Yaël Braun-Pivet de Renaissance élu première présidente de l'Assemblée nationale, à Paris le 28 juin 2022

Yaël Braun-Pivet de Renaissance élu première présidente de l'Assemblée nationale, à Paris le 28 juin 2022

afp.com/Christophe ARCHAMBAULT

Après-midi du jeudi 4 août, il flotte comme une odeur de vacances dans les travées de l'Assemblée. L'examen du Projet de loi de finances rectificative arrive - enfin - à son terme, le texte sera définitivement voté dans quelques heures par des députés lessivés. Alors que l'hémicycle se vide dans le bruit, la députée Les Républicains Véronique Louwagie, vice-présidente de la commission des Finances, monte à la tribune pour prendre la parole. La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, assise juste derrière elle, lui demande de patienter quelques secondes, histoire que le calme revienne.

Publicité
LIRE AUSSI : "Etre utile autrement" : la nouvelle vie des députés sortants battus aux législatives

L'élue LR se retourne, lève la tête et apostrophe sa collègue : "Ça va ?" - "Ça va et toi ?", lui répond Braun-Pivet - "Oui, bien ! On est content d'arrêter ce soir, hein ?" - "Tu m'étonnes ! C'est grâce à vous, franchement." On ne saura jamais si ce "vous" concerne les parlementaires pour leur travail... ou les LR pour avoir accepté un compromis en commission mixte paritaire la veille. Chacun se fera sa petite idée. Toujours est-il que pour la nouvelle locataire du perchoir, il était également temps de souffler après avoir enchaîné la campagne présidentielle, les législatives et la session extraordinaire de juillet.

Drôle de période pour devenir le quatrième personnage de l'État. La voilà qui succède à Richard Ferrand, intime parmi les intimes d'Emmanuel Macron défait dans sa circonscription bretonne, dans une situation parlementaire inédite : rarement la France n'a connu Assemblée nationale aussi divisée et plurielle, majorité aussi relative et contrainte aux compromis. Son premier mois à la présidence de la chambre basse avait tout d'un test. Comment allait-elle faire face aux assauts des oppositions, en particulier La France insoumise, bien décidées à faire du Palais Bourbon une arène tintamarresque ? Gérer les débats houleux des examens du Projets de loi Pouvoir d'achat ou du PLFR ?

"Prendre mon risque"

Yaël Braun-Pivet sait pertinemment qu'elle n'était pas prévue au programme. En 2017 déjà, elle est élue à la présidence de la commission des Lois sans aucune expérience parlementaire : elle tâtonne, fait des erreurs, devient la cible des persiflages des cadres macronistes, avant de prendre toute la mesure de son poste. En 2022, Emmanuel Macron l'envoie au ministère des Outre-Mer, "pour ne pas qu'elle défie Richard", nous glissent plusieurs cadres de la majorité. L'échec du baron la pousse à présenter sa candidature face à Roland Lescure, le favori de l'Élysée et de l'état-major, encouragée par plusieurs députés. Une grosse campagne interne plus tard, elle est choisie par ses camarades. La Nancéenne a du cran et, surtout, de la suite dans les idées. "J'ai vécu cette installation avec beaucoup de sérénité, parce que j'avais déjà pensé l'évolution de l'institution, l'exercice de la fonction, explique-t-elle à L'Express. Être élue présidente de l'Assemblée, c'est la continuité de mon action et de mes réflexions. Ma ligne de conduite dans la vie, c'est de prendre mon risque, pas pour le plaisir d'être casse-cou, mais pour être là où je me sens la plus utile. Si ça implique un risque, ça ne me fait pas peur."

LIRE AUSSI : Présidence de LR : Aurélien Pradié, le mal aimé qui monte

Des sourires et des tapes sur le pif. Telle est, en séance, la méthode de l'ancienne socialiste. Elle valide et s'en amuse. "Déjà, avant de déclarer la séance ouverte, je dis bonjour aux députés, ça à l'air bête mais personne ne le faisait avant", chuchote-t-elle, fier d'avoir "d'ores et déjà imposé son style". Lancée dans le grand bain sans connaître de période d'essai, Yaël Braun-Pivet paraît s'être rapidement faite à son rôle, mêlant proximité et caractère. Contrairement à ses camarades de la majorité, elle s'interdit toute critique envers les oppositions, vante les mérites de l'Insoumis Éric Coquerel à la présidence de la commission des Finances, mène intelligemment les conférences des présidents et les réunions du bureau selon plusieurs participants... Bref, si les lieutenants mélenchonistes lui reprochent toujours d'avoir enterré l'enquête parlementaire sur l'affaire Benalla en 2018, la quinquagénaire a gagné a minima l'estime de ses collègues.

