutôt que de faire de la pub ?

« (Rires) En réalité, ce sont des questionnements qui se sont imposés à moi. Les gens ne se rendent pas compte mais on devient blanc comme on devient noir ! »

« Je suis devenu noir à l’âge de 9 ans en arrivant à Paris. Parce qu’avant, en Guadeloupe, avec la plupart des enfants, nous avions la même couleur de peau. En arrivant à Paris, des petits enfants blancs m’ont dit que j’étais noir donc je suis devenu noir à ce moment et eux, blancs ! »

« Ils me disent aussi, à ce moment, que je suis inférieur à eux à cause de ma couleur de peau. Je me suis alors demandé ce qu’était le racisme, qu’être blanc ? Ou noir ? C’est là que j’ai compris que c’était lié à l’histoire, à la culture, et que ce n’était pas quelque chose de naturel. C’est une construction historique, politique liée à l’histoire économique donc c’est intéressant d’expliquer les conditionnements qui nous amènent à reproduire les schémas culturels. Très souvent, la culture se fait par habitude. Et comme la société a toujours du mal à changer, il y a des luttes contre les inégalités. Voilà pourquoi, au sein de ma fondation, j’ai envie d’inviter les gens à se questionner. Car le plus triste, c’est de reproduire la discrimination sans se poser de questions… »

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Il faut éduquer donc ?

« Il faut éduquer pour pouvoir comprendre, changer et s’émanciper. Avec la fondation, on intervient auprès des enfants car ils sont moins conditionnés. On les invite à se questionner sur les mécanismes de domination, comment ne pas reproduire les schémas et expliquer qu’il y a un conditionnement qui nous amène à le faire. »

Vous avez déclaré que le racisme diminuait…

« Mon grand-père est né en 1908, 60 ans après l’abolition de l’esclavage. Il y avait donc plus de racisme à cette époque qu’aujourd’hui. Il faut se mettre d’accord sur ce qu’est le racisme. Celui de la couleur de peau diminue parce qu’il y a, aujourd’hui, davantage de personnes de couleur blanche qui ont conscience qu’il faut détruire le racisme, qu’on ne peut plus accepter. En France, par exemple, il y a moins de sexisme et d’homophobie aujourd’hui qu’hier mais ça ne veut pas dire que, parce qu’il y en a moins aujourd’hui, il ne faut rien faire et ne pas le dénoncer. »

« Et c’est bien de partir d’un constat qui prouve que les choses ont changées car si vous dites aux enfants que les choses n’ont pas changé, vous finissez par dire qu’il n’y a rien à faire ! »

« Oui, le racisme existe encore mais heureusement, des gens de bonne volonté l’ont combattu et aujourd’hui, nous devons continuer de le combattre. »

Lilian Thuram : "Il est important pour moi, quand on parle d’éducation, d’enrichir les connaissances car plus vos connaissances sont amples, plus vous avez une réflexion pointue."
Lilian Thuram : « Il est important pour moi, quand on parle d’éducation, d’enrichir les connaissances car plus vos connaissances sont amples, plus vous avez une réflexion pointue. » (©Actu)

Vous sortez le numéro 2 de la BD « Tous Super Héros ». Que raconte-t-elle ?

« C’est une réflexion autour d’un thème d’actualité, la migration, pour donner à comprendre aux enfants le pourquoi des choses et pourquoi tout au long de notre vie, on doit continuer à se poser des questions. Pourquoi il y a des réfugiés climatiques et des réfugiés de guerre ? Pourquoi il y a des migrants et que devons-nous développer comme idée de société ? Moi, je crois à l’idée de la solidarité. Si on regarde l’Histoire, c’est la chose la plus importante pour un être humain. Il faut vraiment éduquer les personnes à être conscient que les sociétés se sont toujours construites sur des solidarités. »

Vous avez reçu le prix Seligmann contre le racisme en 2010 pour votre livre « Mes étoiles noires : de Lucy à Barack Obama ». C’est une juste récompense pour votre combat ?

« Ce serait très prétentieux de ma part de penser que c’est une juste récompense ! J’ai été très heureux du prix Seligmann et, depuis, je rencontre beaucoup de professeurs qui travaillent avec ce livre auprès des enfants et qui me disent qu’il a changé leur façon de penser. Souvent, on renvoie l’histoire des populations noires à partir de l’esclavage. L’idée de ce livre, c’était de présenter des hommes et des femmes qui vont raconter une autre histoire. Et il est important pour moi, quand on parle d’éducation, d’enrichir les connaissances car plus vos connaissances sont amples, plus vous avez une réflexion pointue. »

Où ? Quand ? Quoi ?
L’Orne fête la Coupe du monde, vendredi 15 juin à 19 h 30 au parc Anova d’Alençon. Soirée animée par Stéphane Guy (journaliste à Canal +) en présence des footballeurs Lilian Thuram, Roger Lemerre, Habib Beye, Gilles Grimandi et de l’humoriste Julien Cazarre. Gratuit (sur présentation d’un billet d’entrée à retirer au district de l’Orne de football, au Conseil Départemental de l’Orne ou dans les agences du Crédit Agricole d’Alençon).

L'Orne fête a Coupe du Monde de football, vendredi 15 juin, au parc Anova d'Alençon
L’Orne fête a Coupe du Monde de football, vendredi 15 juin, au parc Anova d’Alençon (©DR)

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