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Brit School, l'école de la Brit Pop

L'artiste Adele ne serait pas devenue la star que l'on connaît sans cet établissement public et gratuit qui continue d'alimenter l'industrie du spectacle en jeunes talents. On y développe non seulement leur sensibilité, mais aussi des techniques de gestion de leur carrière. Un pas de danse à Croydon.

Au-delà de l'enseignement académique, il s'agit d'apprendre aux jeunes les ressorts du marketing ou l'art de décrypter un contrat.
Au-delà de l'enseignement académique, il s'agit d'apprendre aux jeunes les ressorts du marketing ou l'art de décrypter un contrat. (©Jérémie Souteyrat pour Les echos Week-End)

Par Alexandre Counis

Publié le 25 oct. 2019 à 10:35

À première vue, cela ressemble à un lycée classique, peut-être un peu plus joli que les autres. Des grands murs percés de hublots futuristes et des superstructures métalliques, surplombant un bâtiment recouvert de baies vitrées. Mais en poussant la porte de la Brit School, à Croydon au sud de Londres, on comprend vite que tout, ici, diffère d'un établissement traditionnel. Le cursus, l'ambiance, les étudiants. « Je n'ai jamais rien vu de pareil au monde », aurait dit Tim Cook, le patron d'Apple, après l'avoir visitée.

Sur les bancs de cette école publique, qui enseigne les arts du spectacle, se sont assises Adele, Amy Winehouse, Kate Nash ou encore Katie Melua. De même que les acteurs Tom Holland (Spiderman), Rob Emms (War Horse) ou Blake Harrison (The Inbetweeners, série et film cultes). Des groupes comme Noisettes ou The Kooks n'auraient probablement, sans elle, jamais existé. Dans le hall d'entrée de l'établissement, à gauche de l'accueil, les photos des anciens élèves devenus stars de la musique, du théâtre ou du cinéma s'étalent sur le mur. Un « hall of fame » qui fait la fierté de la direction et la motivation des 1 400 élèves, âgés de 14 à 19 ans.

Valoriser l'originalité

Tous n'occuperont pas le haut de l'affiche. L'école forme aussi des producteurs, des éclairagistes, des habilleurs ou encore des régisseurs. Car la Brit School veut aussi être, pour l'industrie du divertissement qui contribue tant au soft power britannique, un réservoir de main-d'oeuvre spécialisée. « Plus de la moitié de nos étudiants ne sont pas destinés à travailler sur la scène mais derrière », indique le directeur de l'école, l'ex-directeur de théâtre Stuart Worden. « Sept ans après avoir été diplômés, 70 % de nos étudiants oeuvrent dans l'industrie créative, et 99 % ont un emploi », peut-il se targuer. Une réponse factuelle à Margaret Thatcher qui, à l'époque de sa création en 1991, ne voulait pas de nouvelle « école pour les artistes au chômage ».

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Oubliez les uniformes ; ici, on cultive la diversité. On invite les élèves à être, sans retenue, tout simplement eux-mêmes. Tant pis (ou tant mieux) pour les tenues totalement excentriques et les coiffures radicalement hors normes. L'originalité n'est pas seulement le moyen de se faire remarquer par un producteur, ou de se différencier sur les plates-formes de streaming. Elle est aussi célébrée comme signe de liberté et même de détermination artistiques.

L'ex-DJ Richard Russell, qui signa le premier contrat d'Adele, a raconté combien il fut séduit par la personnalité de la jeune londonienne autant que par sa musique, alors qu'elle n'avait encore que 17 ans. « Elle avait une idée extrêmement précise de ce qu'elle voulait faire. Elle est incroyablement concentrée sur l'objectif », a-t-il un jour confié. « Je crois que je dois complètement à la Brit School d'avoir fait de moi ce que je suis aujourd'hui », a remercié Adele.

Une formation pour les Londoniens

Dans les couloirs, tout respire la créativité. Deux étudiants font un boeuf à la guitare pendant qu'on interviewe le directeur, ce qui nous contraint à poursuivre la discussion dans un endroit plus calme. Deux jeunes filles d'une quinzaine d'années se donnent des conseils de chorégraphie sur la piste de danse du studio dédié aux comédies musicales.

