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Golshifteh Farahani : «Pourquoi la Tour Eiffel n’est-elle pas aux couleurs de l’Iran ?»

Golshifteh Farahani
Golshifteh Farahani © Marechal Aurore/ABACA
InterviewYannick Vely , Mis à jour le

L'actrice iranienne Golshifteh Farahani ne comprend pas pourquoi la France ne réagit pas plus aux manifestations de la jeunesse iranienne. Nous l'avons interrogée sur le sujet.

Paris Match. Votre cri de colère a été très partagé sur Internet. Pourquoi, selon vous, la cause des femmes iraniennes est aussi peu entendue en France ?
Golshifteh Farahani.
Je me suis dit, avant d’écrire mes messages : Où sont les informations ? Pourquoi la France qui est également en première ligne sur toutes les questions liées à la défense des droits humains est aussi muette ? Pourquoi la Tour Eiffel n’est-elle pas aux couleurs de l’Iran alors qu’elle a été aux couleurs de l’Ukraine ? Les gens ont peur en France d’être traité d’islamophobes alors qu’en Iran, aujourd’hui, les manifestations ne concernent pas la religion musulmane. En France, il y a beaucoup de tabous liés à l’Islam. Mais en Iran, aujourd’hui, ce n’est pas un combat contre le voile. Les femmes non voilées ou voilées se battent pour leur liberté.

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Pourquoi la jeunesse se soulève aujourd’hui après tant d’années de dictature en Iran ?
Cela fait quinze ans que je vis en exil. La génération née dans les années 80 a vécu la guerre, la répression post-révolution. Nous sommes une génération finie, réprimée. Les générations 90 et 2000 n’ont pas vu la guerre, ce n’est pas une génération traumatisée comme la nôtre. En 2009, la jeunesse s’était soulevée contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. En novembre 2019, déjà les protestations avaient été réprimées dans le sang, avec plus de 1000 morts. Cette jeunesse n’a pas peur. Ce sont nos enfants. Ils sont dans la rue. Ils n’ont pas honte d’être choquants. J’ai vu une jeune femme répondre à une femme en tchador : «Moi, je veux ma vie». C’était inimaginable pour ma génération. 

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Ce qui est remarquable, aussi, c’est que les jeunes hommes accompagnent le mouvement des femmes. 
Il y a 170 ans, déjà, on brûlait la poétesse Táhirih en Iran car elle avait enlevé le voile. Quand on a rendu obligatoire le voile en Iran, mon père ne s’est pas levé… Il y a quinze ans, au Festival de Berlin, quand j’ai été inquiétée pour ne pas avoir mis le voile sur le tapis rouge, Asghar Farhadi, le réalisateur d’«A propos d’elle», ne m’a pas soutenue. Même le mouvement #MeToo a été exclusivement féminin. Mais effectivement, les choses changent. D’ailleurs des personnalités masculines comme Roger Waters ou Justin Bieber ont déjà apporté leur soutien aux femmes iraniennes. C’est la première fois dans l’histoire de l’Iran et même de l’humanité que des hommes meurent pour les femmes. Cela vient en plus du Moyen-Orient, d’une région du monde où les femmes sont considérées comme moins que rien. Pourquoi la France ne leur dit-elle pas "bravo" ? Pourquoi San Francisco apporte son soutien et pas Paris ? J’ai été choquée par les commentaires sous le message de la chanteuse Barbara Pravi sur Instagram. Ce n’est pas une histoire de religion qui se joue en Iran, encore une fois, mais le combat pour la liberté des femmes et des hommes.

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Avez-vous été choqué par la poignée de mains entre Emmanuel Macron et le président iranien Ebrahim Raïssi à New York ?
La politique c’est toujours très compliquée. Si Emmanuel Macron serre la main du président iranien, c’est aussi car il y a des enjeux économiques importants, notamment par rapport au gaz et au pétrole. Je ne suis pas choquée mais, dans ce cas-là, demandons quelque chose, fixons des conditions…

Vos messages ont été très relayés. C’était important en tant qu’artiste iranienne de s’engager ?
Il y a eu 370 millions de vues de mes messages sur Internet alors que nous sommes 80 millions d’Iraniens. J’essaie d’être le pont entre l’Iran, mon pays d’origine, et la France où je vis et dont je parle la langue. J’essaie de traduire la psychologie iranienne pour que les Français comprennent la complexité de ce qui se joue là-bas. Ma responsabilité est d’être ce pont-là. Je peux toucher des millions de gens. Je viens de passer dix jours sans dormir ni manger mais qu’est-ce que ma fatigue face des gens qui meurent dans la rue ? 

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Vous parliez d’Asghar Farhadi précédemment. Il a apporté son soutien aux manifestants. C’est important selon vous ?
Bravo Farhadi ! Enfin ! Il avait parlé de tout ces dernières années, de la Palestine notamment ,mais jamais de Jafar Panahi, par exemple, qui est pourtant en prison. Il était où ces dernières années ? S’il n’est pas aimé d’une partie des milieux culturels, c’est que longtemps il n’a pas utilisé son prestige pour soutenir le peuple. Lors des interviews, il répétait ne vouloir parler que de ses films alors que l’Iran est une dictature. Pendant des années, il n’a rien dit, il n’a rien fait. Il ne m’a jamais soutenue alors que j’ai travaillé avec lui sur «A Propos d’Elly» il y a quinze ans de cela. C’est un homme iranien de sa génération sur la question des femmes. La nouvelle génération parle plus, ose plus. Si tu ne parles pas du fascisme en Iran, alors ne prends pas des postures sur d'autres sujets comme la Palestine, ne reprends pas les éléments de langage du pouvoir. Je parle avec passion car je n’en peux plus de cette hypocrisie. Il n’a pas parlé de Panahi alors que c’est son ami… Mais bon, s’il parle aujourd’hui, alors bravo. 

 

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