Interview

VIDÉO - "Sept à Huit" : Vahina Giocante démonte le mécanisme de l'inceste que son père lui a fait subir

par N.K | Propos recueillis par Audrey Crespo-Mara
Publié le 24 mars 2024 à 21h09, mis à jour le 25 mars 2024 à 10h55

Source : Sept à huit

Vahina Giocante s'est confiée face à Audrey Crespo-Mara dans "Sept à Huit" ce dimanche.
Une interview dans laquelle elle raconte les abus paternels subis dans son enfance.
L'actrice détaille également une expérience choquante vécue auprès du réalisateur Benoît Jacquot.

C'est avec angoisse, mais aussi une grande détermination, qu'elle parle pour la première fois de l'inceste qu'elle a subi enfant par un père condamné depuis. C'est dans son livre ‌intitulé À corps ouvert (Éditions Robert Laffont), en librairie le 28 mars 2024, et devant la caméra de Sept à Huit, une interview à retrouver en intégralité ci-dessus, que l'actrice Vahina Giocante raconte ce traumatisme d'enfance et la multitude de petits abus auxquels l'a exposée le monde du cinéma.

Dans son livre, elle écrit : "Et si c'était le moment de la transparence, du partage et du courage ?" Après 20 ans de thérapie, Vahina Giocante souhaite désormais aider les enfants meurtris.

"Je comprends que ce n'est pas normal"

Son premier souvenir de l'inceste remonte à ses quatre ou cinq ans, "au moment d'un bain", avec son père. "Il y a cette notion de curiosité, de découverte", confie-t-elle. Elle se remémore "des caresses". Sa mère n'est pas présente, ses parents se sont séparés quand Vahina Giocante avait un an et demi. "J'étais en vacances chez lui, donc l'espace était très libre, très propice à ce genre de moment", affirme l'actrice de 99 francs.

Vahina Giocante poursuit en mentionnant "des siestes avec des attouchements". Ce ne sont "jamais des moments de violence, ce sont des sortes de câlins qui basculent. Et d'ailleurs, il le dit : 'Ça dérape'." Des "câlins" qui "s'intensifient avec les années". "Dieu merci, pas jusqu'à la pénétration, et je pense que c'est ce qui m'a sauvé", estime-t-elle, avant de préciser : "Il y a fellation". Elle avait sept ans. Dans son livre, Vahina Giocante exprime son "écœurement". "Là, on dépasse la limite de la tendresse d'un père et on passe au désir d'un homme", reconnaît-elle. 

Son père formule des demandes, lui propose "d'essayer". Des requêtes qu'il exprime "toujours sous forme de jeux, d'expériences", décrit-elle. Vahina Giocante n'en parle à personne. Jusqu'au déclic. "C'est le moment où je comprends que ce n'est pas normal. On a un moment donné un échange où il me dit que si j'en parle, les conséquences pourraient être très graves, qu'il pourrait aller en prison et qu'on serait séparés pour toujours. Donc à ce moment-là, il me rend complice de crime." 

Le silence augmente et accentue cette sensation de honte.
Vahina Giocante

Selon l'actrice, les années d'inceste débutent lorsqu'elle a "quatre ou cinq ans" et se poursuivent jusqu'à ses "dix, onze ans". Jusqu'au jour où elle dit à sa mère qu'elle ne souhaite plus partir en vacances avec son père, ni le voir. Une annonce qui éveille ses soupçons. "C'est la première chose qui lui vient à l'esprit. Elle m'emmène voir un pédopsychiatre", se souvient-elle, car elle ne dit rien de plus à sa mère, à ce moment-là. "D'ailleurs, je n'ai rien dit à la pédopsychiatre", admet-elle. Vahina Giocante concède avoir eu "peur de la prison, de la séparation à vie".

Son père apprend que sa fille ne veut plus le voir. "Je pense qu'il a eu très peur à ce moment-là, peur que je parle", explique Vahina Giocante qui, dans son ouvrage, confesse qu'"une culpabilité et une honte grandissent dans l'ombre". "Le silence augmente et accentue cette sensation de honte. C'est-à-dire qu'on doit se cacher, il ne faut jamais que ça se sache. Vous grandissez et cette honte grandit avec vous", lâche-t-elle.