Un peu plus loin, installé derrière sa console de mixage au balcon de l'un des deux théâtres de l'école (l'un compte 325 places assises, l'autre 280), un ado d'une quinzaine d'années, casque vissé sur la tête, orchestre minutieusement la sono du spectacle donné en contrebas par des élèves qui, grimés en ours polaires, s'activent sur une scène en forme de banquise, à l'occasion d'une journée portes ouvertes pour les enfants du quartier.

La Brit School est l'une des trois seules écoles des arts numériques et du spectacle qui soient, en Angleterre, intégralement gratuites - les deux autres sont situées dans les West Midlands, la région autour de Birmingham. C'est de loin la plus ancienne et celle qui offre le plus large éventail de disciplines. Elle est très tournée vers Londres puisque ses statuts ne l'autorisent pas à accueillir plus de 10 % d'étudiants venant du reste du pays. Prise d'assaut car sans frais, elle n'est accessible qu'à l'issue d'un concours d'entrée draconien, où seul un candidat sur trois est accepté.

Richard Branson et Paul McCartney de la partie

Au commencement de cette école pas comme les autres était Mark Featherstone-Wity. Inspiré par le film d'Alan Parker, Fame (1980), il souhaite dans les années suivantes créer un établissement secondaire sur le modèle de celui de la Guardia, à New York. Avec l'aide de George Martin, le producteur des Beatles, il convainc les leaders de l'industrie du disque britannique de soutenir le projet. Richard Branson, alors patron de Virgin Records, accepte de rejoindre l'aventure à condition que les autres labels suivent. Ils suivront.

En 1989, ils fondent le « British Record Industry Trust », fonds qui contribuera à financer l'école. Des artistes comme Paul McCartney et Eric Clapton, mais aussi des groupes comme The Pink Floyd, The Who, Tears for Fears, Dire Straits ou encore Genesis acceptent de participer à un concert de charité. De quoi financer la naissance de l'école, qui ouvre en septembre 1991. L'Etat apportera le reste.

À l'époque, le gouvernement conservateur a déjà identifié le secteur comme l'un des principaux moteurs de l'économie (les industries créatives pèsent aujourd'hui 101 milliards de livres dans le PIB et croissent deux fois plus vite que lui). Un ministre de l'éducation de Margaret Thatcher, Kenneth Baker, vient tout juste de pousser un nouveau programme, les City Technology Colleges, qui offre à l'école un statut novateur, sous le contrôle direct du ministère mais avec une part de financement privé.

Des diététiciens aux spécialistes en dyslexie

Aujourd'hui, le Brit Trust, alimenté par des événements comme les Brit Awards - l'équivalent des Victoires de la musique -, finance entre 5 % et 10 % du budget annuel (soit environ 500 000 livres par an) qui, en 28 ans d'existence, aura reçu plus de 10 millions de livres de l'industrie du disque britannique. L'état a, en revanche, considérablement réduit sa contribution (-20 % entre 2013 et 2016), et le directeur doit lever un million de livres par an en sponsoring. « Je ne suis pas devenu directeur d'école pour lever des fonds. Mais je n'ai pas le choix. C'est devenu un vrai business », reconnaît Stuart Worden.

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Heureusement pour lui, les grands labels ne sont pas les seuls à s'intéresser de près à l'école. Apple lui a offert des ordinateurs, Youtube a déboursé plusieurs centaines de milliers de livres pour la rénovation du studio de production télé, sérieusement défraîchi et loin des standards actuels de l'industrie. Caméras 4K, table de mixage à 16 pistes, écran vert pour les effets spéciaux… L'espace doit permettre à tous les étudiants de l'école de monter des promotions musicales, des shows télévisés en « live », des « soap operas » ou encore des jeux télévisés. « Ils sont libres de mettre ou non ensuite leurs contenus sur Youtube », précise Christina Matteotti, responsable des partenariats pour la musique sur la zone EMEA chez Google, maison mère de la plateforme.

