Diplomatie : les dirigeants éthiopien et érythréen font la paix à Asmara

À l'heure où l'Afrique fait parler d'elle pour ses conflits interminables, l'Éthiopie et l'Érythrée ont enterré la hache de guerre, ce 8 juillet.

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C'est la première fois en vingt ans qu'un aéroport de la compagnie Ethiopian Airlines atterrit à Asmara. L'un des symboles forts du rapprochement entre les deux États voisins. 

C'est la première fois en vingt ans qu'un aéroport de la compagnie Ethiopian Airlines atterrit à Asmara. L'un des symboles forts du rapprochement entre les deux États voisins. 

© DR

Temps de lecture : 6 min

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed s'est rendu ce dimanche 8 juillet à Asmara pour une rencontre historique avec le président érythréen Isaias Afwerki, destinée à mettre un terme à des années d'hostilité entre les voisins de la Corne de l'Afrique. Voici les informations à retenir.

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Des images fortes

Lors d'une scène inimaginable il y a encore quelques semaines – les plus hauts dirigeants des deux pays ne s'étaient pas retrouvés depuis près de vingt ans –, Abiy Ahmed est descendu d'un avion d'Ethiopian Airlines à l'aéroport d'Asmara, saluant le président Isaias et le prenant dans ses bras, avant que les deux hommes ne foulent un tapis rouge. Ils se sont dirigés vers le lieu d'un entretien sans faire de commentaire.

La télévision officielle de l'Érythrée a montré les deux dirigeants, qui ont récemment amorcé un rapprochement, s'étreignant dans la capitale érythréenne, tandis que le chef de cabinet de M. Abiy, Fitsum Arega, déclarait sur Twitter : « La visite offre une occasion extraordinaire pour promouvoir la paix pour le bien de nos peuples. »

Nous nous sommes mis d'accord pour la reprise du trafic aérien et naval, pour la circulation des personnes entre nos deux pays et la réouverture des ambassades", a déclaré Abiy Ahmed, à l'issue de discussions avec le président Issaias Afwerki.

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Le sommet de dimanche fait suite à l'annonce par Ahmed Abiy, le mois dernier, de la volonté de l'Éthiopie de céder à l'Érythrée un territoire frontalier disputé qu'elle occupe toujours malgré un jugement d'une commission indépendante internationale soutenue par l'ONU datant de 2002.

En finir avec une guerre inutile...

Le refus de l'Éthiopie continuait de bloquer les relations bilatérales, bien que les deux frères ennemis aient mis fin aux hostilités après une guerre qui les a opposés entre 1998 et 2000 et fait quelque 80 000 morts.

Cette guerre s'est inscrite dans le contexte d'un conflit plus ancien encore. Ancienne province éthiopienne sur la mer Rouge, l'Érythrée a déclaré son indépendance en 1993 après avoir chassé les troupes éthiopiennes de son territoire en 1991 au terme de trois décennies de guerre.

Les relations bilatérales se sont envenimées, un contentieux sur la délimitation de leur frontière commune dégénérant en guerre ouverte cinq ans plus tard.

C'est l'arrivée au pouvoir à Addis-Abeba en avril du Premier ministre Abiy, 42 ans, qui a ouvert la voie au dégel des relations.

Le nouveau dirigeant a amorcé un train de réformes sans précédent depuis plus de 25 ans dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique. Au nombre de ces bouleversements figurait l'annonce début juin de son intention d'appliquer l'accord de paix d'Alger signé en 2000 avec l'Érythrée et les conclusions de la commission internationale sur la démarcation de la frontière.

L'Érythrée est-elle prête à la réconciliation ?

Bien accueillie par le chef de l'État érythréen, cette initiative a débouché sur l'envoi fin juin à Addis-Abeba d'une délégation érythréenne de haut niveau.

