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Jean-Philippe Tanguy, le visage de la normalisation du Rassemblement national ?
Au centre, le député de la quatrième circonscription de la Somme Jean-Philippe Tanguy, le 28 juin à l'Assemblée nationale.
PHOTOPQR/LE COURRIER PICARD/MAXPPP

Jean-Philippe Tanguy, le visage de la normalisation du Rassemblement national ?

Nouvelle ère ?

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Le député de la Somme, transfuge de Debout la France et ancien directeur de campagne adjoint de Marine Le Pen, s'est particulièrement fait remarquer pour ses prises de parole à l'Assemblée nationale. Le gaulliste de 36 ans, vitrine parlementaire du parti à la flamme, a également eu une influence significative sur la ligne du FN durant la campagne… à l'image d'un certain Florian Philippot.

« Silence pour la France ! » La sommation a stupéfié les députés et fait les gorges chaudes d'Internet. Après cinq jours de débats sur le projet de loi pouvoir d'achat, l'examen du texte s'est clôturé sur une prise de parole de Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, le 22 juillet au petit matin. Dans un discours où la fatigue et l'agacement pointent, l'ancien directeur de campagne adjoint de Marine Le Pen et président délégué du groupe RN à l'Assemblée s'époumone contre ses collègues Insoumis, mollement rappelé à l'ordre par la présidente de séance, Naïma Moutchou (Horizons et apparentés).

« Un deuxième round va s’ouvrir dans quelques heures… » Volte-face du tribun vers la gauche de l'hémicycle : « Ah, ça devrait vous plaire ! Voilà le 7e tour ! Vous en avez voulu un deuxième, vous leur avez offert ! », titille-t-il en référence au « troisième tour» que représentaient les législatives aux yeux des candidats de la Nupes. Rires jusque dans les gradins frontistes, où Marine Le Pen, hilare, se cache la tête dans les mains. « 'Faut un peu rigoler ! Un peu de légèreté après cette nuit, ces heures qui ont été difficiles », justifie Tanguy depuis la tribune.

« Anti-Insoumis primaire »

Un show remarqué, s'inscrivant dans une longue liste de prises de paroles particulièrement vigoureuses de la part du transfuge de Debout La France, souvent à l'intention des Insoumis. « On dirait un speaker du journal au cinéma des années 1930… mais il a une énergie indiscutable », reconnaît le député LFI Alexis Corbière qui a de nombreuses fois jouté avec le frontiste depuis l'entrée de ce dernier dans l'hémicycle, en juin.

« Il défend ses idées, il est très grandiloquent, cela devient une petite blague pour nous. Il se bat, il est très présent mais il est un peu en surcharge », analyse l'élu qui décrit son collègue comme « un anti-Insoumis primaire » s'inscrivant dans « une droite traditionnelle avec un côté vieillot ». Car il ne faut pas s'y tromper. Jean-Philippe Tanguy ne s'agite pas (seulement) pour amuser la galerie.

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Parmi les 89 députés que compte le Rassemblement national, le natif de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) est sans doute l'un des plus compétents. Élève au lycée Henri-IV, diplômé de l'Essec puis de SciencesPo, le néodéputé est déjà un habitué des couloirs du palais Bourbon, lui qui fut assistant parlementaire de Nicolas Dupont-Aignan de 2012 à 2020, après un passage rapide chez General Electric. Ce qui lui a permis de prétendre à la présidence de la commission des Finances, ravie par l'Insoumis Éric Coquerel.

Bébé « NDA »

Chez Debout la France – à l'époque Debout la République –, Tanguy est le bras droit de « NDA ». Une figure comparable à ce qu'était Florian Philippot pour Marine Le Pen à la même époque. Tête de liste aux régionales dans les Hauts-de-France en 2015, puis troisième de liste aux européennes en 2019, c'est lui qui, en 2017, avec Thomas Ménagé, négocie le soutien de Dupont-Aignan à Marine Le Pen durant l'entre-deux tours de la présidentielle.

