De l’efficacité d’un boycott sportif

 

Dans l’émission 28 minutes sur Arte du 3 décembre dernier, le programme s’arrêtait sur la décision de la WTA (l’association internationale des joueuses de tennis professionnelles) par la voix de son président, l’Américain Steve Simon, de suspendre tout tournoi féminin en Chine. Il déclarait en outre à propos de la tenniswoman Peng Shuai qui avait disparu après avoir accusé de viol un dignitaire du régime : « Peng Shuai n’est pas autorisée à communiquer librement et a, semble-t-il, subi des pressions pour revenir sur ses déclarations d’agression sexuelle. Les dirigeants de la Chine n’ont pas laissé de choix à la WTA. » Cette décision justifiée et courageuse, qui, de fait, prive la WTA des retombées financières de tels tournois pour les joueuses et l’organisation, a été saluée par celles-ci, l’opinion publique et, très justement, par les journalistes du plateau de 28 minutes. Mais, ces derniers (Renaud Dély et Jean Quatremer) ont semblé mettre en doute le pouvoir d’un boycott sportif (« l’efficacité des sanctions n’a jamais été prouvée »). Autrement dit, un boycott des JO en Chine ou d’autre compétition ne servirait à rien et, par conséquent, si ces mêmes Jeux de Pékin venaient à être boudés par des gouvernements démocratiques occidentaux, cela n’aurait aucune influence sur le contrôle des populations, des médias, le sort des Ouïghours, plus largement sur le régime militaro-policier et autocratique de Xi Jinping.

Quels que soient ses motifs un boycott produit pourtant toujours des effets politiques. En premier lieu, la réaction des autorités chinoises à la décision de la WTA ne laisse aucun doute. Sur un ton qui reprend le credo du CIO, « nous sommes fermement opposés à toute action politisant le sport », les autorités chinoises parlent aussi « d’ingérence politique » se retrouvant contraintes de se défendre en se contredisant. Ou le sport est politique, ou il ne l’est pas. S’il ne l’est pas, il n’y a pas d’ingérence politique à demander à ce que la joueuse chinoise puisse être libre de ses mouvements et donc de voyager. Les déclarations chinoises trahissent ainsi que le sport est en Chine éminemment politique. On peut aussi considérer que la politique ne sert à rien, sauf que ces échanges sont déjà un gage d’efficacité de la démarche de la WTA dans la lutte contre les faux-semblants chinois. En particulier à travers la mise en scène des apparitions de Peng Shuai en visio à peu près aussi libres que des experts de l’OMS inspectant un laboratoire à Wuhan.

Ensuite, quel État démocratique pourrait s’opposer à la décision d’une instance internationale indépendante ? Aucun. D’ailleurs, personne ne demande à la WTA de se dédire, pas même le CIO qui, lui, se voit obligé de rassurer ses clients chinois qui organisent les Jeux d’hiver en 2022. Un numéro d’équilibrisme diplomatique difficile à exécuter, à l’heure où Joe Biden a exprimé sa volonté de ne pas jouer le jeu à propos de cette diplomatie-là, puisqu’il a décidé de ne pas envoyer en Chine des représentants du gouvernement américain. Ce qui a suscité des réactions outrées de la part de Pékin. L’annonce du président des États-Unis justifiée par le « génocide et des crimes contre l’humanité en cours au Xinjiang » dément donc la non-efficacité de tout boycott, ne fût-il que symbolique.

