Denis Rouvre, série Contemporary Heroes © Denis Rouvre

Lutteurs du Sénégal devant l'objectif de Denis Rouvre.

(Denis Rouvre)

Le photographe et le sportif de haut niveau ont en commun la répétition des gestes, le soin apporté à la préparation, la maitrise de "l'instant décisif" cher à Henri Cartier-Bresson et surtout le verdict immédiat du résultat. Reléguée le plus souvent au rang d'illustration, la photographie de sport méritait un événement à la hauteur de ses auteurs. C'est chose faite avec SportFoto qui accomplit ses premières foulées dans cinq lieux historiques de Lille (gare Saint-Sauveur, Tripostal, palais des Beaux-Arts, musée de l'Hospice comtesse, Vieille Bourse).

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Rio 2016 OG, Synchronized Swimming, team Women - Training, the team of Japan (JPN) 3rd.

Entraînement de l'équipe japonaise de natation synchronisée aux Jeux de Rio en 2016.

© / (David Burnett)

L'idée de SportFoto, qui reprend le concept du festival Sportfolio de Narbonne, est née dans l'esprit de Jean-Denis Walter, ancien directeur photo et rédacteur en chef de L'Equipe Magazine, aujourd'hui à la tête d'une galerie parisienne spécialisée dans la photographie de sport.

"A la galerie et dans les foires photo, je croisais régulièrement Didier Fusillier, conseiller artistique de Lille3000 [et président de La Villette, à Paris]. Je lui ai proposé de créer un événement dédié au sport. Une matière formidable, consensuelle, rassembleuse et intergénérationnelle. Il a transmis mon dossier à Martine Aubry. Quarante-huit heures plus tard, la maire de Lille était chez moi pour en discuter."

Nous sommes à l'automne 2017. L'édile du Nord voit dans cette thématique un moyen d'attirer dans les institutions culturelles lilloises un public qui n'en pousse jamais les portes. Sur la trentaine d'expositions de SportFoto, 80% mettent ainsi l'accent sur trois disciplines ancrées dans la région : le football, le cyclisme et la boxe.

Jean-Denis Walter ne cache pas son désir d'inscrire SportFoto dans la durée. "A la fin de cette édition, on décidera de sa reconduction, peut-être sous la forme d'une biennale. Cela dépendra notamment de la fréquentation." Si tout n'est pas encore parfait - un effet d'accumulation, des accrochages répétitifs, des tirages parfois trop petits - on salue l'ambition de faire de ce festival d'images, intégré à Lille3000, un grand rendez-vous populaire qui devrait permettre à la discipline de gagner en reconnaissance.

En attendant, découverte de quelques-uns des temps forts de SportFoto.

SportFoto. Lille. Jusqu'au 4 novembre. Gratuit.

Une certaine idée du football

sportfoto

Supporters du FC Union Berlin, en 1988.

© / (Harald Hauswald-OSTREUKZ)

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Terrains de foot de Poulton, quartier de Liverpool, années 1980.

© / (Ken Grant/NeutralGrey)

Au Tripostal, le ballon rond occupe une grande partie du terrain avec le récit en images de la dernière Coupe du monde par les photographes de l'AFP (15 correspondants lors de la finale!). Les visages rayonnants de Pavard, Mbappé et compagnie dialoguent à vingt ans d'intervalle avec les clichés noir et blanc pris par Stéphane Meunier (Les Yeux dans les Bleus) dans l'intimité de la victorieuse bande à Zizou.

Jean-Denis Walter fait le choix de l'émotion. Il montre le foot sous un angle fédérateur, populaire et positif. Le public local revit les belles heures du LOSC de l'après-guerre (1946-1954) et de la saison 2010-2011, celle du doublé coupe-championnat.

Le plus beau témoignage de la force du football est celui de Harald Hauswald sur le FC Union Berlin. Le photographe raconte 25 ans d'histoire du club de l'ex-RDA. Gangrenée dans les années 1980 par le hooliganisme, l'institution berlinoise incarne aujourd'hui la nostalgie pour l'Allemagne de l'Est. Chaque année, en décembre des milliers de passionnés se rassemblent dans le stade pour entonner l'hymne local et des chants de Noël à la lueur des bougies. "Normalement les clubs ont des fans, mais chez nous, ce sont les fans qui ont un club", résume un fidèle. En 2008, ni le club, ni la ville n'ayant les moyens d'engager des travaux de rénovation de l'enceinte de 23 000 places, ce sont les supporters qui ont relevé les manches, permettant au FC Union Berlin de garder sa place dans l'élite.

A découvrir aussi, les vibrantes images de Ken Grant, qui depuis les années 1980, saisit la passion du football à Liverpool au sein de la classe ouvrière, les scousers, sans jamais mettre les pieds dans les deux stades de la ville : Anfield et Goodison park où évoluent les frères ennemis, les Reds du Liverpool FC et les Blues d'Everton.

Le regard unique de Bob Martin

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Le nageur espagnol Javier Torres aux Jeux paralympiques à Athènes en 2004.

© / (Bob Martin)

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Championnat du monde de natation synchronisée à Barcelone en 2013.

© / (Bob Martin)

SportFoto rend un bel hommage à Bob Martin, l'un des meilleurs photographes de sport, lauréat de multiples récompenses. Ses images sont exposées au Tripostal et au Palais des Beaux-Arts. Le cliché du nageur espagnol Javier Torres aux Jeux paralympiques d'Athènes en 2004 condense toutes les qualités de l'Anglais : son sens de la composition, son style graphique (on dirait un tableau de David Hockney), sa préparation méticuleuse, son goût de l'inédit et... sa chance.

