Daham ouvre délicatement une petite boîte en bois comme si elle renfermait un trésor. Il en sort une dizaine de chapelets en tout genre, qu’il démêle minutieusement. Cet antiquaire d’une soixantaine d’années a passé sa vie dans le quartier Hawsh Al-Kanisa, dans la vieille ville de Mossoul (nord de l’Irak), autrement appelé Hawsh Al-Bei’a par les Mossouliotes sunnites. « Je suis musulman, mais nous coexistions sans problème avec les chrétiens quand j’étais enfant. Nous étions voisins, amis. Ils sont tous partis. »

Daham n’a pas quitté sa maison près de l’église Mar-Touma, à quelques rues de sa minuscule boutique sur l’artère principale. À peine 10 mètres carrés encombrés d’objets cultuels, où les crucifix en métal reposent sur des exemplaires du Coran. « Sous Al-Qaida, chaque personne portant une croix était tuée. J’aurais moi-même pu mourir pour les avoir dans mon magasin. » Jusqu’au point d’orgue, en 2014, quand les terroristes de Daesh sont arrivés et en ont fait la capitale de leur « califat » pendant trois ans, « propageant leur idéologie et la haine », explique-t-il d’un air désolé.

« Pourquoi revenir ? Ils sont traumatisés »

Deux curieux s’avancent dans l’entrebâillement de la porte et se joignent à la conversation. Ghazal et Fahad, ses cousins, se remémorent avec nostalgie leur enfance. Une époque révolue durant laquelle, disent-ils, « le respect entre les communautés était mutuel ». « Nous étions dix musulmans dans l’école chrétienne Al-Ghasaniyah. Mes amis chrétiens sont en Europe », dit Ghazal. Il énumère ensuite les noms des familles auprès desquelles il a grandi. Les Tair Al-Hazeen, Sofia, Al-Banna… « J’espère qu’ils vont revenir un jour. Mossoul, c’est leur ville ! » Cet aveu suscite le débat. Fahad, lui, ne se fait aucune illusion. « Évidemment qu’ils ne reviendront jamais. Il faudrait une troisième guerre mondiale en Occident ! Pourquoi revenir dans un endroit où tu as tant souffert ? Ils sont traumatisés. »« Nous le sommes tous », réagit Daham, plongeant la pièce dans un long silence.

Il se murmure qu’une cinquantaine de familles seraient revenues s’installer, discrètement, à Mossoul. Soit moins de 1 % des chrétiens qui y habitaient avant Daesh. Depuis peu, certains fidèles installés dans d’autres villes de la plaine de Ninive font des allers-retours en autocar. Ils assistent, un dimanche par mois, à la messe.

Dans la vieille ville, seul Saadallah Elias Mikhael a repris ses quartiers dès la libération, en juillet 2017. « Je suis né ici, mes ancêtres aussi depuis des centaines d’années. Nous sommes des fidèles de l’Église syrienne-catholique, explique-t-il en ouvrant la porte de sa vieille bâtisse. Les autres maisons sont inhabitables, la mienne tient toujours debout. » Saadallah vit chichement, dans trois pièces exiguës, encombrées d’objets souvenirs. Dans l’intimité des lieux, son regard s’assombrit. « Je suis désolé de le dire, mais je ne crois pas à la coexistence. Je me dispute presque tous les jours avec des voisins. Ma présence dérange. » Des confessions prononcées sous un immense portrait du pape François, accroché au mur. C’était il y a tout juste trois ans, lors de sa visite à Mossoul. Sur l’affiche, on peut lire en arabe, en kurde et en syriaque – les trois langues parlées en Irak – « Vous êtes tous frères ». Saadallah ne peut contenir son pessimisme. « Cela fait dix ans. Les autres chrétiens ont recommencé une nouvelle vie ailleurs. Ils ne comptent pas revenir. On ne pourra plus faire confiance. »

Dehors, un autre son de cloche retentit dans le quartier Hawsh Al-Kanisa. Le carillon de l’église Notre-Dame-de-l’Heure recouvre le bruit des marteaux-piqueurs. « Cela nous fait vibrer le cœur de revoir Mossoul se mettre debout. Nous travaillons main dans la main avec les musulmans, les yézidis et les autres », affirme Mgr Najeeb Michaeel. Depuis le chantier de l’église Al-Tahira, l’archevêque chaldéen de Mossoul souhaite le dire au monde entier : « Nous sommes vivants. Les chrétiens sont là. » Les artisans sont à pied d’œuvre. Pour ce qui est de la restauration des liens, le travail d’orfèvre semble loin d’être terminé.

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Une nouvelle église à Ur

Les cloches de l’église Ibrahim-Al-Khalil d’Ur, dans le sud de l’Irak, ont retenti pour la première fois le 10 mars. Les travaux de cette toute nouvelle église sont achevés et elle accueillera sa première messe à Pâques. Dédiée à Abraham, le « père des croyants », qui serait originaire de cette ville de Chaldée, elle se veut un symbole du dialogue interreligieux. Construite à proximité des sites archéologiques d’Ur, l’église et sa grande salle d’accueil pour les pèlerins a vocation à encourager les pèlerinages en Irak, sur les pas d’Abraham.

Un événement majeur pour les chrétiens d’Irak, trois ans après la visite du pape et alors même que leur nombre ne cesse de décroître – estimé aujourd’hui à 350 000 dans le pays. Selon le cardinal Louis Raphaël Ier Sako, le patriarche chaldéen, il y aurait un nouvel exode, lié à un phénomène de marginalisation, à « l’inquiétude quant à l’avenir » et au fait que « le gouvernement ne payerait pas les salaires (des chrétiens) depuis des mois ».