Quelle erreur stratégique a essayé de réparer le Premier ministre russe en Libye?

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La conférence internationale de deux jours sur le processus de paix en Libye vient de s'achever dans la ville italienne de Palerme. Cet événement organisé par l'Italie a réuni les hauts représentants de 30 pays, dont la Russie, ainsi que de grandes organisations internationales.

A Palerme une attention importante a été accordée au problème libyen, écrit Gazeta.ru. A l'heure actuelle, la Libye fait partie des régions les plus problématiques de la planète où, comme en Syrie, la guerre civile fait rage depuis plusieurs années.

«La situation en Libye est la plus difficile de toute la zone aujourd'hui», constate Andreï Baklanov, ex-ambassadeur de Russie en Arabie saoudite et spécialiste de la région.

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De facto, le pays est dirigé par deux gouvernements concurrents. A l'est, dans la capitale libyenne de Tripoli, siège le Gouvernement d'entente nationale dirigé par Fayez al-Sarraj. Cependant, le parlement et le cabinet soutenus par l'Armée nationale libyenne (ANL) commandée par le maréchal Khalifa Haftar ne reconnaissent pas ce pouvoir et contrôlent l'ouest du pays.

Les négociations entre les deux camps n'ont toujours pas débouché sur un règlement du conflit. La situation est pourtant plus compliquée qu'il n'y paraît. Le territoire libyen est divisé entre différentes tribus locales que seul l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi parvenait à contrôler.

Un succès ou un échec?

La crise en Libye est une épine dans le pied de nombreux pays, notamment de l'Italie où arrivent le plus grand nombre de migrants clandestins depuis le littoral libyen.

Afin de discuter et de trouver une solution au problème libyen, le premier ministre italien Giuseppe Conte a donc réuni des représentants de l'Onu, de la Ligue arabe, de l'Union africaine, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.

Parmi les participants figuraient notamment le président du Conseil européen Donald Tusk et la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini, ainsi que des représentants de l'Égypte, de la Tunisie, de la Suisse, de la Grèce, de la Turquie, de Malte, de l'Algérie, de la Russie et d'autres pays. L'envoyé spécial de l'Onu en Libye, Ghassan Salamé, a qualifié cette réunion de «succès» et de «point de départ important dans le combat pour la paix, la stabilisation et la prospérité du peuple libyen». Cependant, tout le monde ne partage pas cet avis.

Le vice-président turc Fuat Oktay a quitté la conférence avec un sentiment de «profonde déception». Sans entrer dans les détails, il a expliqué que le processus de paix en Libye était impossible «tant que certains pays continueront de saper ce processus au profit de leurs propres intérêts mineurs».

Giuseppe Conte a dit «regretter» les actes de la délégation turque, tout en notant que leur décision n'avait «pas changé le climat positif de la rencontre».

Andreï Baklanov note également que la démarche turque n'entravera pas le processus de paix. «Plus le cercle de participants aux négociations est large, mieux c'est. Mais nous voyons sur l'expérience syrienne et d'autres dossiers que rien ne se déroule jamais selon cette formule proche de la perfection», dit-il.

Le diplomate pense que si le processus de paix «continuait d'avancer», d'autres acteurs reviendraient à la table des négociations «par peur de se retrouver à l'écart».

Néanmoins, la conférence a connu un autre épisode du même genre, plus préoccupant cette fois.

Une source qui a assisté à la réunion a annoncé que pendant le discours du représentant de Khalifa Haftar, toute la délégation de ses opposants, Fayez Sarraj y compris, avait quitté la salle démonstrativement. «Je le qualifierais d'échec», a déclaré Lev Dengov, chef du groupe de contact russe pour le processus de paix en Libye.

Même si la source anonyme précise que «cela n'a pas affecté le résultat». Les pourparlers entre les deux camps ont finalement eu lieu mais, rapporte l'agence de presse Reuters, leur bilan reste inconnu: Haftar et Sarraj n'ont signé aucun accord ni prononcé de déclaration conjointe.

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De plus, Khalifa Haftar et le président égyptien Abdul Fattah al-Sissi ont quitté la conférence avant la fin de la cérémonie officielle, faisant l'impasse sur le dîner, la photo commune et d'autres formalités politiques.

L'entente entre Sarraj et Haftar est le gage principal du processus de paix en Libye. Sachant que la participation à la conférence de ce dernier était restée en suspens pendant une longue période. Bien que le maréchal ait confirmé sa participation, sans laquelle toute la conférence aurait perdu tout son sens, peu de temps avant l'événement des médias ont répandu la rumeur qu'il ne viendrait pas.

Certains sont d'avis que c'est la Russie qui l'aurait poussé à prendre cette décision. Peu de temps avant la conférence, ce 9 novembre, le maréchal avait en effet rencontré à Moscou le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou.