Une plainte déposée

Dans À corps ouvert, Vahina Giocante se rappelle du "coup de grâce" porté par une simple phrase de sa mère. "Elle me dit : 'Tiens, c'est étrange, ta sœur ne veut plus voir ton père comme toi à l'époque'". Sa petite sœur était alors âgée de 8 ans. "J'ai le sol qui se dérobe sous mes pieds. Je n'avais jamais envisagé la possibilité que ça puisse se reproduire sur elle. Sur elle, c'est intolérable. J'avais en plus à ce moment-là une autre petite sœur de deux ans [du côté de son père, NDLR]. Je savais à ce moment-là qu'il fallait que je mette un point final", assène-t-elle.

Tremblante, mais déterminée, elle appelle son père et lui dit qu'elle se souvient de tout. "Je veux comprendre. Mais plus que je veux comprendre pourquoi il l'a fait avec moi, je veux comprendre pourquoi il l'a fait sur ma petite sœur", relate-t-elle. Son père nie les accusations sur la petite sœur. "Mais pour moi, il dit : 'Tu ne peux pas savoir la culpabilité qui traîne sous mon lit depuis toutes ces années'. Et il me demande d'aller le voir et qu'on en discute", poursuit-elle, avant d'indiquer précisément la réponse qu'elle lui a donnée : "Voilà ce que je vais faire. Je ne vais pas venir et demain, j'irai à la brigade des mineurs porter plainte contre toi." "Et là, il me dit : 'Fais ce que tu veux."

Une scène "surréaliste" devant le juge

L'enquête dure deux ans. Vahina Giocante revoit son père au palais de justice. Le moment "le plus difficile", pour elle. "Je vois de la haine dans son regard, je le vois comme un animal pris au piège qui est prêt à dévorer sa propre patte pour s'en sortir. Et cette patte, c'est moi", se rappelle-t-elle. Vahina Giocante qualifie de "surréaliste" la scène qui s'est déroulée à l'époque devant le juge : "Il se positionne en victime et à un moment donné, il dit : 'Ma fille a toujours été une perverse, et quand elle était enfant, c'est elle qui essayait à tout prix de jouer avec mon sexe dans le bain, mais je vous promets que je la tenais à distance'." 

Vahina Giocante assure alors que le juge "rentre dans le jeu" du père, jusqu'à lancer : "C'est terrible, monsieur, vous êtes en train de me dire qu'il y a bien eu attouchements, mais que c'est sur votre personne et que vous avez été abusé sexuellement par votre fille de cinq ans ?" La comédienne affirme que son père réalise alors "l'énormité qu'il vient de dire" et que le juge prend tout cela comme des aveux. 

Je sais que je perds mon père définitivement.
Vahina Giocante

Quelques mois plus tard, le jugement tombe : le père de Vahina Giocante est "condamné à trois ans de prison, un avec sursis je crois, retrait de ses droits civiques et familiaux, et un franc symbolique", liste-t-elle. Vahina Giocante dit avoir ressenti "beaucoup de tristesse". "Et en même temps, c'est très paradoxal parce que mon affaire fait partie des 3 % qui arrivent à une condamnation (...). À la fois, ma reconstruction a été possible grâce à ça parce que j'ai été entendue, reconnue, écoutée. Et en même temps, à ce moment-là, je perds tout. Je perds une grande partie de ma famille, qui me tourne le dos. Je sais que je perds mon père définitivement." 

"C'est beaucoup plus simple d'imaginer que leur sœur est une menteuse, une déséquilibrée, une folle, que de se dire qu'on porte en soi les gènes de la pédocriminalité ou qu'on a ça dans notre lignée. C'est le déshonneur absolu", imagine Vahina Giocante, qui ne revoit pas ses frères et sœurs durant l'incarcération de son père. Elle est "évincée de la famille". Le père de l'actrice purge sa peine en affirmant être victime d'une erreur judiciaire.

Un tournage avec Benoît Jacquot

Vahina Giocante dit, dans son livre, découvrir alors un parallèle flagrant entre l'abus vécu dans son enfance et la multitude de petits abus auxquels l'expose le monde du cinéma. "Je pense que quand on est sexualisé aussi jeune, on a un sens des limites et effectivement on le voit en ce moment, le monde du cinéma peut être une famille un peu incestueuse à certains endroits", affirme-t-elle.

