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News Pictures: (180714) -- OUAGADOUGOU, July 14, 2018 (Xinhua) -- Burkina Faso's Prime Minister Paul Kaba Thieba (R) and visiting Chinese Vice Premier Hu Chunhua attend the inauguration ceremony of Chinese Embassy in Ouagadougou, capital of Burkina Faso, July 12, 2018. (Xinhua/Xiao Jiuyang) (jmmn)
XIAO JIUYANG / XINHUA / NEWS PICTURES

Le Burkina Faso à l’heure chinoise

Par  et  (Ouagadougou, envoyé spécial)
Publié le 13 septembre 2019 à 12h42, modifié le 05 juin 2020 à 11h12

Temps de Lecture 17 min.

Le dernier don de Taïwan au Burkina Faso n’est jamais arrivé à destination. Le conteneur, chargé d’équipements destinés aux forces de gendarmerie, a été renvoyé vers Haïti, un allié de Taipei. A Ouagadougou, les diplomates taïwanais ont eu deux jours pour quitter le territoire, victimes du gambit géopolitique du pouvoir burkinabé qui, ce jeudi 24 mai 2018, a annoncé la fin officielle de vingt-quatre ans de relation diplomatique avec Taïwan, au profit de la République populaire de Chine. L’adieu est glacial, brutal, sans protocole.

L’« ami » taïwanais, insiste aujourd’hui le ministre des affaires étrangères et de la coopération burkinabé, Alpha Barry, est devenu « un boulet ». Le temps où Taïwan pratiquait la diplomatie du chéquier, dans les années 1990, est révolu. L’île, qui se targuait de mettre en place pour ses alliés une assistance au développement conforme aux critères de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et aux visées démocratiques, ne fait plus le poids face aux opérations de séduction de la Chine.

« Malgré ce qu’affirmaient les Taïwanais, leur apport économique était dérisoire », martèle Alpha Barry. Dans le salon de sa résidence ministérielle s’entassent désormais des brochures de véhicules militaires chinois tapageurs. « On ne pouvait plus être l’un des deux pays d’Afrique à reconnaître Taipei, poursuit-il. Tous les projets de coopération avec Taïwan sont repris par Pékin. » Avec le Burkina, Taïwan a perdu son dernier partenaire crédible en Afrique. Ne lui reste plus que l’Eswatini (ex-Swaziland), dirigé par le fantasque roi Mswati III.

« Une seule Chine dans le monde »

« Le gouvernement du Burkina Faso reconnaît qu’il n’y a qu’une seule Chine dans le monde (…) et que Taïwan fait partie de [son] territoire », indiquait le communiqué sur le rétablissement des relations diplomatiques avec la Chine daté du 26 mai 2018. Les diplomates taïwanais sont partis ; sur l’île, l’ambassadrice du Burkina Faso est rappelée sur-le-champ.

Dans le centre-ville de Ouagadougou, le drapeau rouge est hissé par Karim Démé. Ce commerçant de 56 ans, qui a prospéré dans l’import-export avant de créer sa société de BTP, est l’un des principaux acteurs de l’ombre d’une relation sino-burkinabée longtemps quasi clandestine. « Depuis 2011, raconte ce fervent admirateur de la Chine où étudient ses deux enfants, des émissaires chinois venaient d’Abidjan tous les trois mois. On se retrouvait dans des endroits discrets, à l’abri des espions de Taïwan, pour discuter de la stratégie d’un rétablissement diplomatique. »

Ce businessman raffiné gère toutes les demandes de visa pour la Chine, en lien étroit avec l’ambassade chinoise à Abidjan, depuis une vingtaine d’années : opérateurs économiques, ministres, diplomates… Tous passent par ce « consul » informel. Les quelque 400 Chinois résidant sur place recourent aussi à ses services, du paiement des impôts au rapatriement des corps. Efficace, Karim Démé n’a jamais oublié sa mission : replacer Ouagadougou dans le giron chinois.

