Du Nicaragua au Costa Rica : l'exil face à la répression

Les réfugiés nicaraguayens organisent régulièrement des manifestations devant l'ambassade du Nicaragua à San José, la capitale costaricaine. ©Radio France - Maïwenn Bordron
Les réfugiés nicaraguayens organisent régulièrement des manifestations devant l'ambassade du Nicaragua à San José, la capitale costaricaine. ©Radio France - Maïwenn Bordron
Les réfugiés nicaraguayens organisent régulièrement des manifestations devant l'ambassade du Nicaragua à San José, la capitale costaricaine. ©Radio France - Maïwenn Bordron
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Des centaines de milliers de Nicaraguayens ont fui la répression de Daniel Ortega et ont trouvé refuge au Costa Rica voisin. En 2018, les autorités costaricaines ont reçu plus de 23 000 demandes d'asile de la part de Nicaraguayens. Depuis avril, entre 320 et 561 personnes ont été tuées au Nicaragua.

Avec
  • Delphine Lacombe

Une affiche avec plusieurs visages a été posée contre une statue du parc Morazán à San José, la capitale du Costa Rica. Tout en haut, on peut lire "Nos héros", puis un peu plus bas "Ni pardon, ni oubli". Le 8 juillet, au total, vingt-cinq manifestants ont perdu la vie dans le département de Carazo, au Nicaragua. 

Rassemblement à San José pour commémorer le "massacre" de Carazo : le 8 juillet, 25 manifestants ont été tués dans ce département du Nicaragua
Rassemblement à San José pour commémorer le "massacre" de Carazo : le 8 juillet, 25 manifestants ont été tués dans ce département du Nicaragua
© Radio France

Plusieurs mois après ce qu'ils appellent le "massacre" de Carazo, une cinquantaine de réfugiés nicaraguayens s'est réunie dans ce parc pour rendre hommage aux victimes depuis l'exil. Karen Martinez, elle, a perdu son mari le 8 juillet et a fui le Nicaragua deux jours après. "On dirait qu’ils ont détruit nos vies hier. La souffrance est quotidienne, mais nous croyons que chacune de ces vies qui ont été perdues, ça ne sera pas en vain. Nous devons affirmer ces idéaux, ces idéaux pour lesquels ces personnes ont donné leur vie", lance cette mère de famille face aux personnes réunies dans le parc. Sa voix tremble, son discours est entrecoupé de sanglots. Six mois après, elle revit chaque moment de cette journée du 8 juillet où sa vie a basculé. "A 6h12 du matin, on a commencé à entendre des détonations de balles. Mon mari s’est tout de suite levé, sans réfléchir, parce que son frère était dehors, derrière une barricade il voulait aller le voir et il voulait aussi soutenir les jeunes qui participaient à la lutte. Donc il est sorti et à deux cents mètres de notre maison, un sniper lui a tiré dessus sur le côté gauche, la balle est sortie du côté droit et lui a perforé le poumon. Ils l’ont amené dans une clinique, mais c’était évidemment une clinique proche du gouvernement et ils ne l’ont pas pris en charge", raconte-t-elle, les larmes aux yeux. Dès le lendemain, des camionnettes ont commencé à rôder autour de son domicile. Elle dit avoir reçu un appel menaçant, ce qui l'a décidée à fuir le pays avec ses trois enfants, dès le lendemain : 

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On m’a dit que si je continuais à faire la courageuse, ou à jouer la brave qui soutient cette cause, on viendrait s’en prendre à ma famille et à mes enfants.                                                                                                            
Karen Martinez, qui a perdu son mari le 8 juillet

Gerald Villavicencio, le mari de Karen Martinez, fait partie des 25 personnes qui ont perdu la vie le 8 juillet, dans le département de Carazo
Gerald Villavicencio, le mari de Karen Martinez, fait partie des 25 personnes qui ont perdu la vie le 8 juillet, dans le département de Carazo
© Radio France

Il existe plusieurs centaines de cas comme celui du mari de Karen Martinez depuis qu'un mouvement de protestation a éclaté au Nicaragua, le 18 avril. Les Nicaraguayens sont d'abord descendus dans les rues pour dénoncer la réforme de la sécurité sociale. Une manifestation violemment réprimée par le gouvernement, qui s'est finalement transformée en mouvement de contestation générale du régime de Daniel Ortega. Selon les sources, entre 320 et 561 personnes ont perdu la vie depuis avril. L'association nicaraguayenne pour les droits de l'homme (ANPDH) dénombre également 1336 cas d'arrestations arbitraires par des paramilitaires, des citoyens qui sont aujourd'hui portés disparus ou en prison.