La prise de vue, à l'aplomb du plot de départ, fige le nageur au moment de pénétrer dans l'eau sans ses prothèses, posées sur une chaise. La photo a bien failli ne jamais exister. Au moment du départ, Bob Martin travaille à l'autre bout du bassin. Le temps de rejoindre la passerelle sous la toiture, une position négociée un an auparavant avec le Comité international olympique, il est trop tard. Les athlètes se sont déjà élancés. Heureusement pour le photographe, un faux départ lui offre l'opportunité de réaliser une de ses photos les plus fortes.

"Un jour, le magazine Sports Illustrated m'a accordé une place dans l'équipe de photographes chargés de couvrir le prestigieux Masters de golf d'Augusta, aux Etats-Unis, raconte Bob Martin. Un privilège rare pour un Anglais. J'ai travaillé très dur et 28 de mes clichés ont été retenus parmi la centaine publiée dans un numéro spécial. J'étais très fier. Le directeur de la photographie m'a dit : ''Tu as fait du bon boulot, mais l'important c'est de décrocher la Une. C'est comme ça que les gens vont se souvenir de toi''. J'ai pris une leçon. Aujourd'hui, j'essaie de me démarquer des milliers d'autres photographes en trouvant des angles qui produiront un contenu particulier. Mes photos ne sont pas meilleures, mais différentes. Pour y arriver il faut être têtu et chanceux. Le sport plus compliqué à photographier pour moi, c'est le football. Il est très facile d'obtenir une bonne image mais très difficile d'obtenir quelque chose d'unique."

Place aux Jeux

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Cérémonie d'ouverture des JO de Paris, en 1924.

© / (Comité International Olympique)

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Jeux Olympiques de Rio, entraînement de la gymnaste américaine Simone Biles.

© / (Mine Kasapoglu)

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Jeux Olympiques de Rio, finale du relais 4X100m largement remportée par la Jamaïque.

© / (OMEGA)

A la Gare Saint-Sauveur, les visiteurs passent en quelque pas des JO de 1924, à Paris, à ceux de Rio, en 2016. A travers ce voyage dans le temps, c'est l'essence du sport qui est mise en avant. Comparée aux shows contemporains, la cérémonie d'ouverture de l'olympiade parisienne, au Stade de Colombes, frappe par sa modestie. Le comte Justinien Clary, président du Comité national olympique français, se tient sur une minuscule tribune décorée des mythiques anneaux. Pourtant, c'est cette édition qui marque avec ses 625 000 spectateurs, ses plus de 1 000 journalistes accrédités et son village olympique, l'entrée des jeux dans une nouvelle ère.

Le best of des images de Rio présente le travail de quatre photographes (Mine Kasapoglu, Jason Evans, John Huet et David Burnett) qui privilégient la recherche de l'esthétisme à celle de la performance. Sur ce dernier point, rien ne peut égaler la vérité spectaculaire de la célèbre photofinish, mise au point pour les JO de Londres en 1948 par la firme Omega.

Le coin des puncheurs

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Souleymane M'Baye, Salle Auguste Delaune, Levallois, avril 2004.

© / (Laurent Gudin)

Licia Boudersa at weigh-in / Licia Boudersa à la pesée

Licia Boudersa à la pesée avant son combat pour le titre de championne d'Europe à Lille, le 20 janvier 2017.

© / (Samuel Lebon/Hans Lucas)

Avec un ring installé au coeur de l'ancienne salle des malades du XVe siècle, le musée de l'Hospice comtesse a des allures de salle de boxe. En levant la tête, on découvre de sublimes portraits de lutteurs sénégalais, de boxeurs thaïlandais et de sumotoris, signés Denis Rouvre. Sur les murs, s'étend le travail de Laurent Gudin sur le noble art. On reconnaît quelques tronches de champions, mais des légendes auraient été les bienvenues. Samuel Lebon présente un reportage - trop court, dommage - sur la championne poids plume locale Licia Boudersa (elle disputera le championnat du monde des poids plume le 29 septembre au Palais des Sports Saint-Sauveur à Lille). Au fond, dix photos mythiques de Sports Illustrated retracent avec punch la fabuleuse carrière de Mohammed Ali. Mais l'image la plus marquante est celle plus grande que nature de Georges Carpentier, l'enfant du pays, champion du monde des poids mi-lourds en 1920, époque où la boxe fascinait des foules immenses. Son incroyable destin de sportif et d'homme du monde aurait mérité une expo en soi.

À bicyclette

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George Hincapie sur l'édition 2006 de Paris-Roubaix.

© / (Philippe Pauchet/La Voix Du Nord)

Sportfoto

Série Vélolavie. 21e prix des Cailloux, Calais, en 2003.

© / (Xavier Lambours)

Que serait le Nord sans la petite reine ? La Gare Saint-Sauveur déroule l'odyssée de Paris-Roubaix à travers des clichés pris depuis 1959 par les photographes de presse de la Voix du Nord. "L'Enfer du nord" martyrise les corps et les mécaniques, pousse les seigneurs de la pédale jusqu'à la limite. La course pavée et le Tour de France sont des épreuves, au sens propre. Elles fabriquent des héros, des légendes et des drames.

Le 20 juillet 1969, un homme marche sur la lune, un Belge roule sur la France. Eddy Merckx remporte sa première victoire sur la Grande Boucle. Il est alors suivi par son compatriote photographe, Jef Geys, qui transforme son reportage en chronique sociologique, s'arrêtant sur les visages des fans et des curieux sur le bord de la route. Né en 1955, Xavier Lambours, lui, s'intéresse aux classiques comme aux petites courses du dimanche matin, magnifiant les amateurs et la lumière du nord. Sa série s'intitule Vélolavie. Tout un programme.

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