Salon de la photo : «Je suis né dans le café», confie Sebastião Salgado

L'immense photographe brésilien était vendredi au Salon de la photo, à Paris, où deux expositions lui sont consacrées, dont une sur la culture de l'arabica.

Paris (XVe), mercredi. «Je voulais montrer que chaque grain a été touché par la main de l’homme», explique Sebastião Salgado.
Paris (XVe), mercredi. «Je voulais montrer que chaque grain a été touché par la main de l’homme», explique Sebastião Salgado. IP3 PRESS/ MAXPPP/ LUC NOBOUT

    Ses sourcils en broussailles cachent ses yeux bleu fjord. Son éternel sac à dos à l'épaule, jusque dans le hall du Salon, le Brésilien Sebastião Salgado, monstre sacré de la photographie, débarque d'Amazonie pour trois jours - avant de revenir le 6 décembre à Paris, où il sera fait chevalier des Arts et des Lettres. A 73 ans, avec quarante années de photo derrière lui, l'infatigable globe-trotteur a parcouru 130 pays pour fixer ces puissantes images en noir et blanc. Pour souffler ses 10 bougies, le Salon de la photo célèbre jusqu'à lundi cette légende à travers deux expositions : 350 images issues des collections de la Maison européenne de la photographie et «Parfum de rêve», consacrée à sa passion du café.

    Vous buvez du café ?
    Sebastião Salgado.
    Non. L'expresso est trop acide. Je suis du groupe sanguin 0+, celui des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, et on a la digestion délicate. Mais j'adore son odeur.

    Pourquoi travailler douze ans sur le café ?
    C'est mon enfance. Mon père avait une petite industrie où on préparait le café pour l'exportation. Il allait le chercher dans les fermes, où je restais plusieurs jours avec des gamins de mon âge. Je cousais les sacs de jute. Quand j'ai revu une machine à décortiquer les grains... mes poils se sont dressés ! Le café est revenu à moi, parce que la famille Illy, une petite entreprise italienne, m'a commandé ce projet environnemental autour des plantations dans le monde. Ensemble, on a fait un livre et planté des dizaines de pépinières.

    Vous avez traversé des centaines de pays pour photographier les plantations...
    Trois continents. Partout la même altitude, les mêmes lumières, les mêmes ciels chargés, les mêmes gestes... Je ferme les yeux en Tanzanie et je suis en Chine ou au Guatemala.

    Qu'est-ce que vous voulez montrer ?
    Que cette boisson qu'on boit à Tokyo, New York ou Djakarta, ne provient pas d'un bar ni d'un hypermarché. Que chaque grain a été touché par la main de l'homme... Sur cette photo, ce sont des Indiens de la Sierra Santa Marta en Colombie. C'est une famille qui lave son café, des gens qui vivent d'une agriculture paisible et douce parce que pour faire un bon produit il faut soigner la terre.

    «Je ferme les yeux en Tanzanie et je suis en Chine ou au Guatemala»

    Quelle est votre photo favorite ?
    Je n'ai pas de photos préférées. Parce que je passe des jours et des jours à vivre avec les gens. A la fin, ça devient ma vie. Je ne peux pas dire qu'un jour est plus important qu'un autre. C'est comme pour mes enfants. Lequel j'aime le plus ? Je ne sais pas. Dans ces images, il y a ce que j'ai mangé, ce que j'ai vécu, quand je suis fatigué, quand je ris... Le résultat de tout ça devient une image. Les gens regardent la photo. Moi, je regarde mon morceau de vie à ce moment-là. Je me rappelle de tout.

    Comment supportez-vous les privations liées aux déplacements ?
    Quand j'ai faim, je souffre de la faim. Mais le plaisir d'être intégré aux gens que je photographie l'emporte. Je rentre du Brésil où j'étais avec des Indiens de la tribu Suru Wara, qui ont eu très peu de contacts avec l'homme blanc. On a dormi par terre sous une bâche pendant un mois, on a été bouffés par les insectes. Au retour, mon assistant était épuisé et moi, je revenais de vacances !

    Comment choisissez-vous vos sujets ?
    J'ai couvert la guerre parce qu'il fallait que j'y sois idéologiquement. Je viens d'un pays pauvre, où les gens souffrent. Je photographie le monde dans lequel j'ai grandi. Quand j'étais avec les réfugiés en Afrique, j'étais révolté contre la situation. Il fallait que je montre que ces êtres humains sont aussi beaux et dignes que nous.

    Dans cette vie de nomade, qu'avez-vous gagné ?
    Pendant quarante ans, j'ai lié ma photo aux moments historiques que je trouvais important. Très peu de gens ont cette chance.

    Qu'avez-vous perdu ?
    Je n'ai pas vu mes enfants grandir, mais j'ai cinquante-trois ans de vie commune avec ma femme. A presque 74 ans, si je devais recommencer ma vie, je referais presque la même chose. J'ai connu 130 pays, je connais bien notre espèce.

    Vous allez arrêter un jour ?
    Le voyage, c'est comme la bicyclette : si tu t'arrêtes de pédaler, tu tombes. Et j'adore l'avion ! Je voulais être pilote, j'ai appris à piloter. J'ai même eu un accident il y a cinq ans, mais je ne suis pas mort... parce que ce n'était pas mon moment. On était deux, panne d'essence, l'avion est tombé. Dans ces quelques secondes, je me suis préparé à mourir. A l'impact, des fils barbelés ont miraculeusement ralenti la chute, comme un filet. J'ai ouvert les yeux : on était vivants. Tout était détruit autour de nous. La carlingue allait exploser. J'ai détaché nos ceintures. On a couru.