Attirer l’attention sur la réalité d’un régime politique hôte des JO s’est déjà très largement produit et a eu des conséquences tangibles. Pas forcément immédiates, mais dans le temps. Leurs suites peuvent paraître minimes ? Elles ne le sont pas. Il est toujours compliqué pour un régime non démocratique de devoir expliquer l’absence de tel ou tel représentant officiel ou de telle délégation sur son sol. Par le vide, ou le mensonge, un État dictatorial devra toujours justifier politiquement le refus de collaboration d’une puissance étrangère. Même par une communication de propagande. Ce qui ne passe jamais inaperçu. En termes d’efficacité, le boycott des participants à une compétition sportive est même parfois plus puissant qu’une escarmouche diplomatique. Pour le prouver, rappelons seulement l’épisode des JO de Montréal en 1976 boycottés par 22 pays pour manifester contre le silence du mouvement sportif face à une tournée des Springboks d’Afrique du Sud pendant l’apartheid en Nouvelle-Zélande, alors même que l’embargo sportif envers le régime ségrégationniste avait été décrété. Les États en question s’étaient ligués pour faire interdire la présence de la Nouvelle-Zélande au Canada pour avoir enfreint cet embargo général, mis en place dès 1961 et décidé par les pays du Commonwealth. Le CIO ayant refusé d’exclure la Nouvelle-Zélande, ces nations africaines, qui voulaient évidemment la fin de l’apartheid, avaient retenu leurs athlètes. À noter que, cette même année, la République populaire de Chine avait également boycotté l’événement s’opposant à la reconnaissance par le CIO de Taïwan (Formose d’alors). Après quoi le CIO a imposé à Taïwan de n’apparaître en compétition que sous le nom de « Taipei chinois », sans avoir même le droit d’arborer leur drapeau. Comme quoi, même la Chine connaît l’efficacité d’un boycott sportif, de l’ingérence politique, tout dépend de ses intérêts. Et, surtout, le CIO avait cédé. Restons au Canada pour signaler que, plus récemment, dans une lettre adressée au CIO, l’ensemble des responsables politiques ont demandé à ce que les Jeux d’hiver 2022 soient déplacés ailleurs. Option qui, de fait, sanctionnerait Pékin politiquement sans atteindre la sphère sportive. Le chef de mission olympique canadienne, Jean-Luc Brassard, un skieur, avait également choisi de soutenir cette requête : « Moi, je suis un de ceux qui croient que le Comité international olympique devrait arrêter de présenter ces compétitions dans des pays totalitaires, où les droits de l’homme sont bafoués. » À se demander s’il ne faudrait pas boycotter aussi le CIO…

Quoi qu’il en soit, affirmer qu’un boycott sportif serait inefficace en tant qu’arme de destruction pacifique de régimes autoritaires est un peu hâtif. L’URSS n’a cessé de se fissurer à partir du boycott des Jeux de Moscou en 1980 par les États-Unis et l’exclusion de la scène sportive internationale de l’Afrique du Sud a eu une influence majeure sur la fin de l’apartheid, plus grande que les restrictions économiques qui étaient en réalité transgressées. Enfin, pour terminer sur l’affaire Peng Shuai, la décision de la WTA est doublement efficace. Ou la joueuse sera autorisée à reprendre normalement sa carrière pour détromper le monde ou la Chine continuera de s’afficher comme ce qu’elle est : un régime anti-démocratique. Dans les deux cas, la WTA aura eu raison de prendre cette décision d’exclure la Chine de son calendrier.

D’autres organisations ou États n’ont pas ses pudeurs en commerçant avec des despotes, alors que se profile la Coupe du Monde football au Qatar obtenue par l’émirat dans des conditions encore floues et qu’Emmanuel Macron n’a pas eu le moindre scrupule à signer des contrats d’armement avec des monarchies en guerre comme les EAU ou l’Arabie saoudite qui ont causé selon les Nations unies 377 000 morts au Yémen. De ce point de vue, on peut être d’accord avec ces confrères de la radio-télévision pour dire qu’un boycott français des prochains Jeux en Chine n’aurait aucune sorte de valeur. Mais pas, comme ils l’ont affirmé un peu vite, que le boycott en soi d’un événement sportif ne serait d’aucune efficacité pour freiner voire stopper les pratiques de répression à l’intérieur de régimes dictatoriaux.

Olivier Villepreux