Avant de renouer, Pékin a multiplié les émissaires africains et occidentaux auprès du pouvoir burkinabé. Au début des années 2000, c’est le richissime homme d’affaires camerounais Yves Michel Fotso qui débarque en avion privé pour tenter de convaincre, en vain, le président Blaise Compaoré. Le Burkina Faso avait une fois rompu avec Taipei, en 1973, deux ans après que Taïwan avait quitté les Nations unies, à la suite de l’entrée de la Chine.

En 1994, le « beau Blaise » renoua avec le partenaire répudié. « Le Burkina souffrait des effets des programmes d’ajustement structurel, se souvient le diplomate et ancien président de l’Assemblée nationale Mélégué Traoré. Les besoins de financement étaient aussi grands que pressants. Le Niger, qui avait renoué en 1993 avec Taïwan, avait bénéficié de 15 milliards de francs CFA, lui permettant de régler les arriérés des salaires de ses fonctionnaires. »

La réconciliation est actée. Pékin, mis à la porte, interrompt ses projets. Ses relations avec le Burkina ne se résument plus qu’à quelques commerçants aventureux et au Forum d’amitié sino-burkinabé, fondé en 2000 par Karim Démé avec l’actuel chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, alors directeur général adjoint du programme des Nations unies pour le développement. Il admet aujourd’hui avoir « utilisé cette position pour accélérer le rapprochement entre la Chine et [s]on pays ».

Huawei, poisson-pilote

Après vingt-sept ans de règne, le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré quitte le pouvoir sous la pression d’une vague d’opposition populaire. Le président de transition, Michel Kafando, est ouvert à l’idée de renouer avec la Chine, qui, elle, ne se montre pas pressée. Et pour cause. L’heure est à la « trêve diplomatique » entre Pékin et son ex-ennemi, le Kouomintang (KMT, Parti nationaliste chinois), revenu au pouvoir, en 2008, à Taipei. Le chef de l’Etat chinois, Xi Jinping, accepte même de rencontrer son homologue taïwanais, Ma Ying-jeou, lors d’un sommet historique, en novembre 2015, à Singapour. Pékin reste à l’écart des alliés taïwanais – même de la Gambie, qui rompt avec Taipei en 2013 et que la Chine fera patienter trois ans…

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Elu président en 2015, Roch Marc Christian Kaboré est lui aussi favorable à un revirement diplomatique du Burkina en faveur de Pékin. « On va les écouter », dit-il à son ami Nasser Basma, qui lui transmet des messages chinois appelant au rapprochement. Issu d’une grande famille de commerçants libanais installés en Afrique depuis plus d’un siècle, M. Basma a grandi au Liberia puis au Liban avant de s’installer à Ouagadougou en 1995. Il est aujourd’hui le puissant PDG de la société Megamonde, qui commercialise depuis deux décennies produits électroménagers et motos chinoises dont raffolent les Burkinabés.

En 2016, le géant des télécommunications chinois Huawei obtient un contrat d’installation de 5 400 km de fibre optique au Burkina Faso, marquant le début d’une nouvelle offensive de Pékin

Car, malgré l’absence de relations diplomatiques, les échanges commerciaux avec la Chine décollent. Ils ont décuplé depuis la brouille de 1994 pour atteindre 28 millions de dollars (25,5 millions d’euros) annuels en 2016, soit vingt fois plus qu’avec Taïwan. Produits, commerçants et hommes d’affaires chinois ont déferlé sur Ouagadougou. « Taïwan a pratiqué une assistance de type traditionnelle, centrée sur l’éducation, la santé. Et la défense, un peu, mais il a délaissé les relations d’affaires et commerciales. La Chine s’est engouffrée dans la brèche », souligne le sinologue Jean-Pierre Cabestan, spécialiste des relations Chine-Afrique.

Reconnaissant envers Pékin, à qui il doit sa fortune, Nasser Basma se mue en un facilitateur entre Ouagadougou et les émissaires chinois menés par Qian Lixia. Diplomate éprouvée, celle-ci est chargée d’affaires à l’ambassade de Chine en Côte d’Ivoire. Des rencontres confidentielles se tiennent dans la somptueuse villa de Nasser Basma, sise dans un quartier huppé de la capitale burkinabée. « En plus des discussions secrètes menées ici, on a continué le lobbying en marge des sommets de l’Union africaine, de la Cédéao [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest], et à Abidjan », précise Karim Démé.

