Collectes de dons, documentaire à charge... on rembobine l’affaire Jérôme Jarre, l'influenceur qui se voulait humanitaire

Jérôme Jarre, une personnalité qui souhaitait mettre son influence au service de causes humanitaires avant de disparaître des réseaux sociaux.

Jérôme Jarre, une personnalité qui souhaitait mettre son influence au service de causes humanitaires avant de disparaître des réseaux sociaux.

AFP / Dimitrios Kambouris

Mercredi 20 mars est sorti la série documentaire "#LoveArmy : Où es- tu Jérôme ?" sur Prime Vidéo. Réalisé par Charles Villa, le documentaire revient sur la vie de Jérôme Jarre, l’influenceur français qui a marqué le monde d'internet dans les années 2010 grâce à son succès sur les réseaux sociaux, mais aussi avec ses actions humanitaires. En 2017, il parvient à collecter 4 millions d’euros au profit des Rohingyas au Bangladesh. Mais l'utilisation de cette somme a pu soulever de nombreuses interrogations.

Jérôme Jarre, ce nom ne vous dit peut être rien. Pourtant, seulement âgé d’une vingtaine d’années au début des années 2010, ce jeune créateur de contenu était l’une des personnalités les plus influentes en France et dans le monde. C’est pour cette raison, qu’une série lui est consacrée sur la plateforme Prime Video. Celle-ci revient dans un premier temps sur son ascension au sommet d’internet grâce à un ancien réseau social : Vine.

Populaire entre 2012 et 2016, la plateforme proposait des courtes vidéos de 6 secondes. Dessus, l’influenceur français s’est vite démarqué grâce à ses vidéos humoristiques, et un sourire reconnaissable entre mille. Son buzz est international, il réalise des vidéos avec des stars américaines de l’ancien réseau social, comme Logan Paul. En France, il se lie d’amitié avec des créateurs de contenu comme Mister V.

Très vite, l’influenceur originaire d'Albertville gagne en notoriété et accumule les millions d’abonnés sur ses réseaux sociaux. Cette célébrité se traduit par des attroupements de fans à chacune de ses apparitions, comme lorsqu’il a été invité du Grand Journal en 2014. Jérôme Jarre avait tenu à rencontrer ses admirateurs pendant de longues heures, venus en grand nombre après l’émission.

Un influenceur engagé

La volonté de Jérôme Jarre était de transformer le monde humanitaire. Désireux d’utiliser son influence pour la bonne cause, en 2017, la star des réseaux sociaux décide de lancer la #Lovearmy. Grâce à ce hashtag, l’influenceur a créé une campagne de dons pour lutter contre la famine qui fait rage en Somalie. Cette action est relayée par de nombreuses stars comme l’acteur américain Ben Stiller, ce qui permet de faire grimper sa campagne de dons à 2,3 millions d’euros.

Quelques mois plus tard, c’est au Bangladesh que Jérôme Jarre compte mobiliser sa communauté. Il s’entoure de stars françaises comme Omar Sy, DJ Snake et des youtubeurs comme Mister V ou Seb. Ensemble, ils se rendent au sein du gigantesque camp de réfugiés Rohingyas, une minorité musulmane chassée de la Birmanie. Sur place, la fine équipe se coordonne afin de mobiliser le monde entier, dans une nouvelle campagne de dons. Et c’est une réussite. Charles Villa, qui réalise la série sur Prime Vidéo, est également sur place en 2017. Derrière sa caméra, il capture la joie des protagonistes de la campagne de dons, qui vont voir leur cagnotte s’élever à plus de 4 millions d’euros.

La réalité derrière cette somme

Construire des écoles, des hôpitaux ou encore trois mille maisons de bambous... les objectifs sont grands pour la #LoveArmy de Jérôme Jarre au Bangladesh. Peut-être trop. C’est à ce moment que la série documentaire bascule autour de la manière dont a été dépensée cette cagnotte. Début 2018, quelques mois après la mobilisation, les associations locales choisies par l’influenceur pour mener les projets de constructions, ne travaillent pas correctement. L'engrenage se met en route et Jérôme Jarre enchaîne les mensonges.

