“Après huit heures de discussions tendues à Bruxelles”, le Conseil européen a suivi les recommandations émises début novembre par la Commission européenne, et décidé de lancer les négociations sur l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, “en dépit de l’opposition de la Hongrie”, observe The Guardian.
Viktor Orban assurait depuis des semaines “qu’il mettrait son veto” à toute négociation d’adhésion. Finalement, il a préféré “quitter la salle au moment où la décision – qui devait recueillir l’unanimité [des présents] – a été prise par les dirigeants des 26 autres États membres. Même dans une ville où l’art de la négociation est fort aiguisé, il s’agissait d’une manœuvre très inhabituelle”, souligne le quotidien britannique.
Pour la Süddeutsche Zeitung, la “solution” choisie par le Conseil pour contourner le problème Orban “était diplomatiquement élégante – et très européenne. Selon certaines informations, la procédure aurait été largement conçue par le chancelier [allemand Olaf] Scholz, en coordination avec le président du Conseil européen [Charles] Michel” et Viktor Orban lui-même, écrit le titre allemand.
“Méthode retorse”
“Le stratagème adopté est apparemment sans précédent dans l’histoire du Conseil européen, même si l’entourage de Charles Michel assure que tout a été fait dans le respect des lois”, insiste La Stampa. “Mais il a permis à l’UE de prendre une décision que tout le monde qualifie d’historique et à Viktor Orban de reculer sans perdre complètement la face dans son pays”, analyse le quotidien italien.
Au-delà de “la méthode retorse de Bruxelles, l’histoire retiendra les actes posés, écrit Le Soir dans un éditorial. En particulier le signal fort adressé, ce 14 décembre, au peuple ukrainien qui se bat, depuis près de deux ans, pour sa vie, ses libertés, ses droits fondamentaux, sa démocratie, et son désir d’Europe.”
“C’est une victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe, une victoire qui motive, inspire et rend plus fort”, a immédiatement réagi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à l’unisson des capitales occidentales. De fait, la décision européenne “est la seule victoire depuis des mois en Ukraine, où la guerre est quasiment paralysée face à la défense russe, et où la lassitude des citoyens, en dépit de la résistance, est évidente”, analyse El País.
Les nouvelles aides en suspens
La Hongrie a en revanche bloqué, ce vendredi 15 décembre, un programme d’aide de 50 milliards d’euros de l’UE à l’Ukraine. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, cité par le journal Le Temps, a “commenté la décision de Viktor Orban” en ces termes :
“Nous sommes 26 pays à avoir donné notre feu vert. Il n’y a pas d’accord avec la Hongrie pour l’heure, mais je suis persuadé que nous y parviendrons l’an prochain.”
Le président du Conseil européen, Charles Michel, a confirmé que les dirigeants des Vingt-Sept reprendront “en début d’année prochaine” leurs discussions sur un nouveau soutien budgétaire de l’UE à l’Ukraine.
Des négociations très longues à venir
Quant à l’ouverture des négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, celle-ci est surtout une victoire “symbolique”, explique El Confidencial : “Les négociations d’adhésion sont très longues, chapitre après chapitre, et peuvent durer des décennies. Les discussions ne commenceront pas avant le printemps, quand les Vingt-Sept devront de nouveau approuver le cadre des négociations.”
En outre, chaque étape du long processus requiert l’unanimité des États membres, offrant à Orban autant de leviers “qu’il pourra au minimum brandir, au pire utiliser”, avertit Le Soir : “Pour contrecarrer le destin européen de Kiev, si réellement il lui est insupportable. Pour intensifier son travail de sape du projet européen si tel est son dessein caché, nourri par les succès électoraux des forces populistes. Ou, plus trivialement, pour monnayer son soutien en milliards européens.”
The Times s’interroge quant à lui sur les répercussions que pourrait avoir, in fine, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE. “Si un pays de la taille et de l’importance stratégique de l’Ukraine venait à adhérer, cela entraînerait le changement le plus radical dans l’Union depuis des décennies. Comment l’UE absorberait-elle l’Ukraine, un pays qui était déjà le plus pauvre d’Europe avant l’invasion de la Russie ?”
“À Bruxelles, il existe un large consensus sur le fait que l’accueil de l’Ukraine dans le bloc est la bonne chose à faire, mais de nombreuses divisions existent quant à ce que cela signifierait pour l’UE, renchérit The Washington Post. Si l’Ukraine adhérait aujourd’hui, elle deviendrait le cinquième pays le plus peuplé de l’UE et de loin le plus pauvre, modifiant ainsi l’équilibre des pouvoirs au sein du bloc et perturbant son marché intérieur. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il faudrait repenser les institutions clés” de l’UE avant l’entrée éventuelle de Kiev.