"C'est une femme entière et authentique, totalement politique, elle semble réussir à établir une présidence apaisée mais ferme, on le voit avec ses rappels à l'ordre, son refus d'établir une police du vêtement à l'Assemblée", loue la ministre des TPE, PME, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme Olivia Grégoire. "Elle incarne un nouveau style dans sa façon de présider : elle est spontanée, elle ne triche pas, elle a l'habitude de gérer les tensions et les conflits depuis cinq ans. C'est important, car quand on monte là-haut, on sait que ce sera tendu", indique la députée Horizons et vice-présidente de l'Assemblée nationale Naïma Moutchou, qui a accompagné Braun-Pivet à la commission des Lois, d'abord en tant que "whip" puis en devenant sa vice-présidente.

"Ce serait une très belle histoire"

À l'heure où l'épicentre de la vie politique française s'est déplacé au Palais Bourbon, l'élue des Yvelines entend également défendre sa maison face à l'exécutif. Lors du précédent quinquennat, elle déplorait parfois le manque de liberté donné aux parlementaires, de la majorité comme de l'opposition : "On ne laisse pas suffisamment se créer, demeurer, les initiatives parlementaires, et ça illustre la difficulté du Parlement à faire vivre ses propres textes", grinçait-elle il y a quelques mois. Alors, désormais aux manettes, celle qui ne fait pas partie du premier cercle d'Emmanuel Macron, ni même du deuxième, compte peser pour redonner petit à petit à l'Assemblée son indépendance. Au Parisien, elle dit "attendre du gouvernement qu'il soit dans une position d'écoute" et demande "un dialogue plus fourni sur l'ordre du jour de l'Assemblée".

LIRE AUSSI : Gabriel Attal : premier de la classe et "langue de vipère", le ministre aux deux visages

En accédant au prestigieux perchoir et donc au rang de quatrième personnage de l'État, Yaël Braun-Pivet s'est sans doute installée dans la vie politique et médiatique française pour les cinq prochaines années. De quoi nourrir quelques ambitions et se mêler à la bataille d'influence menée par les cadres macronistes issus du Parti Socialiste ? Le ministre des Transports Clément Beaune ne cache pas vouloir incarner cette aile gauche et faire vivre ce pôle en accédant prochainement à des responsabilités au sein du parti Renaissance ; le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, s'organise également et compte devenir une figure incontournable ; certains nous encouragent même à garder un oeil sur le porte-parole du gouvernement Olivier Véran dans les mois qui viennent... Alors, quid de "YBP" ?

Des ambitions pour la suite ?

Un ministre expérimenté - qui ne fait pas partie de cette liste - croit savoir à quel jeu joue la nouvelle présidente de l'Assemblée nationale. Selon lui, elle pourrait avoir 2027 dans un petit coin de sa tête : "Jetez un oeil à ses réseaux sociaux, regardez la façon avec laquelle elle communique depuis qu'elle est au perchoir : elle publie des photos bien cadrées avec de jolis paysages de la France profonde en arrière-plan, parle du patrimoine, de l'Histoire, des vaches charolaises... Il y a un changement notable." On soumet alors à Braun-Pivet ces analyses entendues çà et là. Vu la rapidité avec laquelle elle a construit son parcours, vise-t-elle encore plus haut ? "En tant que quatrième personnage de l'État, j'ai par nature une place dans la vie politique française, je n'ai pas besoin de la construire, estime-t-elle. Je ne me suis inscrit dans aucun courant depuis cinq ans, je me consacre pleinement à ma tâche qui est immense, je ne pense pas au reste. Je veux que les Français considèrent l'Assemblée nationale comme leur maison."

Yaël, il ne faut pas la prendre pour le perdreau de l'année, elle sait qu'elle fait des coups

Louable intention. Pour autant, dans son entourage, parmi ses supporteurs, chez ceux qui ont fait campagne au sein de la Macronie pour lui permettre d'être là où elle en est aujourd'hui, on considère que l'hypothèse n'est pas à balayer. Du tout. "La vendre comme cela aujourd'hui, c'est le meilleur moyen de la cramer, mais je souhaite que ça arrive, souffle une députée Renaissance. Elle est indispensable pour la suite, à ce mouvement progressiste, si elle réussit maintenant elle aura une autorité demain. Elle est en train de prendre une stature politique d'envergure et on en manque cruellement. Ce serait une très belle histoire."

Un cadre de la majorité, qui la côtoie de très près depuis 2017, ne dit pas autre chose : "Il suffit de voir sa trajectoire depuis cinq ans pour comprendre qu'elle a de l'avenir : première femme à devenir présidente de l'Assemblée, ça pèse, les portes lui sont ouvertes si elle le souhaite. D'ailleurs, elle le sait bien ! Yaël, il ne faut pas la prendre pour le perdreau de l'année, elle sait qu'elle fait des coups, elle n'est pas arrivée là les yeux ronds parce qu'elle a vu de la lumière. Derrière sa bonhomie, son sourire, se cache une vraie femme politique qui a de l'ambition."

Publicité