Le créateur de la #Lovearmy ne partage pas les défaillances rencontrées à sa communauté, préférant gonfler les chiffres des constructions réalisées. Comme devant la caméra de France 2, qui vient à sa rencontre au sein du camp de réfugiés, pour filmer les avancées de la Love Army. Devant les journalistes, l’influenceur va mentir délibérément, en présentant des maisons qui n’ont pas été réalisées grâce à sa campagne de dons. Puis arrive le mois de mai 2018, Jérôme Jarre quitte le Bangladesh et n’y reviendra pas. Il laisse derrière lui les équipes sur place, livrées à elles-mêmes.

Juin 2022, après une longue période de silence, Jérôme Jarre publie un rapport de toutes les actions réalisées grâce aux dons récoltés pour les Somaliens et les Rohingyas. Ce dernier sera jugé incomplet, amenant à l’interrogation suivante : où est passé l’argent récolté par la #Lovearmy ?

La réponse de Jérôme Jarre

Invité sur le plateau de Clique, l’émission de Canal +, l’influenceur est venu s’expliquer ce lundi 25 mars. Jérôme Jarre qui réside désormais en Afrique du Sud, a fait le choix de venir s’exprimer après la parution du documentaire. Celui qui voulait révolutionner le monde de l’humanitaire reconnaît ses fautes : "Je suis là pour reconnaître mes erreurs, surtout au niveau de la communication". Mais pour ce qui est de l’argent, le natif d’Albertville est catégorique: “L’argent a été donné à des ONG. Une fois que cela a été fait, je me suis dit que je pouvais partir. J’ai cherché des ONG qui pouvaient faire ruisseler l’argent le mieux possible, et qui allaient donner le maximum au Rohingyas".

Effectivement, sur son rapport communiqué en juin 2022, on s’aperçoit que les 4 millions d’euros de dons ont bien été divisés entres différentes associations. Cependant, un flou tourne autour de son utilisation, comme l'explique un commissaire aux comptes d'une grande ONG française, qui témoigne anonymement dans la série de Charles Villa. "Il y a des flux de trésorerie, oui. Mais on ne sait pas à quoi ça a servi. C'est simplement lui qui dit 'j'ai encaissé l'argent'. Il n'y a pas de document chiffré. On ne sait pas d'ailleurs, si ces dépenses qui vont être montrées, sont réelles".

Sur le plateau, l’ancienne star de Vine désormais âgé d’une trentaine d’années, reconnaît avoir gonflé ses chiffres. Mais aussi d’avoir montré des maisons qui n’ont pas été réalisées grâce aux dons de la #Lovearmy, comme lorsque des journalistes sont venus à sa rencontre. “Quand France 2 débarque, je n’étais pas prêt à en parler. Je m'excuse auprès des journalistes".

Cependant, Jérôme Jarre rappelle qu’il y a eu des résultats grâce à leurs actions, qui ne sont pas forcément abordées par le documentaire, qui tourne trop autour des problèmes rencontrés, selon lui. Après un burnout vécu à l'issue de cette action humanitaire, l’influenceur a décidé de quitter le Bangladesh. Il reste aujourd’hui loin des réseaux sociaux. "Quand j’ai quitté la vie d’influenceur je ne voulais plus de la lumière. Je voulais donner de la visibilité à ceux qui en ont besoin".


Une chose est sûre, l’implication de Jérôme Jarre a permis de lever le voile autour de problématiques comme celle des Rohingyas, en France et à l'international. Celui qui avait pour seul outil son téléphone portable, souhaitait changer le monde grâce à son influence. De quoi laisser un goût d’inachevé après ces grandes actions.

De son côté, Charles Villa a pris en compte l’interview de Jérôme Jarre. Le journaliste affirme que l’influenceur a de nouveau menti à plusieurs reprises. Sur son compte X, le réalisateur du documentaire à fait savoir qu’il allait revenir avec une vidéo pour démentir certains propos tenus durant cette interview, par le créateur de la Love Army.