Yaël Mellul, présidente de l’association Femme et libre*, a été l’avocate de Eva Loubrieu jusqu’en 2015. Devenue son amie, elle a été à ses côtés pendant les sept années de procédure contre Georges Tron, maire de Draveil (Essonne) et de son ex-adjointe à la culture, Brigitte Gruel pour des faits de viols en réunion, complicité de ces viols et agressions sexuelles.

Le 15 novembre dernier, la cour d’assises de Seine-Saint-Denis les a acquittés car s’ils « ont bien participé à des ébats sexuels en présence de tiers dans un climat général hyper sexualisé », « pour autant, il n’a jamais été rapporté la preuve d’une contrainte ». Le parquet général de Paris vient de faire appel de cet acquittement. Un soulagement pour Eva Loubrieu et sa coplaignante Virginie Ettel que cette affaire a détuites.

Pour Yaël Mellul, le soulagement se mêle à la colère. Celle d’assister à un combat sans fin où les deux victimes, humiliées et insultées, ont été abandonnées à leur sort, et jamais soutenues par les associations féministes qui hurlent aujourd’hui à la justice patriarcale. Entretien.

*auteure avec Lise Bouvet de « Intouchables ? : People justice et impunité » (Ed. Balland)

Marie Claire : Avez-vous été surprise par le verdict ?

Yaël Mellul : J’ai été évidemment déçue. Après le brillant réquisitoire du Procureur général, Frédéric Bernardo qui a requis contre Georges Tron et Brigitte Gruel, respectivement 6 ans et 4 ans d’emprisonnement, je pensais que la cour d’assises allait suivre ses réquisitions. Mais il faut garder espoir car le ministère public vient de faire appel de cette décision d’acquittement…

Vous vous y attendiez ?

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C’était logique. Je crois à la justice de notre pays. Et si on prend la peine de lire ce qu’on appelle la feuille des motivations de la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis, on voit qu’elle a retenu que Georges Tron et Brigitte Gruel avaient bien participé à des débats sexuels en présence de tiers. Il y a donc bien eu des scènes de triolisme au sein de la mairie. Georges Tron et Birgitte Gruel l’avaient toujours nié. La cour est même allée plus loin en disant que les faits dénoncés par Eva Loubrieu et Virginie Ettel s’étaient inscrits dans un climat général hyper sexualisé entre Georges Tron et plusieurs de ses collaboratrices toujours au sein de la mairie. Georges Tron et Birgitte Gruel ont donc bien menti pendant ces sept années d’instruction.

Mais la cour d’assises n’a, hélas, pas réussi à apporter la preuve que ces relations sexuelles avaient eu lieu sans le consentement des deux plaignantes. C’est une énorme déception car l’avocat général a démontré l’absence de consentement ainsi que le système Tron et sa perversion.

Vous dénoncez l’intérêt soudain des associations féministes pour cette affaire, à vos yeux, une tentative de récupération…

Les deux plaignantes ont déposé plainte en 2011. Elles ont mené une bataille judiciaire sans l’aide d’aucune association féministe, sauf l’AVFT* présente ces quatre semaines d’audience en soutien de Virginie Ettel. Je connais Eva depuis sept ans, c’est une amie. J’ai été son avocate de 2012 à 2015 quand j’ai raccroché ma robe. C’était au moment du non lieu prononcé par le parquet du TGI d’Evry qui actait ainsi le refus de prendre en compte leur souffrance. Je vous laisse imaginer son état à ce moment là. Il nous a fallu faire appel.

Georges Tron s’est pourvu en cassation quand la cour d’appel a décidé de le renvoyer devant la cour d’Assises. Où étaient alors toutes ces associations pendant que ces victimes faisaient des tentatives de suicide, avaient de graves problèmes de santé ? Aujourd’hui, je lis des tweets qui dénoncent notre ’’justice patriarcale’’, c’est une contre-vérité. Avant la cour d’assises, des magistrats du siège et du parquet ont reconnu aux deux plaignantes la qualité de victimes de viol. Et le parquet général de Paris vient de faire appel. On ne peut plus parler de justice patriarcale.

La justice n'est pas là pour venger les victimes, elle n'a qu'un rôle, protéger la société et qu'une méthode, dire le droit. Et espérer lui tordre le bras, même au nom d'une cause respectable, est à la fois contre-productif, car les magistrats sont jaloux de leur indépendance, et contraire à nos institutions, car il revient au législateur de changer la loi. Ces femmes méritent d'être défendues, soutenues, aidées, pas d'être transformées en bannière pour le combat féministe.

Quel courage pour affronter ces sept années de procédure…

Ce procès, contrairement à celui de l’année dernière, s’est tenu avec une grande courtoisie, le président a été très délicat avec elles. En revanche, je tiens à souligner la violence et la grossièreté de l’avocat de Georges Tron, Maître Dupont-Moretti. J’ai fréquenté les prétoires pendant plus de 20 ans, j’ai vu des effets de manche et des plaidoiries de la défense dans des affaires similaires, je n’ai jamais vécu une telle violence. Jamais. J’ai vu Dupont-Moretti s’approcher d’Eva, la pointer du doigt, et yeux dans les yeux lui lancer ‘’ si j’avais été les accusés, je vous aurais sauté à la gorge’’. Courageuse et digne, Eva n’a pas cillé.

La défense, obligée d’abandonner l’argument fallacieux d’un complot du FN qui les aurait manipulées, a ensuite prétendu qu’Eva se serait vengée de son licenciement. On est au-delà de l’absurde : se venger pour au final vivre au RSA avec des problèmes de santé énormes, supporter d’être salie, humiliée, insultée jusque dans l’enceinte d’une cour d’assises ? Cela ne tient pas la route une seconde. Alors que pendant ces sept années, Georges Tron, lui, est resté maire de Draveil avec le même train de vie.

Dans quel état d’esprit sont Viriginie Ettel et Eva Loubrieu aujourd’hui ?

Après le choc du verdict, Virginie a fait une crise de tétanie dans l’enceinte de la cour d’assises, Eva a accusé le coup. Aujourd’hui, elles sont extrêmement combatives. Elles sont confiantes et soulagées que le ministère public fasse appel et veulent croire que Georges Tron et Brigitte Gruel finiront par répondre de leurs actes.