En 2016, le géant des télécommunications chinois Huawei obtient un contrat d’installation de 5 400 km de fibre optique au Burkina Faso, marquant le début d’une nouvelle offensive de Pékin, coordonnée sur place par ses fidèles alliés, pour contrer Taipei sur le terrain. « Un Chinois s’en va, un autre arrive. Et la diplomatie “miam-miam continue », notait, en 2018, l’éditorialiste Charles Guibo dans « Les élucubrations de Toégui », publiées dans le quotidien L’Observateur Paalga. « Avec Pékin, il y a plus de miam-miam à gagner qu’avec Taipei », soulignait-il avec lucidité.

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A Taipei, le pouvoir change de mains en janvier 2016, quand le camp indépendantiste rafle la mise aux législatives et à la présidentielle. Avec l’arrivée de la nouvelle présidente, Tsai Ing-wen, Pékin multiplie les gestes hostiles. La chasse à la récupération des alliés taïwanais est rouverte : après la Gambie en mars 2016, viendront le Panama, Sao Tomé-et-Principe, la République dominicaine. Et le Burkina Faso, qui tombe comme un fruit mûr. La Chine triomphe : pour la première fois, tous les chefs d’Etat africains (sauf l’Eswatini) sont rassemblés à Pékin lors du 7e sommet du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA), en septembre 2018.

« Allô Pékin, ici Ouaga »

Pourtant, durant les années de tourmente politique au Burkina, Taïwan s’était efforcé d’accompagner la difficile transition, restant à l’écoute de tous les protagonistes. La victoire aux élections démocratiques de 2015 de Roch Marc Christian Kaboré apparaissait d’ailleurs comme « une bonne nouvelle pour Taïwan », écrivait Jean-Pierre Cabestan dans la revue South African Journal of International Affairs, en 2017.

Le candidat perdant, Zéphirin Diabré, n’était-il pas le poulain de Pékin – lequel aurait même financé sa campagne, ce qu’il dément – ? « Triste ironie, pressentait le sinologue, les risques d’une rupture diplomatique sont plus élevés à présent que [le Burkina Faso et Taïwan] partagent des valeurs démocratiques communes qu’à l’époque de Compaoré – quand le [pays] évoluait sous un régime semi-autoritaire et personnel. »

En juin 2017, Taipei offre cependant un cadeau qui fait grande impression à Ouagadougou : deux hélicoptères de manœuvre Huey UH-1H d’occasion, sous licence américaine

L’assistance taïwanaise est reconduite selon le système de commission mixte bisannuelle, qui budgétise 47 millions de dollars pour 2016-2018. Le ministre des affaires étrangères, Alpha Barry, réclame 23 millions de dollars supplémentaires, qui lui sont refusés. Taïwan, explique l’un de ses diplomates, tient à ce que la procédure soit respectée.

En juin 2017, Taipei offre cependant un cadeau qui fait grande impression à Ouagadougou : deux hélicoptères de manœuvre Huey UH-1H d’occasion, sous licence américaine. C’est un événement. Le chef d’état-major de l’armée de terre taïwanaise a fait le voyage ; il est accueilli par le président Kaboré. Un diplomate de l’ambassade américaine assiste à la cérémonie. Les Etats-Unis refuseront toutefois de délivrer les autorisations nécessaires pour l’armement de ces appareils qu’avaient demandées les autorités burkinabées à Taïwan..

Pourtant, fin 2017-début 2018, les Taïwanais perçoivent un flottement chez leurs interlocuteurs : « Six mois avant la nouvelle commission mixte, l’ambassadeur a voulu savoir si le pays avait un projet important à nous soumettre. Les Burkinabés sont restés vagues. Ils ont évoqué le projet d’un centre hospitalier universitaire (CHU) près de Bobo Dioulasso, mais tout restait à préparer », raconte un diplomate anciennement chargé de l’Afrique à Taïwan.