Garder la tête sur les épaules

Au total, 140 personnes travaillent pour l'école, dont plus de 70 enseignants. Des sculpteurs, des « sound designers », des spécialistes des effets spéciaux, mais aussi des professeurs plus classiques, chargés de dispenser l'enseignement académique traditionnel. Car il s'agit, au-delà de l'artistique, de donner à ces jeunes un bagage suffisant pour se débrouiller dans la vie, et garder la tête sur les épaules. « Nous leur apprenons aussi à prendre soin d'eux », ajoute Stuart Worden. Les « additional education needs » mobilisent au total une demi-douzaine d'équivalents temps plein, des diététiciens aux spécialistes de la dyslexie. La Fondation Amy Winehouse vient régulièrement les alerter sur les risques d'addiction - la chanteuse est morte d'un coma éthylique à 27 ans.

Adele a beaucoup mieux géré son succès aussi précoce que mondial. Ici, on lui a enseigné les ressorts du marketing et l'art de décrypter un contrat, les règles de fonctionnement des agents et les chausse-trappes du copyright. Elle s'est exercée à monter un spectacle, de la mise en scène jusqu'à la gestion du budget. Quand elle sort lauréate en mai 2006, elle poste sur le réseau social MySpace une démo de quatre de ses chansons qui lui apporte, en moins d'un mois, 10 000 internautes.

C'est ainsi que la repère Nick Hugget, découvreur de talents chez XL Recordings, label avec lequel elle négociera son tout premier contrat. Idem pour Katie Melua. « Elle était encore à l'école quand elle a travaillé sur son premier disque », se souvient Stuart Worden.

Démystifier la célébrité

L'environnement est évidemment propice aux rencontres. Les nombreux contacts qu'entretiennent les majors permettent de faire venir des pointures comme Nile Rodgers (Get lucky), ou George Ezra (Paradise). Ou d'attirer des producteurs. Katie Melua est ainsi sur le point de rentrer chez elle après les cours, un soir, quand elle est rattrapée par le col pour réaliser une audition devant l'auteur et producteur à succès Mike Batt, qui lancera ensuite sa carrière. La compétition ? « Elle fait partie du système, mais les élèves ne sont pas obligés d'être insensibles ou impitoyables », dit le directeur.

Quant à la célébrité, elle est censée être un « sous-produit » de ce que vise l'école, plus qu'un but en soi. « Nous démystifions beaucoup la célébrité, explique Stuart Worden. La plupart de nos étudiants sont là d'abord pour jouer, pour faire leur truc à eux, pas pour devenir numéro un ». Ce qui marque une vraie prise de distance avec le film d'Alan Parker d'où tout est parti. « People will see me and cry, fame/I'm gonna make it to heaven/Light up the sky like a flame, fame/I'm gonna live forever », s'y exclamait Irene Cara, obsédée par la gloire.

Trois alumni au firmament

De tous les Anciens de l'école, elle a accompli la plus belle réussite. Son premier album, 19, lui vaut en 2009 deux Grammy Awards, soit quatre de moins que le suivant, 21, le plus vendu dans le monde en 2011 et 2012. Le troisième album, 25, sorti en 2015, fera un peu moins bien mais la chanteuse a entre-temps raflé un Oscar pour Skyfall.

Son premier album, Frank, est bien reçu en 2003 mais c'est Back to black, en 2006, qui fait d'elle une star planétaire, encensée pour sa voix, sa profondeur, et un style reconnaissable à son eye-liner et sa coiffure. Las, elle devient vite prisonnière des drogues et de l'alcool. Elle meurt en 2011 d'un coma éthylique, à 27 ans, comme Joplin, Cobain, Hendrix, Jones…

Il démarre en 2008 dans la comédie musicale Billy Elliott et se lance dans le cinéma en 2012 dans The Impossible aux côtés de Ewan McGregor et Naomi Watts - pas mal comme débuts. En 2016, il reprend le personnage de Spiderman dans l'univers Marvel. Ce qui ne l'empêche pas d'entrer dans l'univers de James Gray en jouant le fils de l'explorateur Percy Fawcett dans The lost city of Z en 2017.

Par Alexandre Counis

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