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Mexique : l’élection présidentielle est entre les mains des jeunes

Les candidats à l’élection présidentielle tentent tant bien que mal de capter l'attention de cette génération désenchantée, qui pourrait faire basculer le scrutin du 1er juillet si elle se rend aux urnes.

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Ricardo Anaya, candidat conservateur, fait des selfies avec des jeunes lors du lancement de sa campagne à Mexico fin mars. Les Mexicains élisent leur président le 1er jour, en un tour. (Rebecca Blackwell/AP/SIPA)
Publié le 28 juin 2018 à 18:22

Mexico, 21 heures. Une centaine de jeunes se presse sous les néons du Cinépolis Diana, un cinéma de la capitale qui propose des séances de Deadpool et Avengers : Infinity war. Ce soir, ils boudent cependant les blockbusters pour la politique : le public est venu regarder le deuxième débat de l’élection présidentielle du 1er juillet, diffusé sur grand écran dans une salle du cinéma.

Armés de grands seaux de popcorn beurré, les spectateurs vont regarder s’affronter les quatre candidats en lice pour la présidentielle. Gouverné pendant 70 ans par le PRI, une sorte de parti-Etat, le Mexique a connu un interlude de douze ans de droite conservatrice avant que le PRI ne revienne à sa tête avec le président actuel. En 2018, en quête d’alternance, les Mexicains pourraient se tourner vers la gauche, qui caracole en tête des sondages.


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A la manoeuvre de l’opération politique-popcorn, le collectif Me Gusta Que Votes (“J’aime que tu votes”), qui s’est donné pour mission d’encourager la participation des jeunes dans les urnes. Un objectif crucial : selon les chiffres de l’Institut national électoral, les moins de 30 ans constituent cette année 30% du corps électoral, soit 26 millions d’électeurs. “A titre de comparaison, le président actuel Enrique Peña Nieto (PRI) a été élu en 2012 avec 19 millions de voix, pointe l’organisatrice de la soirée Aline Zunzunegui, 25 ans. Il faut que les millenials réalisent que c’est la première fois qu’ils ont autant de pouvoir.”

Seul hic : historiquement, les jeunes rechignent à se rendre dans les bureaux de vote. En 2016, lors des élections fédérales et locales, le taux d’abstention de cette catégorie était de 40%.

Génération engagée

A deux heures de là, dans une petite salle de classe de Puebla, une ville étudiante réputée pour la beauté de ses bâtiments, la voix d’Estefania tremble. Cette publicitaire de 24 ans est venue assister à un atelier sur les mérites du vote et a du mal à contenir sa frustration. “Je ressens une colère terrible envers les politiques. Je vois la situation de mon quartier se dégrader. Le soir, quand ma mère ou ma soeur sortent, je crains pour leur sécurité.” La génération d’Estefania a grandi avec la guerre contre le narcotrafic que mène le gouvernement depuis deux sexennats et qui a conduit aux 25.000 homicides enregistrés en 2017, l’année la plus violente observée en vingt ans dans le pays.

“Il y a un vrai désenchantement chez ces jeunes”, diagnostique Fernando Castañeda, professeur de sociologie à la UNAM, la gigantesque université publique de Mexico. “On les décrit parfois comme une génération apathique. C’est vrai… mais seulement au regard de la politique, dont ils rejettent le fonctionnement.” Un ras-le-bol renforcé par le bilan catastrophique du président actuel, miné par de nombreuses affaires de corruption et la disparition restée inexpliquée de 43 étudiants dans le sud-est du pays.

Fuyant les partis politiques, les millenials réorientent leur soif d’engagement vers la société civile. Eric  Zaragoza a 29 ans. Cet architecte de Puebla aux pommettes hautes fait partie d’Enseña Por Mexico, une association dont le slogan invite à “décider de transformer le Mexique et notre futur par l’éducation”. S’engager à plein temps pendant deux ans ne lui pas coûté. Mais ne lui parlez pas d’engagement politique : “Là où je suis, je suis certain de faire avancer les choses. Je refuse de me revendiquer d’un parti et d’être prisonnier de ses décisions.”

Emojis et vidéos virales

Face à cette configuration électorale unique, les partis n’ont pu échapper à l’enjeu que représente la nouvelle génération. La campagne s’est tenue autant sur les réseaux sociaux que sur les esplanades publiques. Le conservateur Ricardo Anaya a publié plusieurs vidéos, dont une où il joue au ballon avec le célèbre footballeur mexicain Manuel Negrete.

Les partisans du candidat de la gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO, se sont rebaptisés les ‘AMLovers’ et ont lancé un emoji à l’effigie de leur candidat.

Pourtant, les stratégies mises en place peinent à convaincre. “J’ai l’impression qu’on s’adresse à moi comme à un pourcentage, pas comme à une personne”, grince Ana, étudiante en sciences politiques, à la sortie du Cinépolis. Les rares mesures consacrées aux jeunes concernent leur portefeuille : bourses pour les étudiants, diminution du prix du ticket de bus… “C’est ce qui est le plus surprenant, pointe le Pr. Castañeda. Les partis politiques savent que c’est le moment de s’adresser aux jeunes mais ils ne savent pas comment leur parler. Les quelques mesures proposées sont purement clientélistes. Cela souligne, en creux, leur absence de vision pour le futur.”

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Informer pour mobiliser

En bons millenials, c’est peut-être de la société civile que viendra la solution. Plusieurs collectifs ont lancé des opérations pour recentrer le débat sur le fond et les propositions, qui peinent à occuper l’espace médiatique. “Les candidats préfèrent s’invectiver et s’accuser mutuellement de corruption plutôt que de développer un programme”, décrypte le Pr. Castañeda. “Ce n’est pas un discours qui donne envie de choisir un candidat.”

Un sondage avançait en avril que 73% des jeunes avaient l’intention de participer à l’élection. Un chiffre optimiste : en 2012, ils avaient été 55% à se déplacer pour élire leur président. Et rien n’indique qu’ils le feront par conviction : “Ceux qui se déplaceront ne signeront pas un chèque en blanc à leur candidat. Le gagnant aura des comptes à rendre”, prévient le sociologue.

Alix Hardy (à Mexico)

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