Le Reportage de la rédaction
5 min

Plus de 23 000 demandes d'asile en 2018 au Costa Rica

Face à la répression, des milliers de Nicaraguayens ont pris la route de l'exil et ont trouvé refuge au Costa Rica voisin. Selon les autorités costaricaines, plus de 23 000 Nicaraguayens ont déposé une demande d'asile dans le pays l'année dernière. Le gouvernement qui n'avait pas prévu de telles arrivées massives dans le pays s'est vite retrouvé débordé. "En avril et juin, il y avait tant de demandes de la part des réfugiés, que pour certains cas, il aurait fallu attendre 2020 pour que leur dossier soit traité", explique Milton Moreno, le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCNUR). L'agence onusienne a donc mis à la disposition des autorités costaricaines trente avocats pour les aider à accélérer la prise en charge des réfugiés.

Direction des migrations à San José, des réfugiés nicaraguayens viennent récupérer leur permis de séjour. Plus de 200 Nicaraguayens déposent tous les jours une demande d'asile au Costa Rica.
Direction des migrations à San José, des réfugiés nicaraguayens viennent récupérer leur permis de séjour. Plus de 200 Nicaraguayens déposent tous les jours une demande d'asile au Costa Rica.
© Radio France

Le HCNUR - ACNUR en espagnol - a également ouvert un nouveau bureau à Upala, dans le Nord du Costa Rica, à quelques kilomètres de la frontière avec le Nicaragua. C'est par cette petite ville qu'arrivent de nombreux réfugiés nicaraguayens. Ils sont aidés par la communauté nicaraguayenne établie au Costa Rica, depuis plusieurs dizaines d'années. 

Des réseaux de solidarité nicaraguayens au Costa Rica

Vicenta Gonzalez fait partie de la cinquantaine de femmes nicaraguayennes qui prend en charge les réfugiés. "Souvent, on n’a même pas le temps ni pour notre famille, pour nous-même, parce qu’on doit rester à l’affût de tout. Parfois, on n’a même pas le temps pour préparer le petit-déjeuner parce qu’on doit courir, parfois à 4 ou 5 h du matin. Les réfugiés arrivent et ils ont des questions : qu’est-ce je fais ? vers où je vais ? Comment je fais ? Je n’ai nulle part où aller, je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de quoi me déplacer. Donc nous, on vit là dans l’attente”, précise cette septuagénaire, installée à Upala depuis 50 ans.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a ouvert un nouveau bureau à Upala, dans le Nord du Costa Rica, près de la frontière avec le Nicaragua
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a ouvert un nouveau bureau à Upala, dans le Nord du Costa Rica, près de la frontière avec le Nicaragua
© Radio France

Adelaida Saballo Oporta est arrivée le 30 mai à Upala, avec son mari et ses trois enfants.  Elle a pu compter sur l'aide de la communauté nicaraguayenne en arrivant au Costa Rica : une des femmes bénévoles lui a par exemple trouvé une petite maison en bois dans le quartier de Los Angeles à Upala. La famille vit désormais dans ce logement précaire, où la chaleur et l'humidité pénètrent les murs faits de planches de bois. "Nous, on vient de Managua, on est venu à cause de ce qui se passait. Il y avait beaucoup de morts, des personnes, des enfants. Moi, j’ai trois enfants, et ça me faisait peur. Mon mari a apporté de l’eau à ceux qui étaient derrière les barricades et comme vous le savez, après on venait chercher les gens chez eux. J’avais peur parce que là où on vivait, près de chez nous, ils ont tué un voisin, un tout petit comme mon bébé que vous voyez là. On lui a tiré une balle dans la tête", confie la mère de famille de 29 ans, affairée à surveiller la cuisson des frijoles, ces haricots rouges typiques d'Amérique centrale.

