Au sein du peloton du World Tour, on recensait jusqu’alors deux équipes moyen-orientales : Bahrain-McLaren et UAE-Emirates, du phénomène slovène Tadej Pogacar. En 2020, une nouvelle venue a intégré l’élite du cyclisme mondial, venant d’un pays moins connu pour investir dans le sport. Depuis le grand départ de Nice, l’équipe israélienne Israel Start-up Nation prend part à son premier Tour de France.
Des débuts discrets, sans victoire d’étape ni podium à deux jours des Champs-Elysées. Mais ses coureurs ont accroché plusieurs places d’honneurs (cinq fois dans le top 10), dont trois pour le sprinteur français Hugo Hofstetter (4e, 7e et 8e). Son leader, l’Irlandais Dan Martin, occupe la 42e place au classement général.
Mais en plein Tour de France, le 9 septembre, un coureur de l’équipe, Itamar Einhorn, est devenu le premier Israélien à remporter une victoire sur une course UCI, lors du Tour de Solidarnosc (Pologne).
En juillet, la formation a fait parler d’elle grâce à un drôle de coup. La signature du quadruple vainqueur du Tour, Chris Froome, en fin de cycle au sein de l’équipe Ineos-Grenadiers. « Froomey », finalement non retenu pour la 107e édition, démarrera cette nouvelle aventure en 2021.
A 35 ans, le Britannique apparaît hors de forme et loin de son meilleur niveau un an après sa grave blessure sur le Critérium du Dauphiné. Si sa capacité à rivaliser avec les meilleurs interroge, son recrutement offre un indubitable coup de projecteur à sa nouvelle équipe.
Des renforts pas de prime jeunesse
A la différence de l’investissement étatique des monarchies du Golfe – notamment le Qatar ou les Emirats arabes unis dans le football – l’équipe Israel-Start-up Nation doit son émergence à deux philanthropes, Sylvan Adams et Ron Baron.
Plusieurs fois médaillé mondial vétéran sur piste et passionné – il a financé un vélodrome et des pistes cyclables à Tel Aviv –, Adams avait déjà fait des pieds et des mains pour attirer Froome en 2018. Mais sur le Giro, dont le départ avait été donné en… Israël.
Certaines sources avaient évoqué une contrepartie financière. L’homme d’affaires canadien, qui a fait son alya (émigration vers Israël) il y a cinq ans, avait financé une partie de cette première historique.
Lionel Marie, directeur sportif d’Israel Start up Nation, revient sur le recrutement le plus surprenant du mercato 2020. « Il a dû recevoir des propositions d’autres équipes, je ne sais pas si c’est seulement l’argent, peut-être que le projet qui lui a été proposé l’a convaincu. L’ambition sera de gagner le Tour. Peut-être a-t-il l’ambition d’en gagner six, ce qui serait une bonne chose pour nous », ose le Français. Ancien équipier de Froome chez Sky, le Finlandais Kjell Carlström a joué les entremetteurs pour convaincre le coureur né au Kenya.
« Chaque année on grandit. On a plus de podiums et de victoires, de meilleurs coureurs. Froome est le plus titré du peloton. Il a besoin d’aide car on veut qu’il remporte des grands Tours et des étapes. Notre budget va augmenter, certifie Ron Baron. Avec le Covid, des équipes ont des problèmes. Nous sommes la seule à se développer. On va engager de super coureurs. »
Pour le moment, cette annonce ressemble plus à un vœu pieux qu’à une réalité. Les renforts ne sont pas de prime jeunesse. A l’image de l’Italien Alessandro De Marchi (CCC), 34 ans, qui a signé cette semaine. C’est aussi l’âge de Dan Martin, actuel leader de l’équipe, qui n’est pas venu sur la Grande Boucle cette année pour jouer le classement général.
L’Irlandais défend la venue de Chris Froome et son propre choix : « Sa venue me conforte dans mon choix qui avait surpris les gens. Chris a la même ambition que moi. On a dû lui tenir le même discours qu’à moi : “On croit en toi”. Quand Sylvan [Adams] te parle, tu ressens du respect de la confiance, une approche du cyclisme qui me convient. J’ai couru 15 ans contre Froome, on a toujours échangé. Je mentirais si je dis que je ne suis pas surpris mais je suis très content. »
« En persévérant, les choses impossibles deviennent normales »
C’est en 2014, sous le nom de Cycling academy, qu’a débuté ce projet grâce à la rencontre entre Ron Baron et Ran Margaliot, premier cycliste pro israélien. L’équipe est d’abord une « très petite et modeste » équipe continentale avec « des coureurs locaux et d’Europe de l’est. »
Avec l’arrivée de Sylvan Adams, le projet prend une autre dimension financière, sportive mais aussi en termes de communication. Ron Baron ne s’en cache pas : « Au départ, le nom de l’équipe ne contenait pas la mention Israel. On n’aurait pas eu assez de coureurs. Maintenant, ce projet est devenu la meilleure promo pour Israel. Les gens voient chaque jour le nom de notre équipe à la télévision pour une chose normale, pas à propos du Liban, pas corrélée à la sécurité ou à Netanyahou (premier ministre). »
En 2018 sur le Giro, Guy Niv et son compatriote Guy Sagiv sont devenus des pionniers, les premiers Israéliens à courir un Grand Tour. Cette année, Niv, qui s’est reconverti du VTT à la route en 2017, est le premier à disputer le Tour de France. « Israel Start up Nation a été créé pour permettre aux coureurs israéliens d’aller au plus haut niveau. L’identité de l’équipe est israélienne. C’est important d’avoir des coureurs israéliens », explique-t-il.
Au Moyen-Orient, le soft power est devenu indissociable du sport professionnel. Au début de l’année, l’équipe a participé au Tour des Emirats arabes Unis, un Etat avec lequel Israel n’avait alors pas de relations officielles (elles ont été entérinées cette semaine). « Nous avons été accueillis par le Cheikh. C’est un bon signe, se félicite Ron Baron. Au début, ils n’étaient pas très heureux. Ça pose un problème de sécurité pour eux. Puis, finalement, ils nous ont acceptés. Il faut persévérer et la prochaine fois, les choses impossibles deviennent normales. »
Le copropriétaire prévient ceux qui pourraient être choqués par le mélange entre sport et promotion d’un pays : « On va être là pour plusieurs années. Je pense que c’est une bonne nouvelle pour le cyclisme et j’espère qu’on va nous aimer. » Même sans avoir brillé sur les routes de France, ils ont fait passer le message.
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