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La Turquie ou la RDC, futurs clients des armes suisses?

Exporter des armes vers des pays en guerre civile? C'est ce qu'a annoncé le Conseil fédéral le 15 juin, suscitant de nombreuses critiques. Dans une décision de principe, il a souligné la nécessité d'«adapter» l'ordonnance sur le matériel de guerre (OMG) afin de «prévoir la possibilité d'autoriser, sous certaines conditions, des exportations vers des pays impliqués dans un conflit armé interne». La durée de validité des permis doit aussi être doublée à deux ans.

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L'OMG interdit pour l'heure les envois d'armes «si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international». L'an dernier, le Secrétariat d'État à l'Économie (SECO) a ainsi rejeté 48 deals d'une valeur de 20 millions de francs. S'estimant défavorisés par rapport aux concurrents internationaux, les fabricants ont fait du lobbying pour alléger les contraintes, au moins pour les conflits internes. De nouveaux marchés vont donc s'ouvrir, mais pas en Syrie ni au Yémen, pour lesquels l'ONU a décrété des embargos sur les armes. Où, alors? Selon Fabian Maienfisch, porte-parole du SECO, il est trop tôt pour donner des exemples concrets. «La modification de l'ordonnance est en cours d'élaboration. En principe, cependant, une licence ne peut être accordée que s'il n'y a aucune raison de supposer que les armes seront utilisées dans des conflits internes.» C'est ce tour de passe-passe qui est utilisé pour fournir des armes à des pays comme l'Arabie saoudite (lire encadré). D'ailleurs, si l'assouplissement est possible pour les conflits internes, c'est parce que le droit de la neutralité ne s'y applique pas.

Du côté de ceux qui soutiennent la révision de l'ordonnance, on se garde bien de donner les noms de ces débouchés. «Il n'y a pas un pays plutôt qu'un autre», esquive Philippe Zahno, secrétaire général du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité. Il ajoute que l'intention de la branche n'est pas de faire «n'importe quoi». Les exemples fusent plus facilement à gauche de l'échiquier politique. «Le premier pays qui me vient en tête, c'est la Turquie, où il existe depuis des décennies un conflit interne avec les Kurdes», songe le conseiller national Carlo Sommaruga (PS/GE). La Suisse y livre déjà du matériel de guerre. Mais l'an dernier, un gros contrat a notamment été refusé à l'entreprise thurgovienne Mowag, comme l'a révélé «Le Matin Dimanche». Il portait sur 200 véhicules blindés destinés à la protection des frontières. En 2017, le SECO a aussi mis son veto à des livraisons vers le Mali, la Chine, l'Équateur, le Mexique, le Koweït ou l'Indonésie. Pourra-t-il toujours le faire une fois l'ordonnance revue et corrigée? Pas sûr.

«Le Conseil fédéral n'ose pas aller contre une mesure de l'ONU en ce qui concerne le Yémen et la Syrie, mais quand il s'agit de conflits moins médiatisés et dont les Nations Unies ne se saisissent pas pleinement, la Suisse en profite pour faire du commerce de matériel de guerre. C'est scandaleux et immoral»

«On pourrait aussi imaginer des ventes d'armes dans un pays comme la République démocratique du Congo (RDC), où un conflit est en cours mais auquel on ne pense pas forcément, s'inquiète Youniss Mussa, secrétaire romand du Groupe pour une Suisse sans armée. Le Conseil fédéral n'ose pas aller contre une mesure de l'ONU en ce qui concerne le Yémen et la Syrie, mais quand il s'agit de conflits moins médiatisés et dont les Nations Unies ne se saisissent pas pleinement, la Suisse en profite pour faire du commerce de matériel de guerre. C'est scandaleux et immoral.» Un embargo sur les armes a été décrété par l'ONU vis-à-vis de la RDC, mais uniquement en ce qui concerne les forces armées non gouvernementales. La Suisse n'y exporte pas pour l'instant.

«Scandaleux.» L'adjectif revient dans la bouche de la vice-présidente des Verts, Lisa Mazzone. «Il y aura encore moins de restrictions qu'actuellement pour livrer vers des pays comme l'Arabie saoudite», déplore la Genevoise, pour qui la politique actuelle est déjà beaucoup trop libérale. Elle critique au passage qu'aucune consultation ne soit prévue. Selon le Conseil fédéral, toutefois, la modification de l'ordonnance «ne constitue pas un projet de grande portée qui exigerait une procédure de consultation».