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Giulia Foïs : «Aujourd'hui, parler de viol est une tannée»

Giulia Foïs.
Giulia Foïs. France Inter.

INTERVIEW - Ce vendredi soir à 21 heures, l'auteure et journaliste voit son livre Je suis une sur deux diffusé sur France 5 sous la forme d'une captation mise en scène par Emmanuel Noblet. Un message symbolique en cette journée de lutte contre les violences faites aux femmes

«J'ai eu de la chance, j'ai eu le bon viol.» En 2020, Giulia Foïs publiait Je suis une sur deux pour témoigner de son viol qu'elle a subi à 23 ans et des années de procédure qui ont conduit à l'acquittement de son violeur. Un récit intime pour une portée universelle. Ce vendredi 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, France 5 diffuse à 21 heures une adaptation de son livre. Dans cette captation, mise en scène par Emmanuel Noblet, le témoignage de Giulia Foïs est divisé en une vingtaine de monologues portés par 23 actrices et 2 acteurs. L'auteure et journaliste de 44 ans se confie sur les dessous de cette adaptation à la télévision et espère, qu'en cette journée symbolique, leur parole sera non plus seulement dite mais entendue.



LE FIGARO. - Comment s'est décidée l'adaptation de votre livre pour France 5 ?
Giulia FOÏS. - Un mois et demi après la sortie de mon livre, en plein confinement chez ma mère où je venais d'accoucher, j'ai reçu un appel de mon éditeur. Il me recommandait chaudement d'échanger avec Emmanuel Noblet, très intéressé d'adapter Je suis une sur deux. Je le connaissais grâce à son adaptation du livre Réparer les vivants et pour laquelle, il avait reçu un Molière. Pour ce travail, je savais qu'il aurait une approche très empathique envers les femmes et particulièrement sur les deuils et les blessures de la vie. Je trouve son regard très humain, bienveillant sans jamais être dans le pathos.

Comment s'est passé votre premier échange ?
Lorsque Emmanuel m'a appelé, je n'avais aucun filtre à cause des hormones et du manque de sommeil. Ma première question a été de lui demander sans détour ce qu'un homme venait faire dans cette galère ! Aujourd'hui, parler de viol est une tannée. Il faut convaincre des gens toujours réticents. Alors sa démarche m'a interpellée mais j'ai trouvé cela super. Il faut comprendre que ces sujets ne sont pas des guerres des sexes mais un combat commun entre celles et ceux qui veulent bouger les choses. Même s'il y a plus facile comme thématique, il m'a convaincue tout de suite. Son idée d'universalité de la parole qui circule, d'une femme à une autre me plaisait beaucoup. C'est le but de mon livre et il l'a tout de suite compris.

« Ma victoire personnelle a été d'être accueillie sur le tournage comme l'auteure et non comme la jeune femme de 20 ans, ancienne victime »

Giulia Foïs



Quel souvenir gardez-vous du tournage ?
C'était tout à la fois, euphorisant, bouleversant... Tous les matins mon compagnon me disait de me protéger, que cela pouvait être rude. Au début, je ne le croyais pas. J'avais écrit le livre il y a 3 ans, j'avais subi ce viol vingt ans auparavant, je me sentais immunisée. Et pourtant, beaucoup de sentiments se sont mêlés, j'avais les larmes aux yeux, de joie comme de tristesse. Sur le tournage, j'ai trouvé l'implication des actrices exceptionnelle et leur jeu d'une justesse formidable. J'ai été bluffée par l'investissement général. Ma grande surprise a aussi d'être accueillie comme l'auteure et non comme cette jeune femme de 20 ans, ancienne victime. Chaque personne se concentrait sur mes propos et les mots que j'avais choisis dans le livre. Il s'agit d'une victoire personnelle assez jubilatoire et que je n'ai pas fini d'écouter !