C'est sur le tournage d'un film au cours de l'année de ses 17 ans que Vahina Giocante a l'impression d'"être une proie face à un prédateur". Ce film, c'est Pas de scandale, sorti en 1999. Il est réalisé par Benoît Jacquot, contre qui Judith Godrèche a porté plainte pour viols sur mineure. Il est le seul réalisateur à être nommé dans le livre de l'actrice. Une décision prise "pour appuyer sa parole [celle de Judith Godrèche], pour me mettre à ses côtés, derrière elle". Vahina Giocante dit avoir été "choquée" par "l'arrogance" de Benoît Jacquot

Elle raconte ensuite avoir été prévenue sur le tournage de Pas de scandale que Benoît Jacquot "aime bien les très jeunes femmes". Elle sent en effet "son énergie de séduction". Lors d'une scène où elle doit sortir d'un lit, vêtue d'un t-shirt long, Benoît Jacquot lui aurait imposé de refaire la séquence sans sa culotte. Elle refuse fermement. Furieuse, elle dit avoir demandé à l'habilleuse de lui donner une culotte couleur chaire ou un string, car elle se sent "très vulnérable". Demande qui est honorée. Une fois la scène filmée, Benoît Jacquot lui aurait alors soufflé : "Tu vois, quand tu veux, c'était pas si difficile." 

"Je sens à ce moment-là ce rapport de domination, je me sens vraiment salie quand je rentre, et quelques temps plus tard, il voit que ça ne marche pas trop avec moi", se souvient-elle, ajoutant que Benoît Jacquot lui aurait assuré : "Si t'es gentille, tu feras le prochain [film]". "Je ne suis pas une gentille fille, moi", lui a-t-elle répondu, soulignant que Benoît Jacquot a été "odieux" pendant le reste du tournage. "Mais au moins, j'étais tranquille." Benoît Jacquot dément les faits qui lui sont reprochés. 

"Il me tombe dans les bras"

À 17 ans, Vahina Giocante tourne des films et tente de se reconstruire. Un jour, en plein été 2012, l'un de ses frères lui annonce que son père, qui a purgé sa peine, aimerait la revoir. "On se revoit 14 ans après, il me tombe dans les bras en pleurant et en disant : "Je te demande pardon, merci d'avoir accepté de me revoir et je n'ai jamais cessé de t'aimer.'", retrace l'actrice, à qui son père lui a ensuite demandé de ne plus "parler de cette histoire à [ses] frères et sœurs". 

Vahina Giocante dit, dans son livre, comprendre pourquoi il lui a fait cette demande lors d'un Noël avec ses deux sœurs. Vahina Giocante connaît très peu l'une d'entre elles, qui est alors âgée d'une vingtaine d'années. Cette dernière prononce cette phrase qui aura l'effet d'un "uppercut" : "Je ne vous en veux pas d'avoir détruit mon enfance." 

Les derniers mots qu'il a entendus de moi, c'est : "Tu es mort pour moi."
Vahina Giocante

"J'ai essayé de sauver son enfance, pas de la détruire", martèle-t-elle. "Je comprends en discutant avec elle qu'il s'est servi de mon pardon pour légitimer ou justifier sa supposée innocence auprès d'eux", confie Vahina Giocante, parlant ici de "trahison". Elle donne alors à sa sœur sa propre version des faits. Une confession qui a conduit son père à faire pleuvoir sur elle une pluie d'insultes : "Il me dit : 'Ça ne t'a pas suffi de me foutre au trou, il faut encore que tu continues avec cette histoire'". "Je pense que s'il avait été en face de moi, je l'aurais probablement tué de mes mains. Je lui ai dit des mots très violents, je l'ai tué avec mes mots. Les derniers mots qu'il a entendus de moi, jusqu'à ce jour, c'est : 'Tu es mort pour moi'", affirme-t-elle. Une rupture définitive qui s'est déroulée il y a sept ans.

Ce n'est pas pour se libérer d'un traumatisme d'enfance que Vahina Giocante a écrit son livre. "Je ne l'ai pas écrit pour moi, parce que je suis arrivée dans un endroit de ma vie très serein et apaisé. Je l'ai écrit pour les 160.000 enfants par an qui sont au cachot de la honte. On peut s'en sortir, et ce livre, c'est une trajectoire de guérison", promet-elle. Avant de conclure : "Souvent, j'entends qu'on ne peut pas guérir de l'inceste. Je suis la preuve vivante qu'on peut en guérir." 


N.K | Propos recueillis par Audrey Crespo-Mara

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