La Russie corrige ses erreurs

La participation de la Russie à la conférence était également entourée d'un voile de mystère, car si la venue d'une délégation russe n'était pas remise en doute, on ne savait pas exactement qui représenterait Moscou.

Lors de sa récente visite dans la capitale russe, Giuseppe Conte avait invité personnellement Vladimir Poutine à participer à la conférence. Ce dernier avait alors promis que la Russie serait représentée à un «très haut niveau». Au final, c'est le Premier ministre russe Dmitri Medvedev qui s'est rendu à Palerme.

En 2011, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine étaient diamétralement opposés concernant la résolution de l'Onu autorisant une opération militaire contre la Libye de Mouammar Kadhafi. Vladimir Poutine, Premier ministre à l'époque, s'était fermement opposé à cette résolution qu'il qualifiait de «défaillante» et de «déficiente».

«Elle autorise tout et ressemble à un appel moyenâgeux à la croisade. De facto, elle autorise l'invasion d'un pays souverain», disait-il à l'époque. Le chef du gouvernement s'exprimait encore plus durement sur les agissements des USA à l'étranger, qui n'avaient selon lui «ni logique ni conscience». Il avait également rappelé à Washington les bombardements de la Yougoslavie et les opérations en Afghanistan et en Irak.

«C'est désormais au tour de la Libye, sous prétexte de protéger la population civile. Mais les bombardements contre son territoire tuent bel et bien des civils. Où est la logique et la conscience? Il n'y a ni l'un ni l'autre», constatait alors Vladimir Poutine.

Seulement trois heures plus tard, Dmitri Medvedev, alors Président, faisait lui aussi une déclaration spéciale concernant la situation en Libye, en veste de cuir noire avec le galon doré du chef des armées sur la poitrine, devant un parterre de journalistes.

Le Président a repris le chef du gouvernement en qualifiant d'«inadmissible» l'usage «d'expressions qui mènent à un choc des civilisations» telles que «les croisades». «C'est inadmissible. Sinon tout pourrait suivre un scénario bien pire qu'aujourd'hui. Je pense qu'il faut être très prudent dans nos appréciations», avait-il mis en garde.

Son avis concernant la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies divergeait également de celui de Vladimir Poutine. A la question de savoir pourquoi la Russie n'avait pas mis son veto et s'était simplement abstenue, il a indiqué qu'il «ne [trouvait] pas cette résolution incorrecte», c'est pourquoi la décision de ne pas utiliser le droit de veto avait été prise en toute conscience conformément aux consignes données au ministère des Affaires étrangères.

En déclarant que la Russie ne participerait pas à l'opération militaire en Libye, Dmitri Medvedev avait rejeté la responsabilité des frappes aériennes sur les autorités du pays: «Tout ce qui se passe en Libye est lié au comportement complètement indécent des autorités libyennes et aux crimes qui ont été commis contre son propre peuple. Il ne faut pas l'oublier. Tout le reste, ce sont les conséquences», avait-il déclaré.

«Comme le montre la pratique, notre réaction initiale aux événements libyens était erronée, il faut le reconnaître», a déclaré le diplomate Andreï Baklanov.

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«Le vote à l'Onu et notre position molle ont permis aux pays occidentaux d'avoir l'initiative en Libye. Mais, après tout, cela fait des années que nous travaillons avec eux, nous savons à qui nous avons affaire. Je pense que nous avons tenu compte de cette expérience et de notre très grande erreur stratégique commise en Libye», déclare l'expert.

Tout en soulignant qu'il serait incorrect en l'occurrence de se focaliser sur l'aspect individuel, car les décisions de politique étrangère ne sont pas prises par une seule personne.

«D'ailleurs, certains pensaient à l'époque que renoncer au veto était une option optimale. C'était erroné. Mais c'est la vie et il est parfaitement normal de se tromper. Il ne faut donc pas coller des étiquettes. Une erreur a été commise, puis surmontée, et il faut aller plus loin. Par ailleurs, ceux qui se trompent parfois mènent ensuite une politique bien plus prudente, pesée et raisonnable», estime Andreï Baklanov.

Pour la Russie, la participation au conflit intérieur libyen ne vise pas seulement à «corriger ses erreurs». Ses intérêts économiques en Libye sont vastes et sont estimés à plusieurs milliards de dollars. Comme l'indique Andreï Baklanov, ce pays était par le passé le plus grand partenaire économique et militaire de la Russie au Moyen-Orient. «Et bien évidemment, nous souhaitons que notre coopération revienne au niveau perdu suite aux événements regrettables de 2011 et des années qui ont suivi», poursuit l'expert.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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