Cet hôpital va en fait devenir le projet phare de Pékin. Alors que Taïwan prévoit un prêt, la Chine va accepter de le financer sous la forme d’un don de 91 millions d’euros. Une revanche dans la « diplomatie des hôpitaux » entre les deux Chines en Afrique : après l’hôpital de l’Amitié de Koudougou, l’hôpital universitaire de Tengandogo, construit en 2010, était devenu la réalisation la plus emblématique de Taïwan au Burkina. « En deux ans, tout fonctionnait », se félicite un interlocuteur taïwanais. Quant au nouvel hôpital chinois, le chantier n’a toujours pas démarré, en raison d’une polémique sur le choix du site, dans la forêt classée de Kua.

A Ouagadougou, le mariage avec la Chine est suivi d’une invasion de soft power bon marché. Dans les journaux, les articles de propagande livrés clés en main par Pékin vantent sa « superpuissance » et des rubriques spécifiques, telles que « Allo Pékin, ici Ouaga » ou « Les échos de la Chine », fleurissent. La chaîne de télévision publique programme des documentaires mal traduits à la gloire de la Chine. Pékin affiche le mythe de sa grandeur mise au service d’un pays « frère » revenu dans le droit chemin. Les grandes artères de la capitale sont panachées de panneaux exhibant les visages radieux de Xi Jinping et de Roch Marc Christian Kaboré, qui effectue sa première visite d’Etat à Pékin le 30 août 2018.

Les infréquentables amis du président

Aucun de ses prédécesseurs ne s’y était rendu depuis vingt-huit ans. Lors de son discours d’inauguration au FCSA, Xi Jinping lui rend hommage sous les applaudissements. Le président burkinabé a droit à tous les honneurs. Sa délégation est reçue en grande pompe dans les tours pékinoises du centre de recherche et développement de Huawei et du conglomérat militaro-industriel Poly Group. De l’armement supplémentaire (fusils d’assaut et chars de combat) pour la lutte contre le djihadisme est évoqué, ainsi que du matériel de déminage pour la police, qui ne compte pourtant pas de démineurs.

Le président Kaboré impose sur des contrats d’armement deux de ses « amis » comme intermédiaires avec Poly Group. Qu’importe leur réputation douteuse et leurs méthodes n’excluant pas l’intimidation. L’un d’eux, le Franco-italien « Bob » Alzon, pense même impressionner en se présentant comme un ancien mercenaire proche du français défunt Bob Denard. La nouvelle relation Chine-Burkina Faso est une opportunité inespérée pour ces acteurs interlopes, disposés à nouer des pactes corruptifs et à user de la menace pour préserver leurs intérêts.

Le chef de l’Etat burkinabé les utilise et les protège, quitte à prendre le risque de freiner la coopération militaire : les Chinois préfèrent les relations avec les officiels, plus rassurantes. M. Kaboré se rend régulièrement dans la villa huppée de son « ami », l’autre intermédiaire, qu’il protège et favorise, fermant les yeux sur les pratiques de ce dernier. Se profile ainsi l’autre visage d’un président présenté par ses partenaires occidentaux comme une icône de la démocratie. Ses fréquentations inavouables sont un sujet tabou.

D’autres changements inquiètent la société civile qui s’est battue pour la démocratie contre le régime de Blaise Compaoré, puis contre les auteurs de la tentative de coup d’Etat de septembre 2015. Il y a ainsi ces nombreuses caméras de vidéosurveillance ultrasophistiquées qui parsèment désormais le centre-ville de la capitale, après le traumatisme causé par les attaques djihadistes qui avaient visé simultanément, le 2 mars 2018, l’état-major général des armées et l’ambassade de France.

Leur installation est la conséquence d’un accord passé avec Huawei, lors de la visite d’Etat du président Kaboré à Pékin, visant à mettre en place une safe city (« ville sûre »). D’autres ont déjà été installées dans une quarantaine de pays : Angola, Pakistan, Venezuela, Russie… Et aussi à Valenciennes, en France. La simple évocation de ces caméras met dans l’embarras le pouvoir burkinabé, qui préfère parler de « Smart Burkina ». C’est plus chic et cela permet de faire croire à un début de projet de « ville intelligente » ultraconnectée, voire futuriste.