Adelaida Saballo Oporta s'est installée dans une petite maison en bois à Upala, dans le Nord du Costa Rica, grâce à l'aide de la communauté nicaraguayenne
Adelaida Saballo Oporta s'est installée dans une petite maison en bois à Upala, dans le Nord du Costa Rica, grâce à l'aide de la communauté nicaraguayenne
© Radio France

Des liens migratoires très forts entre le Costa Rica et le Nicaragua

Beaucoup d'habitants considèrent Upala comme étant une ville binationale : y vivent autant de Nicaraguayens que de Costaricains. Selon Alberto Cortés Ramos, enseignant à l'école de sciences politiques et de géographie de l'Université du Costa Rica, il existe 120 000 familles binationales. Lui-même a d'ailleurs la double nationalité. "S'il n'y avait pas eu les familles, l'Etat costaricain serait débordé. Elles ont joué un rôle clé pour éviter que cette situation ne débouche sur une crise humanitaire très grave", souligne le spécialiste des migrations entre le Nicaragua et le Costa Rica. 

Il y a toujours eu des liens migratoires très forts entre les deux pays, notamment à partir des années 1970. Des milliers d'opposants à la dictature d'Augusto Somoza trouvent alors refuge au Costa Rica voisin. C'est le cas de Daniel Ortega, exilé au Costa Rica, qui participera ensuite à la révolution sandiniste en 1979 pour renverser le dictateur. Dans les années 1980, la migration se poursuit vers le Costa Rica : les Nicaraguayens fuient cette fois un conflit politico-militaire dans le pays. Puis dans les années 1990, la migration est surtout économique, portée par un changement de modèle économique au Nicaragua. "Il y a une grande interdépendance, l'économie costaricaine dépend beaucoup de la migration nicaraguayenne, dans le domaine de l'agriculture, du travail domestique, du bâtiment. Le café costaricain est récolté par des Nicaraguayens", complète Carlos Sandoval, professeur à l'Université du Costa Rica (UCR) et spécialiste des migrations. Et d'ajouter : "la société costaricaine ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans la migration nicaraguayenne".

Une crise humanitaire au Costa Rica ?

Face à cette nouvelle vague de migration, certaines ONG costaricaines s'inquiètent et parlent de crise humanitaire au Costa Rica. "Le gouvernement ne peut pas ou n'a pas voulu le dire puisqu'il doit gérer ses problèmes internes. Mais oui, nous traversons une crise humanitaire, c'est le terme correct", dénonce Carlos Felipe Huezo, le président de SOS Nicaragua droits de l'homme depuis le Costa Rica. L'ONG a été créée spécialement pour venir en aide aux réfugiés nicaraguayens, après le début de la crise en avril. Des bénévoles nicaraguayens ont lancé une cantine solidaire à San José, dans les locaux de la maison Sœur Maria Romero, une oeuvre sociale avec laquelle ils collaborent. Tous les jours, l'ONG distribue des petits-déjeuners et des déjeuners à 450 réfugiés, du lundi au vendredi. 

De nombreux Nicaraguayens, qui avaient fui la répression, ont dû retourner au Nicaragua, tellement ils étaient désespérés. Beaucoup d’entre eux ont été capturés, assassinés ou doivent vivre dans la clandestinité dans des planques parce que si on les attrape, leur vie est en danger                                                                  
Carlos Felipe Huezo, président de SOS Nicaragua droits de l'homme depuis le Costa Rica

Carlos Alvarado, président du Costa Rica
Carlos Alvarado, président du Costa Rica
© Radio France

Le Costa Rica se refuse à parler de crise migratoire pour l'instant et donc à déclarer l'état d'urgence humanitaire. Pour le président costaricain, Carlos Alvarado, "les flux migratoires sont contrôlés et sont normalisés" après le mois de juin. En effet, au vu des chiffres de la direction des migrations, le nombre de réfugiés nicaraguayens qui entrent chaque mois au Costa Rica semble s'être réduit. Au mois de juin, 3 344 Nicaraguayens ont déposé une demande d'asile, alors que la répression battait son plein au Nicaragua. Ce chiffre est monté à 5 279 en juillet et est ensuite descendu progressivement au fil des mois, pour atteindre 1 680 demandes d'asile déposées par des Nicaraguayens en décembre. Le président du Costa Rica reconnaît tout de même suivre la situation au Nicaragua de très près, car elle pourrait se détériorer, selon lui, dans les mois qui viennent. 

