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"Voyeurisme" policier ou nécessité : les questions aux victimes de viol dans le viseur
Ce déferlement de témoignages survenu à la suite de la médiatisation des conditions d’accueil d’une jeune femme de 19 ans au Commissariat central de Montpellier fin septembre.
Arnaud Le Vu / Hans Lucas via AFP

"Voyeurisme" policier ou nécessité : les questions aux victimes de viol dans le viseur

#Doublepeine

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Depuis plusieurs semaines, des témoignages de victimes de violences sexuelles affluent sur les réseaux sociaux sous le mot dièse « #doublepeine ». Elles dénoncent un mauvais accueil et des questions déplacées lors du dépôt de plainte. Magistrats et avocats contactés par « Marianne » s’accordent cependant pour dire que certaines interrogations gênantes restent essentielles.

La question de l’accueil des victimes de viol ou d'agressions sexuelles lors du dépôt de plainte revient régulièrement dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles. Depuis plusieurs jours, des témoignages dénonçant les conditions de cet accueil affluent sur les réseaux sociaux sous le mot dièse « #doublepeine ». Un déferlement de témoignages survenu à la suite de la médiatisation du cas d’une jeune femme de 19 ans au commissariat central de Montpellier fin septembre.

Lors du dépôt de plainte pour viol, l’enquêteur aurait nié l’absence de consentement sur la base de sa consommation d’alcool, et lui aurait demandé si elle avait pris du plaisir lors de ce rapport. Des militantes féministes ont créé un site pour recenser des témoignages et en ont collecté près de 400. « Un mauvais traitement des victimes par les forces de l’ordre, c’est la double peine pour celles qui trouvent la force d’aller porter plainte », écrivent les militantes à l’origine de l’appel à témoignages.

Parmi les témoignages les plus choquants, des femmes rapportent des questions déplacées, quand d’autres racontent s’être senties jugées voire culpabilisées. « Et vous étiez habillée comme ça ? ». « Et vous lui avez dit que vous étiez mineure ? ». « J'ai porté plainte pour viol, on m'a demandé : "avez-vous joui" ? » Mardi 12 octobre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a ainsi annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’accueil des victimes de violences sexuelles au commissariat de Montpellier.

Intrusif mais important

Dans sa carrière, Luc Frémiot, ancien procureur de la République de Douai, réputé pour son engagement auprès des victimes de violences conjugales, a par deux fois eu affaire à un enquêteur dont les questions étaient complètement déplacées, semblables à certains témoignages récents. « La première fois, l'enquêteur avait demandé à la victime si elle avait joui. La seconde, si elle avait mouillé, relate-t-il. J’ai demandé une procédure disciplinaire et l’enquêteur a fini par être sanctionné. Ces questions n’apportent rien, c’est du voyeurisme procédural ! »

Toutefois, le magistrat honoraire rappelle que certaines questions gênantes, à la fois pour la victime et l’enquêteur, apparaissent essentielles dans le cadre de la procédure pénale. « L’enquête se fait à charge et à décharge, ajoute Stanislas Gaudon, secrétaire général adjoint du syndicat de police Alliance. Certaines questions jugées intrusives, ou hors de propos par la victime, apportent en réalité des éléments de précision qui permettent de qualifier l’infraction ».

À première vue, la question de la tenue vestimentaire de la victime au moment des faits peut paraître saugrenue. « Mais c’est fondamental assure Catherine Vandier, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats. Cette question n’est pas un jugement de valeur, car la réponse permet d’avoir des éléments matériels supplémentaires. Si la victime portait un jean, l’agresseur a dû avoir des difficultés pour la déshabiller… Contrairement à si elle portait une jupe. C’est très trivial, mais c’est très important pour la qualification pénale. »

Formation bienvenue

Ces questions sur le déroulé des faits doivent néanmoins rester factuelles, rappelle Karen Noblinski, avocate au barreau de Paris et signataire d'une tribune dans le JDD avec sa consœur Rachel-Flore Pardo. « Si certaines questions apparaissent comme nécessaires, il est certain que la tenue vestimentaire de la victime ne doit pas être remise en question ou suggérer qu’elle ait pu impacter la commission supposer des faits », explique-t-elle.

Parfois, un manque de détails dans le dossier constitué par les enquêteurs lors des auditions, faute de questions par exemple, amène à la constitution d’un dossier à trou. Dans ce cas, le parquet peut demander un complément d’enquête. « Si vous n’apportez pas suffisamment de détails, une requalification de l’infraction, par exemple de viol à violences sexuelles, peut se produire. Et c’est là, la double peine », estime Stanislas Gaudon.

Reste que porter plainte pour violences sexuelles n’est pas chose aisée. « Lorsque ces victimes franchissent la porte d’un commissariat, elles sont dans un état de fragilité important, explique Luc Frémiot. Tout ce que l’on dit prend une importance démesurée. C’est pourquoi, il est nécessaire d'être très prudent dans l’accueil, la prise de contact et la façon de poser les questions ». Stanislas Gaudon le reconnaît, sans jeter l’opprobre sur toute la profession, des formations supplémentaires seraient les bienvenues.

De son côté, Karen Noblinski demande plus de clarté dans les textes pour que l'accompagnement des victimes par un avocat, lors du dépôt de plainte, ne soit plus arbitraire. « C’est plus facile pour la victime de venir avec son avocat, explique-t-elle. Au-delà du soutien juridique c’est un véritable soutien psychologique. »

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