Jacques Attali nous console

Jacques Attali nous console ©Getty - Luc Nobout
Jacques Attali nous console ©Getty - Luc Nobout
Jacques Attali nous console ©Getty - Luc Nobout
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Alors que le quotidien est sombre, l'essai de Jacques Attali sur la consolation ressort chez Flammarion, et nous invite à nous questionner sur ce qu'est la consolation et sur comment se consoler aujourd'hui.

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L'économiste et écrivain Jacques Attali est irrésumable ! Notamment connu pour avoir travaillé avec François Mitterrand et conseillé de nombreux présidents, il est aussi un homme érudit qui a publié de nombreux essais. En 2012 paraissait son ouvrage sur la consolation. Il ressort chez Flammarion alors que l'actualité est grande vectrice de chagrins.

Histoires et avenirs de la consolation répond à la question de l'impossibilité résolue de la consolation. Cette histoire totale, des premiers rites des sociétés les plus anciennes jusqu’au transhumanisme d’aujourd’hui, en passant par les religions, la musique et les drogues nous offre des éclairages et des clés pour contrer le vertige du néant.

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Jacques Attali s'engage ainsi pour une consolation éthique. Lui l'homme aux 1000 casquettes, conseiller des politiques, économiste, auteur de romans comme d'essais, mais aussi chef-d'orchestre, passionné par la philosophie du temps. Un homme qui prend le temps de la consolation puisqu'il adopte le prisme de l'histoire de la consolation pour repenser l'histoire de l'humanité.

Il considère que le progrès naît du besoin fondamental d'être consolé, de réparer le monde. Et au-delà, tout ce que nous faisons viserait à nous consoler principalement de la mort. Jacques Attali a 1000 vies, 1000 curiosités qu'il met donc à profit pour montrer qu'au-delà de la catastrophe, quelle qu'elle soit, il y a toujours un avenir positif possible, au point qu'il se qualifie lui-même comme "un adversaire résolu de l'économie de la mort et un partisan de l'économie de la vie."

L'histoire est le fruit de consolations humaines

Jacques Attali regarde aussi l'histoire avec l'œil du consolateur éthique qu'il s'efforce d'être au quotidien. Il prend l'exemple la Révolution française, qu'il explique par le fait que, selon lui, plus personne n'arrivait à consoler le peuple de sa condition. Ce qui est frappant dans cet essai, c'est qu'il nous emmène dans une lecture du monde qu'on n'avait pas vue venir. Il regarde ainsi l'histoire avec un prisme particulier, et selon lequel tout ce qu'on fait à échelle individuelle et collective aurait pour but, caché ou non, de nous consoler des premières séparations comme de la mort. Dans cette version de l'histoire, la Révolution française serait née, par exemple, de l'incapacité du pouvoir et de l'Église à consoler le peuple : "La consolation est un fil conducteur passionnant pour essayer de comprendre le rapport des peuples avec la mort, avec la vie, avec la façon de vivre ensemble. C'est très intéressant de voir les 1001 façons très proches des rituels. Pour ce qui concerne la révolution, la tristesse dont il faut consoler le peuple, c'est l'incapacité du pouvoir royal et de l'Église à satisfaire le désir du peuple de donner un sens à la vie, à la mort. Ce n'est plus possible, car plus personne n'accepte ce que dit l'Église et plus personne accepte ce que dit le roi. Il faut trouver autre chose et à l'époque, on va trouver un moyen très étonnant et peut-être difficile à prévoir, c'est le cimetière comme nouveau lieu de consolation**."**

Vivre pour se consoler

Quant au futur, le penseur craint qu'il rende le mot consolation caduc, tellement notre mode de vie cherche désormais à tuer le chagrin. Il considère que nous arrivons certainement aujourd'hui à une période d'accélération, comme on en a connu assez peu dans l'histoire de par l'accélération du progrès technique qui tend à nous donner l'illusion qu'on peut s'affranchir de ce que nous craignons le plus.

On veut trouver une explication positive à toutes les idées de se consoler, mais sans pour autant opter pour des moyens qui nous donnent l'impression de nous affranchir de la fatalité de la vie, comme la société de consommation et le progrès qui, selon lui, sont une des manières pernicieuses que l'homme a trouvées pour éloigner le chagrin. Attention aux dangers de trop vouloir s'extraire du chagrin et de la mort : "Le risque, c'est de ne plus penser à la mort et de ne penser qu'à la distraction, de ne plus penser à la vie et de ne plus penser à faire quelque chose d'utile pour soi et pour les autres. C'est un mouvement de l'esprit très dangereux et qui s'est généralisé avec l'usage des réseaux sociaux qui nous permettent de fuir ce que nous redoutons plutôt que d'affronter nos peurs en pensant à nous consoler. Il y a une trop grande distance à l'égard de la mort qu'on préfère ignorer parce que c'est une souffrance**".**

Notre vie s'écoule comme dans un sablier

Oui, mais sans qu'on puisse jamais le retourner. La réalité de la vie y ressemble et quand on regarde un sablier, on a l'impression qu'on regarde notre vie qui s'écoule, mais en réalité, explique-t-il, "notre vie qui s'écoule, c'est comme un sablier dont on ne voit pas l'ampoule supérieure et on ne sait pas si le grain qui tombe n'est pas le dernier. Quand on regarde un sablier, notre première obsession est de le retourner avant qu'il ne finisse de s'écouler. Pourquoi ? Parce qu'on aimerait bien pouvoir retourner le sablier de notre propre vie, mais c'est impossible. Donc le sablier nous renvoie à tous les fantasmes de la vie, de 1000 et une façons. C'est un instrument qui nous renvoie au fait que le temps, c'est l'instant qui est passé, que le passé n'existe plus et que l'avenir n'existera pas. Et que nous sommes dans quelque chose qui est tellement mystérieux, qui oblige, coûte que coûte, à se consoler de l'énigme du sens et de la vie."

La suite à écouter...

Le fil que l'on tire : passion sablier

Et parce que Jacques Attali se désole de n'avoir qu'une existence à sa disposition et que son souhait le plus cher serait d'arrêter le temps, nous recevons quelqu'un qui sait au moins le maîtriser dans sa pratique artistique.

Un sablier millénaire en verre contenant une substance hautement visqueuse, le poix (souvenez-vous de la purée de poix !), dont une goutte tomberait approximativement tous les dix ans, voilà la création de l'artiste Benoît Pype, qui après avoir été acquise par la fondation Carmignac en 2021, a rejoint les collections du Mobilier national jusqu'à finir dans le bureau... d'Emmanuel Macron !

Expérience scientifique de la goutte de poix, conception d'un tel objet et esthétique de la décélération du temps qu'il poursuit dans sa pratique artistique, Benoît Pype nous raconte la folle histoire de son sablier !

Il déclare d'ailleurs qu'avec le changement climatique, le rythme auquel les gouttes semblent pourrait s'accélérer dans les années à venir... comme une métaphore accidentelle de l’effet de l’urgence climatique sur notre existence ?

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