Les intrigantes caméras de Huawei

« Huawei nous a accordé un prêt concessionnel d’environ 82 millions de dollars pour ce projet qui est en phase de test. L’idée, c’est de tirer profit de la fibre optique de Huawei et de la relier aux caméras, pour mieux sécuriser la ville », précise Alpha Barry. Ce dernier a toutefois exigé, fin 2018, le retrait d’une caméra discrètement installée face au siège de son ministère et de la résidence de l’ambassadeur de France, qui lui avait fait part de son étonnement. La surveillance de ces sites stratégiques a de quoi intriguer. « Les caméras, c’est pour lutter contre la criminalité, balaie froidement Ousseini Compaoré, ministre de la sécurité. Je peux vous assurer que nous respectons les libertés individuelles. »

Or, pour l’instant, aucune disposition juridique n’accompagne ce dispositif opaque sur lequel nul n’a communiqué. Ce qui laisse craindre une exportation par la Chine de sa gestion des foules et de son modèle de contrôle politique, dont semble s’accommoder le pouvoir burkinabé.

« La Chine n’a pas la même conception que nous de la démocratie et cherche déjà à influer sur nos libertés et sur notre espace politique », déplore le vieux militant Mousbila Sankara, qui fut emprisonné quatre ans par le régime Compaoré. « La vision et la méthode chinoises en matière de droits de l’homme me semblent dangereuses et contraires aux aspirations d’un peuple qui a lutté pour ses droits », ajoute cet ancien camarade de Thomas Sankara, président assassiné le 15 octobre 1987.

« C’est un problème qu’une puissance étrangère s’immisce dans le jeu politique et ne traite qu’avec le pouvoir en place. Cela risque de peser sur la démocratie burkinabée et de fausser le jeu politique », Zéphirin Diabré

C’est aussi l’avis de Zéphirin Diabré, dirigeant de l’opposition et ami déçu de la Chine. Cet ancien artisan du rapprochement avec Pékin, ne supporte pas de voir un parti unique, le Parti communiste chinois (PCC), former, soutenir et structurer le parti présidentiel burkinabé, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2020. « C’est un problème qu’une puissance étrangère s’immisce dans le jeu politique et ne traite qu’avec le pouvoir en place, dit-il. Cela risque de peser sur la démocratie burkinabée et de fausser le jeu politique. »

De son côté, Pékin se défend de toute ingérence. « C’est normal que les partis au pouvoir coopèrent. On partage notre expérience avec le MPP, c’est du gagnant-gagnant », explique Xu Fei, conseiller politique à l’ambassade de Chine au Burkina Faso, une enceinte qui renferme une dizaine de villas, dans le quartier cossu de Ouaga 2000, en face de la résidence de Nasser Basma.

Et d’ajouter : « On a aussi des échanges avec d’autres partis politiques, bien sûr. Avec le renforcement de la coopération sino-burkinabée, ces échanges vont également se renforcer dans l’avenir. » Ce que dément l’opposition. L’un des intermédiaires entre la Chine et le Burkina Faso livre une autre analyse : « Le but de Pékin, c’est d’investir dans la campagne et de contribuer à la réélection de Roch Marc Christian Kaboré, en échange de la signature de contrats pour des grands projets. » Parmi les caciques du MPP, le parti-Etat autoritaire chinois est devenu un modèle à adapter aux réalités locales pour se maintenir au pouvoir.

Pour Pékin, ces investissements, modestes à l’échelle de son empire, lui permettent de s’assurer du soutien burkinabé dans sa conquête des instances internationales. Lors de sa première visite à Ouagadougou, le 4 janvier 2019, le ministre des affaires étrangères chinois s’est ainsi empressé d’évoquer la candidature du vice-ministre de l’agriculture, Qu Dongyu, à la direction générale de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). « Kaboré s’est engagé à soutenir le candidat chinois, avant de se raviser et de donner instruction de voter pour la candidate française, à la demande de Paris », assure une source burkinabée. Le 23 juin, à Rome, la candidate de la France et de l’Union européenne a pourtant dû s’incliner, avec 71 votes contre 108 pour le candidat chinois.