Ce qui nous préoccupe, c’est que la situation politique au Nicaragua ait un impact sur l’économie et surtout sur le chômage au Nicaragua. Beaucoup de personnes pourraient venir ici non plus pour des raisons politiques mais économiques pour chercher du travail au Costa Rica. Les flux pourraient alors augmenter, et c’est notre principale préoccupation, même si nous ne parlons pas encore de crise", assure Carlos Alvarado, depuis la maison présidentielle à San José.

Recensement des violations des droits de l'homme

Le gouvernement costaricain a appelé à plusieurs reprises la communauté internationale à résoudre la crise au Nicaragua. Un appel qui commence à être entendu. L'Organisation des Etats Américains (OEA) a entamé par exemple une procédure pour appliquer la charte démocratique, un instrument juridique utilisé en cas d'altération de l'ordre démocratique dans un pays. En cas de vote par les pays membres, le Nicaragua pourrait alors être suspendu de l'OEA. Les Etats-Unis ont également voté des sanctions économiques contre l'entourage de la vice-présidente, Rosario Murillo. Mais, pour l'instant, le gouvernement de Daniel Ortega ne semble pas envisager la possibilité de quitter le pouvoir. Il poursuit sa répression contre des médias ou des organismes de défense des droits de l'homme.

Alvaro Leiva, le secrétaire exécutif de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'homme (ANPDH), dans les nouveaux locaux à San José
Alvaro Leiva, le secrétaire exécutif de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'homme (ANPDH), dans les nouveaux locaux à San José
© Radio France

L'Association nicaraguayenne pour les droits de l'homme (ANPDH), elle, a dû fermer ses locaux à Managua, la capitale du Nicaragua, au mois de juillet. Son secrétaire exécutif, Alvaro Leiva, a été le premier Nicaraguayen à obtenir l'asile politique de la part du gouvernement costaricain. L'ANPDH a installé de nouveaux locaux à San José, dans un ensemble de bureaux protégés par un vigile à l'entrée. Chaque semaine, l'association reçoit environ 110 témoignages de réfugiés nicaraguayens. Objectif : rassembler les preuves de violations des droits de l'homme et se tenir prêt pour un éventuel procès de Daniel Ortega et de sa femme, Rosario Murillo. Car selon Alvaro Leiva, le couple présidentiel sera un jour jugé pour crimes contre l'humanité et génocide

Il y a au Nicaragua une dictature sanglante, qui viole les droits constitutionnels et fondamentaux des citoyens. Ce n’est un problème ni de droite ni de gauche, ce qui se passe actuellement au Nicaragua, ce n’est rien d’autre qu’un problème de violation des droits de l’homme.                                                
Alvaro Leiva, secrétaire exécutif de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'homme

Formulaire que les réfugiés nicaraguayens remplissent pour dénoncer les violations des droits de l'homme qu'ils ont subies
Formulaire que les réfugiés nicaraguayens remplissent pour dénoncer les violations des droits de l'homme qu'ils ont subies
© Radio France

Ce matin-là, un ex-militaire est venu déposer un témoignage pour dénoncer les violations des droits de l'homme qu'il a subies. Pour des raisons de sécurité, il ne donne pas son nom, car même exilé au Costa Rica, il craint pour sa sécurité.  "Dès le début des manifestations, je n’ai été d’accord avec les actions réalisées par le gouvernement et puisque le chef suprême de l’armée c’est le président de la République et qu’il réprimait les étudiants et les personnes âgées, j’ai donc décidé d’abandonner les rangs et de m’exiler au Costa Rica. J’avais peur des représailles, qu’ils m’arrêtent ou qu’ils me torturent et puis j’ai toujours une partie de ma famille qui est restée là-bas. J’ai ma femme et mes deux filles", confie cet ancien militaire de 35 ans, qui est arrivé au Costa Rica le 27 septembre. 

Aujourd'hui, il vit dans la rue, sans ressources, loin de ses proches, mais ne regrette pas sa décision. "Je crois que la seule chose que je ne regrette pas, c’est d’avoir quitté le Nicaragua et de ne pas avoir utilisé mes armes pour tuer des gens. Parce que peut-être que j’aurai froid, que j’aurai faim mais au moins j’aurai la conscience tranquille", lâche-t-il, les larmes aux yeux. Comme la plupart des réfugiés nicaraguayens, cet ancien militaire ne veut pas rester au Costa Rica. Il veut rentrer au Nicaragua, mais à une condition : que Daniel Ortega ait quitté le pouvoir.

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