Qu'avez-vous pensé de l'adaptation proposée par Emmanuel Noblet ?
Emmanuel a fait un travail formidable car il a réussi à s'approprier ce texte tout en le respectant. On sent sa personnalité, son vécu et regard d'homme mais c'est exactement ses choix artistiques, sa finesse que je voulais. Le viol est suffisamment atroce pour qu'on n'y rajoute pas du laid. Il a compris l'essence même de ce que j'attendais et j'en avais besoin. Je me suis servie de mon histoire pour faire bouger les choses. Car ce n'est pas seulement un constat, je veux souligner que l'on peut arrêter. Ce goût du combat représente mon ADN et il l'a compris.


Avez-vous pu échanger avec les actrices ?
Elles voulaient que l'on se rencontre avant le tournage. J'y suis allée dans le but de les remercier et les actrices comptaient faire la même chose. Nous avons passé une heure à se dire merci (rires). Au-delà de leur rôle d'actrice, c'était important en tant que femme. Notre rencontre était très émouvante. Dans mon récit, je porte la parole des femmes, à leur tour de porter la mienne.

« Dans mes engagements féministes, je ne pouvais pas rêver mieux qu'un film soit adapté de mon témoignage »

Giulia Foïs


Que représente le 25 novembre pour vous ?
Une journée de sensibilisation. Le jour où cela m'est arrivé, je me suis répété en boucle que mon agresseur ne me bousillerait pas la vie. Le jour où il a été acquitté, je savais que mon histoire serait et devrait être entendue jusqu'au bout, même à un niveau intime et personnel. Dans mes engagements féministes, je ne pouvais pas rêver mieux qu'un film soit adapté de mon témoignage et diffusé ce jour-là. L'idée n'est pas de tout centrer sur mon histoire mais bien de montrer que ces agressions sexuelles se produisent encore. Je ne me fais pas d'illusion, ceux qui voudront garder les yeux fermés le feront mais j'espère toucher au moins une personne. Si une femme se sent comprise, respectée, consolée ou un homme comprend ce que nous vivons, la construction de la violence masculine. Si même des parents présents peuvent faire la différence, alors j'ai tout gagné. Je veux que les téléspectateurs comprennent qu'une victime peut se faire écraser une deuxième fois si on la fuit, met sa parole en doute ou fait culpabiliser.


Que signifie « être victime du bon viol » ?
Le bon viol est celui que tout le monde peut se représenter. Celui que les féministes des années 1970 et Gisèle Halimi en tête ont su faire reconnaître. Un inconnu armé qui survient à la tombée de la nuit. Éventuellement, dans ce cas précis, on accepte de se dire que la victime n'en a pas eu vraiment envie ! En réalité, ce viol-là n'en représente qu'un sur dix. Les neuf autres sont commis par des proches, ce qui est d'autant plus chaotique et douloureux. Moi, je suis tombée dans cette petite niche précise et quelque part mon histoire correspondait à l'idée que les gens se faisaient d'un viol. Il y a vingt ans, j'ai tout de suite formulé ce qui m'était arrivé, je me suis constituée victime et lui coupable. Cela a contribué à ce que je m'en sorte plus vite et mieux. Mais quand je pense que toutes les sept minutes une femme se fait violer en France, que 99% de ces viols débouchent sur un acquittement, il fallait que je fasse quelque chose de mon histoire.

Qu'attendez-vous de cette diffusion sur France 5 ?
Que notre parole soit enfin entendue. Je trouve cela géniale que cette adaptation se fasse à la télévision car il s'agit du média au plus large public. Dans les affaires de violence sexuelles, le silence est toujours l'arme qui protège les agresseurs. Je déteste l'expression « la parole se libère ». Nous n'avancerons pas si nous parlons mais si nous sommes entendues, car de nombreuses femmes ont déjà essayé de témoigner, en vain. L'enjeu est dans l'écoute et, à cette heure-là sur France 5, nous avons plus de chance que cela se produise. Tel est notre but.

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1 commentaire
  • anonyme

    le

    Encore et toujours la même rengaine de celles qui sont en manque de notoriété. Pitié ! Non les femmes ne sont pas des victimes éternelles, elles ne sont pas inférieures, leur bonheur ne dépend pas des hommes, elles n'ont pas besoin d'être protégées par les hommes en permanence, vues par les hommes, respectées par les hommes, aimées par les hommes, etc... Une femme existe pleinement en tant qu'être humain, n'en déplaise aux féministes.

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