Une fois rétablies ses relations avec le Burkina, l’un des gestes forts de la Chine a été de mettre la main à la poche pour le G5 Sahel, en allouant, début 2019, 40 millions d’euros à cette force conjointe formée par le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso pour lutter contre le djihadisme. Taïwan, contrarié, soupçonne Paris d’avoir donné son accord, sinon d’avoir fait preuve d’indulgence concernant ce changement d’allié diplomatique au Burkina. « On sentait la France réticente à notre égard, alors que nous étions très soutenus sur place par le Japon et les Etats-Unis », explique une source diplomatique taïwanaise, anciennement installée à Ouagadougou.

Soirées en col Mao

Après la réunion du G5 Sahel, en février 2018, à Bruxelles, Alpha Barry avait évoqué le malaise autour de la table ronde des pays donateurs : « Le délégué chinois a été clair : pas de financement pour le G5 Sahel, à cause du Burkina Faso. Cette situation était inconfortable, pour nous et pour nos voisins. » Selon les mots d’un conseiller de M. Kaboré, « le G5 est une création de la France, qui n’a pas les moyens de le financer. Donc les Chinois sont les bienvenus ». Puis Taipei a cédé sa place à Pékin… En 2019, le Burkina Faso, de plus en plus ciblé par des attaques, assure la présidence du G5 Sahel dont la force de 5 000 hommes peine à contenir la menace djihadiste. « Le rôle que joue le G5 Sahel s’intensifie. L’aide de la communauté internationale a augmenté, et notre soutien va aussi augmenter », promet désormais le diplomate Xu Fei.

Tandis que le pouvoir burkinabé découvre les vertus du multilatéralisme, sa défiance mal dissimulée à l’égard de l’ancienne puissance coloniale s’exprime plus vertement, notamment en matière économique. C’est ainsi qu’en 2018, dans le dos de la France qui paraît l’agacer, le ministre des transports a pris langue avec des entreprises publiques chinoises désireuses de rafler à un consortium français le marché de la construction du futur aéroport international de Donsin, en périphérie de Ouagadougou. « Les Chinois ont de l’intérêt pour tout, et nous sommes saturés de propositions, mais on ne veut pas se précipiter », nuance Stéphane Ouédraogo, conseiller économique du président Kaboré.

Parmi les projets prioritaires figurent l’autoroute reliant Ouagadougou à Abidjan, via Bobo Dioulasso, au coût approximatif d’un milliard de dollars, la ligne de chemin de fer entre la capitale burkinabée et le port ghanéen de Tema, ainsi que celle reliant Kaya à la mine de manganèse de Tambao, située dans une zone sous contrôle de groupes armés, mais convoitée par des opérateurs chinois – qui lorgnent aussi les gisements d’or, la première source de revenu du pays.

En juin, l’agence de presse Bloomberg évoquait ainsi l’éventualité d’un rachat, par la société aurifère China National Gold, d’une partie ou de la totalité des parts de la société canadienne Iamgold, qui exploite la plus grande mine d’or du Burkina Faso. « Tous les grands projets devraient démarrer en 2020 », dit un conseiller stratégique du président. Soit après la réélection supposée de Roch Marc Christian Kaboré.

En attendant, l’ambassade de Chine a convié le gotha de « Ouaga » à célébrer le premier anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques. Le 26 mai, dans les salons de l’Hôtel Laico, construit par la Libye de Mouammar Kadhafi, des conseillers du président Kaboré avaient revêtu pour l’occasion leurs plus beaux costumes à col Mao. Alpha Barry y a rendu un hommage appuyé à Pékin.

Toujours discret, l’influent commerçant Karim Démé savourait sa victoire. Tout comme l’ex-premier ministre Paul Kaba Thiéba, il a décliné le poste d’ambassadeur du Burkina Faso à Pékin. Mais il a accepté, avec Nasser Basma, autre artisan de cette spectaculaire opération diplomatique, de recevoir le Prix de l’amitié sino-burkinabé. Officialisant ainsi leur rôle déterminant dans ces retrouvailles entre la seconde puissance économique mondiale et le quatorzième pays le plus pauvre de la planète.

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