« Cette époque nous a rapprochés, témoigne Ménagé auprès de Marianne, aujourd'hui député Rassemblement national du Loiret et l'un des trois porte-parole du groupe à l'Assemblée. Je connais Jean-Philippe depuis huit ans. C'est l'un de mes meilleurs amis, on a fait toutes nos armes ensemble. » Un duo auquel s'ajoute Alexandre Loubet, ancien attaché de presse du député de l'Essonne et lui aussi élu député sous les couleurs du RN aux dernières législatives.

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En 2020, c'est l'hémorragie pour le parti. Dénonçant une « stratégie d'isolement », une soixantaine de cadres quitte DLF, dont Jean-Philippe Tanguy et Alexandre Loubet, avant de fonder un parti gaulliste satellite du RN, baptisé L’Avenir français, en mars 2021. « Nous l'avons créé tous les trois », raconte Thomas Ménagé, aujourd'hui encore délégué général et trésorier de la formation.

Ligne gaulliste

« Voilà pourquoi Jean-Philippe, jeune gaulliste, n’ira jamais au FN », titrait un article de Rue89 paru en 2013. Interrogé, Jean-Philippe Tanguy expliquait ses divergences avec le RN par le fait que la « ligne Philippot », qui tentait de tirer le Front national d'alors vers le culte du Général, était loin de faire l'unanimité au parti. « Si le FN était tel que Florian Philippot le disait, on ne serait pas fous, on s’allierait, arguait-il à l'époque. Mais là c’est inenvisageable. Le parti n’est pas du tout tel qu’il le décrit. »

« Il n’a pas rejoint le FN, il a rejoint le RN, c’est un premier élément de réponse, objecte aujourd'hui Thomas Ménagé. C’était une époque où le parti n’était pas le même, le père était encore présent, avec un pied dedans, Marine n’avait pas fait sa mutation. Demain, le RN sera un parti de gouvernement, mais cette mutation met des années, Marine y travaille depuis longtemps. »

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Pourtant, le soutien de NDA négocié par le trio en 2017 s'est fait au bénéfice de ce qui était encore le FN. « Ce n’était ni une fusion ni un accord complet. NDA était en plus revenu dessus, défend Ménagé. Marine avait fait une présidentielle où la ligne était déjà différente de celle de 2012. Nous sommes aujourd’hui dans un mouvement de droite gaulliste. »

Tanguy, le nouveau Philippot ?

Un cap définitivement franchi au moment de la présidentielle de 2022, notamment « avec le discours de Bayeux », cite l'élu du Loiret, où Marine Le Pen a rendu hommage à Charles de Gaulle à l'occasion des célébrations du 11 novembre comme le reste du personnel politique. Une ligne gaullienne « que nous avons impulsée pendant la campagnemais qui avait déjà été encouragée par Florian Philippot sur certains points, reconnaît le porte-parole du groupe RN. Mais le tournant de la présidentielle, c'est notamment la patte de Jean-Philippe dans l'équipe. »

Une influence collant très bien avec la stratégie de dédiabolisation du Rassemblement national. En marge d'une réunion publique de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont durant les législatives, le candidat Tanguy assurait : « Le vote contestataire, ça n’existe plus ici, les gens votent par adhésion. Le vote utile, maintenant, c’est nous. »

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Analyse naturellement partagée par Thomas Ménagé, notamment dans la perspective de l'élection d'un nouveau président à la tête du parti. Ce dernier ne portera pas le nom de famille Le Pen, une première depuis la naissance du Front national, il y a cinquante ans. « Je vois le RN comme le RPR 2.0, un parti de droite populaire et sociale, veut croire le député du Loiret. L’élection de notre président au mois de novembre participera de cette évolution en parti de gouvernement. On le constate sur le terrain : nos électeurs d’aujourd’hui ont beaucoup évolué, ce ne sont pas que des ouvriers, il y a beaucoup plus de CSP +, de pharmaciens, de notaires, des personnes âgées, beaucoup d’anciens sympathisants LR déçus. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne