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Ma mère de 98 ans est en CHSLD. Ne pas pouvoir la visiter me brise le coeur

Est-ce que je vais pouvoir l’accompagner dans ses derniers instants s’ils sont prochains? Personne ne veut, idéalement, finir ses jours dans un CHSLD, et encore moins loin de sa famille...

Maman, Émiliane, a adopté trois enfants. On a grandi sur une ferme. C’était l’entraide, chacun mettait la main à la pâte.

Elle était dans la catégorie des parents sévères, mais elle s’occupait bien de ses enfants. Elle était plus réservée, moins expressive. Mais des fois, elle nous disait: «Je ne vous dis pas souvent que je vous aime… mais je vous aime!»

Jeanne, sa soeur Juliana et leur mère Emiliane
Courtoisie/Jeanne Pouliot
Jeanne, sa soeur Juliana et leur mère Emiliane

À 87 ans, elle a vendu sa maison, à Lévis, où elle a toujours vécu, et elle est allée habiter en appartement.

Il y a un peu plus d’un an, elle a fait une grosse pneumonie. Elle était vraiment malade, elle ne pouvait plus rester toute seule. Après sa convalescence, je voulais qu’elle vienne près de chez moi, à Louiseville en Mauricie. Je voulais avoir un oeil sur elle.

Elle a toujours vécu à Lévis, mais elle a fini par dire oui. Je lui ai promis que j’irais la voir tous les jours et que je m’occuperais d’elle. Elle était contente, et moi aussi.

Elle a déménagé en août 2018 et a d’abord été dans une résidence pour aînés semi-autonomes. Là-bas, elle tombait souvent. Ils l’ont envoyée dans une unité de courte durée gériatrique, pour une transition.

J’ai été chanceuse. D’habitude, quand on demande une place en CHSLD, la personne peut être envoyée plus loin. Mais j’ai tenu mon bout et j’ai dit que je l’avais fait venir à Louiseville pour l’avoir proche de moi. Je lui avais promis. Elle a finalement été placée au CHSLD de Louiseville. J’étais bien contente, c’est au bout de ma rue!

Depuis qu’elle est là, j’ai l’habitude d’aller la voir une ou deux fois par jour: une couple d’heures le midi et une couple d’heures le soir. Je fais son lavage et je lui apporte des petites gâteries. Ma soeur aînée, Juliana, qui habite à Saint-Jean-sur-Richelieu, vient aussi la voir le plus possible.

Elle a du fun avec tout le monde, elle agace les employés et rit tout le temps. Depuis que je l’ai amenée ici, au CHSLD, j’ai une maman qui n’est carrément plus celle qu’elle était. Elle est démonstrative. J’arrive, elle me tend les bras, on se donne plein de becs. Elle n’est plus pareille! Je pense que ça lui a fait du bien.

“Est-ce que je vais la revoir relativement en forme? Et s’il lui arrivait quelque chose? Je voudrais pouvoir l’accompagner et qu’elle ne se sente pas toute seule.”

Ça nous a vraiment rapprochées. Notre relation est tellement plus intime que quand on se parlait seulement au téléphone. On va dehors au jardin, je lui prépare son repas, on parle ensemble de tout et de rien et je lui donne des nouvelles de la famille, parce que ma soeur et moi, on a plusieurs petits-enfants. Quand j’arrive, elle est dans le corridor dans son fauteuil roulant et elle me tend les bras. On se dit qu’on s’aime et qu’on est contentes de se voir.

Mais depuis deux semaines, à cause de la pandémie, je ne peux plus aller voir ma mère, et je ne sais pas ce sera pour combien de temps. Je me sens vraiment impuissante, mais je n’ai pas le choix. Les restrictions sont appliquées à la lettre. Maintenant, les résidents ne mangent plus dans la salle commune, mais chacun dans leur chambre.

Quand j’ai su que c’était fermé aux visites, qu’on ne pouvait plus y aller, j’ai pris ça mal. J’ai beaucoup de questionnements dans ma tête et dans mon coeur. Comment va-t-elle réagir? Comment va-t-elle prendre ça? Est-ce que je vais la revoir relativement en forme? Et s’il lui arrivait quelque chose? Je voudrais pouvoir l’accompagner et qu’elle ne se sente pas toute seule.

Je me sens comme si je ne pouvais pas tenir l’engagement que j’ai pris avec elle, comme si je l’abandonnais, même si je sais que ce n’est pas ça, que ce n’est pas de ma faute.

“Maman, elle ressuscite tout le temps! Elle est faite forte.”

Maman est quand même lucide, mais elle va avoir 98 ans. Elle oublie beaucoup le court terme. Je lui ai écrit une lettre où je lui explique ce qui se passe, en disant qu’elle peut la relire tous les jours si elle ne s’en souvient plus. J’ai réussi à lui parler au téléphone trois fois depuis les mesures d’isolement. Elle dit que ça va bien, mais que c’est long. Il y a beaucoup de résidents qui ne savent pas où ils sont, pour eux, ça ne pose pas problème...

Maman, elle est résiliente.

Le pire, le plus difficile, c’est de penser qu’elle pourrait partir sans que je puisse être là. Ce serait épouvantable. Est-ce que je vais pouvoir l’accompagner dans ses derniers instants s’ils sont prochains? Personne ne veut, idéalement, finir ses jours dans un CHSLD, et encore moins loin de sa famille.

Elle a eu la grippe, il y a quelques mois, et ça a viré en pneumonie. À un moment donné, on pensait qu’elle partait. J’ai couché là-bas. Mais non! Maman, elle ressuscite tout le temps! Elle est faite forte. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle est orgueilleuse, têtue…

Cette fois-là, ma soeur lui avait dit de ne pas penser à nous quand elle allait être prête à partir. Elle lui a dit qu’on allait être correctes parce qu’on ne sera pas seules. On a nos enfants et nos petits-enfants.

Emiliane, 98 ans
Courtoisie/Jeanne Pouliot
Emiliane, 98 ans

Il y a quelques jours, maman m’a appelée avec l’aide d’une employée du centre. Quand j’ai entendu sa voix, j’ai dit: «Oh, maman!» Je suis venue le coeur gros et j’ai pleuré. L’employée a demandé pourquoi je pleurais! Je suis une braillarde dans la vie!

Les employés du centre m’ont dit de ne pas m’inquiéter, qu’ils allaient avoir des attentions spéciales pour leurs petites madames et leurs petits messieurs. Le personnel est tellement gentil. Ils m’appellent deux fois par semaine pour me faire un compte-rendu et me dire comment ça va.

J’étais moi-même préposée aux bénéficiaires dans la vie. Je connais l’envers du décor! Ce sont des personnes de coeur, engagées. Je n’ai aucune inquiétude face aux soins que maman va avoir. Je sais qu’elle est entre bonnes mains. Pour ça, je n’ai aucune inquiétude.

Ce qui est difficile en ce moment, c’est que notre relation redevient comme avant, comme quand on se parlait surtout au téléphone et qu’elle était loin, sauf qu’elle est toujours au bout de ma rue. On perd l’intimité qu’on a développée.

On ne connaît pas l’avenir. C’est de l’inconnu, ça fait peur.

Physiquement, je ne suis plus là pour elle. Mais dans le coeur, je ne l’abandonne pas.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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