Récompenser un film populaire aux Oscars : la fausse bonne idée ?

Comme les César, l'académie américaine décernera désormais un prix réservé aux longs-métrages ayant fait beaucoup d'entrées. Une décision controversée.

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Disney risque bien de décrocher l'oscar dans cette nouvelle catégorie en 2019.

Disney risque bien de décrocher l'oscar dans cette nouvelle catégorie en 2019.

© Christopher Polk / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Temps de lecture : 5 min

C'est un gros bouleversement qu'a annoncé mercredi John Bailey, président de l'académie des Oscars, dans une lettre à ses 5 000 membres. Dès 2019, un nouveau prix sera en effet ajouté à la liste déjà longue des récompenses décernées lors de la cérémonie : celui de la « réalisation remarquable pour un film populaire ». Derrière cette dénomination alambiquée, on comprend que l'Académie entend désormais récompenser des films ayant fait beaucoup d'entrées sur le territoire américain et récolté leur lot de billets verts. Une décision qui n'a pas manqué de faire réagir, mais qui a surtout soulevé une question essentielle : pourquoi ?

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Attirer une audience qui boude

Dans une tribune publiée sur le site spécialisé Variety, un journaliste associe la décision de l'Académie à une « tentative désespérée » pour augmenter les audiences télévisées de la cérémonie, en chute libre depuis quatre ans. En 2018, l'événement n'a rassemblé que 26,5 millions de personnes, soit 20 % de moins qu'en 2017. Selon Variety, l'Académie essayerait d'attirer un public d'ordinaire peu habitué des Oscars et de nouveaux contrats publicitaires fructueux destinés aux amateurs de super-héros et autres blockbusters d'action.

Bientôt un oscar pour "Black Panther" et ses 700 millions d'entrées outre-Atlantique ?

© Disney / Marvel

Pour appâter les téléspectateurs, à partir de 2020, la durée de la cérémonie sera réduite à trois heures (contre environ 4 h 30 actuellement), et certaines récompenses techniques seront remises durant les coupures publicitaires. Ces moments seront ensuite ajoutés aux rediffusions de la cérémonie ou disponibles sur Internet. « On veut produire une cérémonie divertissante en proposant des Oscars plus accessibles à notre audience du monde entier », a justifié John Bailey. Sur les réseaux sociaux, cet ensemble de changements, destinés vraisemblablement à transformer petit à petit une soirée dédiée au septième art en show télévisé, a suscité un flot de critiques. Le site Deadline en a d'ailleurs fait un petit florilège.

Quelles modalités pour concourir ?

L'Académie n'a pour l'instant pas précisé quelles seront les modalités pour pouvoir prétendre à une nomination à la meilleure réalisation pour un film populaire. Avec cet intitulé, on peut penser qu'il ne s'agira pas d'un oscar similaire au tout jeune césar du public, qui se contente de récompenser le film ayant fait le plus d'entrées sur l'année écoulée. On ne sait cependant pas encore quel nombre minimal d'entrées un long-métrage devra engranger pour pouvoir être nommé dans cette catégorie. La notion de « populaire » demeure également assez floue, mais John Bailey a promis dans un communiqué que « les critères d'éligibilité et les détails-clés arriveront bientôt ».

« En créant ce prix, le bureau soutient l'excellence dans tous les types de films », a poursuivi le président de l'Académie. Une justification que beaucoup d'observateurs dénoncent, arguant qu'il s'agit d'un prix souhaité par Disney pour que ses productions, autres que ses films d'animation, soient récompensées. Depuis 2000, il ne s'est pas écoulé une seule année sans qu'un film sorti des studios de Burbank ne fasse partie du top 10 au box-office. Nul doute que plusieurs des nouveautés de la firme feront partie des nommés pour la prochaine cérémonie, prévue le 24 février 2019.

Des blockbusters de moins en moins bonne qualité ?

La La Land, sorti en 2017, rare succès critique et populaire de ces dernières années.

© SND

Contrairement à une tendance régulièrement reprochée aux Oscars par les intellos dans les années 1980 et 1990, peu de gros succès commerciaux ont récemment figuré dans les films primés ou nommés – hormis de notables exemples comme Mad Max: Fury Road de George Miller, Dunkerque de Christopher Nolan, Get Out de Jordan Peele ou encore La La Land de Damien Chazelle. Ces derniers n'ont pas pour autant atteint les chiffres vertigineux des productions Marvel ou des nouveaux épisodes de la saga Star Wars, qui se contentent en général de récolter des nominations techniques, renforçant l'idée qu'un fossé ne cesse de se creuser entre le public et la critique.

"Le Retour du roi", premier au box-office en 2003 et premier dans le cœur de la critique.

© New Line Cinema

Dans les années 1990 et au début des années 2000, leurs goûts des deux sphères semblaient pourtant s'accorder. En témoignent les onze oscars (dont celui de meilleur film) remportés respectivement par Titanic de James Cameron en 1998 et par Le Retour du roi de Peter Jackson en 2004, deux films qui avaient terminé en tête du box-office outre-Atlantique l'année de leur sortie. Gladiator (sorti en 200

0) de Ridley Scott, Il faut sauver le soldat Ryan (1998) de Steven Spielberg ou encore Forrest Gump (1994) de Robert Zemeckis avaient également remporté de nombreux oscars et été largement plébiscités par le public et la critique américaine. Un phénomène qui a aujourd'hui quasiment disparu. Cette année, La Forme de l'eau de Guillermo del Toro, vainqueur de la statuette de meilleur film, n'a terminé qu'en 46e position au box-office. Son prédécesseur, Moonlight, de Barry Jenkins, s'était difficilement glissé dans le top 100, s'installant à la 96e position en 2016, année durant laquelle le public s'était précipité dans les salles pour voir Rogue One.

US-OSCARS-AFTERPARTY © ANGELA WEISS ANGELA WEISS / AFP

Guillermo del Toro (gauche), vainqueur de deux oscars pour "La Forme de l'eau", mais 46e au box-office.

© ANGELA WEISS ANGELA WEISS / AFP

Ce nouveau prix destiné aux films populaires pourrait bien stimuler la production de films issus de grosses franchises, au détriment de blockbusters plus exigeants artistiquement et satisfaisant autant le public que la critique. Mais difficile de résister aux pressions de la machine Disney, lancée à pleine vitesse et comptant dans ses rangs Pixar, Marvel, Lucasfilm et maintenant la Fox : récompenser désormais le « meilleur film populaire » (quels que soient les critères retenus) lui assurera plus de visibilité, tout en encourageant ses concurrents sur la voie des poids lourds grand public, si ces derniers peuvent désormais décrocher la si convoitée statuette dorée.

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Commentaires (3)

  • oscar de marracq

    Vous avez tous les deux bien raison !

  • guy bernard

    Les Oscars ont été créés par les studios pour s'auto-celebrer.
    que produisent aujourd'hui les studios ? Et quels films ont droit au grand écran ?
    je vois régulièrement sur Sundance TV des films qui n'ont pu être diffusés.
    quant au glamour, il y a longtemps qu'on connait aussi bien les stars que leurs maris, pour être poli.
    comme dans Alice, nous fêtons tous les jours les non-oscars.

  • Le sanglier de Génolhac

    Palme d'or à Cannes, ça changerait des bouses palmées depuis "apocalypse now", le dernier film regardable de ce désormais cimetière du cinéma.