La promesse du Premier ministre d'un retrait éthiopien de la zone contestée, dont la ville symbole de Badme, accordée à l'Érythrée en 2002, ne s'est pas encore concrétisée sur le terrain où les dernières hostilités remontent à deux ans à peine. En juin 2016, un violent accrochage avait opposé les deux armées à la frontière, les Érythréens affirmant avoir tué plus de 200 soldats éthiopiens et Addis-Abeba rappelant qu'elle avait « la capacité de mener une guerre totale ».

Mais en répondant à la main tendue du Premier ministre éthiopien, le président Isaias a tranché avec ses habituelles diatribes. À la tête depuis 1993 d'un des régimes les plus fermés et les plus répressifs au monde, il justifie depuis des années l'emprisonnement de dissidents et la conscription obligatoire par la nécessité de se défendre contre l'Éthiopie.

Le président Isaias prend un risque, car un rapprochement pourrait le contraindre à ouvrir l'espace politique dans son pays. Mais il n'a peut-être pas d'autre choix, son attitude passée à l'égard d'Addis-Abeba ayant mené l'Érythrée dans l'impasse. Accusé de violations des droits de l'homme, son régime a longtemps été tenu pour paria par la communauté internationale. Et la conscription a poussé une grande partie de la jeunesse érythréenne à émigrer.

« Avec Abiy, il n'y a pas d'animosité personnelle », souligne à l'AFP le Français Marc Lavergne, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Qu'a l'Érythrée à gagner d'un accord de paix ?

Le statu quo des deux dernières décennies n'a servi aucun des deux pays et, des deux côtés de la frontière, les gens plaident pour la paix. « Les deux pays profiteront certainement beaucoup d'un retour à la normale, mais l'enjeu pour l'Érythrée est énorme », estime M. Abraham. « L'Érythrée va y gagner beaucoup, car elle va être prise dans l'élan économique éthiopien », approuve le chercheur français.

Deuxième pays le plus peuplé d'Afrique, doté de la croissance la plus dynamique du continent, l'Éthiopie représente un marché attrayant pour l'Érythrée, dont 80 % de la population vit encore d'une agriculture de subsistance, selon la Banque mondiale.

Asmara pourrait tenter de faire payer l'utilisation des ports de Massawa et Assab à l'Éthiopie, qui depuis l'indépendance de l'Érythrée n'a plus d'accès à la mer et dépend de Djibouti pour son commerce.

L'Érythrée espère aussi que sa bonne volonté sera récompensée par une levée des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptées en 2009 en raison notamment de son soutien présumé aux islamistes somaliens shebab. « Il est probable que l'amélioration des relations entre l'Éthiopie et l'Érythrée favorisera la réintégration de l'État érythréen sur la scène internationale », estime Michael Woldemariam, enseignant à l'université de Boston.

Quel rôle a pu jouer la communauté internationale dans ce rapprochement

L'administration Obama était particulièrement hostile à l'Érythrée. Mais Asmara pourrait avoir trouvé une oreille plus attentive sous le président Donald Trump. La militarisation croissante de la mer Rouge, avec l'intrusion des pays du Golfe et de la Chine dans la corne de l'Afrique, est source d'inquiétude.

Fin avril, le sous-secrétaire d'État américain en charge de l'Afrique, Donald Yamamoto, a effectué la première visite d'un haut responsable américain en Érythrée depuis des années. « En raison des développements géopolitiques dans la région de la mer Rouge – avec la présence de la Chine à Djibouti en particulier –, les États-Unis ont intérêt à normaliser les relations avec l'Érythrée », avance Michael Woldemariam.

Le président Isaias, qui depuis toujours a « un tropisme mer Rouge », pourrait aussi avoir subi la pression des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite, explique Marc Lavergne, selon qui « l'Érythrée est sous perfusion financière de ces pays ». D'abord proche du Qatar, le dirigeant érythréen s'est rapproché de Riyad et d'Abu Dhabi à partir de 2015. Les émirats ont même utilisé le port d'Assab pour la guerre au Yémen.

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