80e anniversaire du Débarquement de Normandie : Rudolph Dunbar, un prodige en première ligne (figures, 5/8)

Musicien surdoué et correspondant de guerre en Normandie, Rudolph Dunbar est l’un des personnages les plus atypiques ayant participé au Débarquement et à la Bataille de Normandie.

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Au centre, avec le béret, Rudolph Dunbar, correspondant de guerre, interroge des soldats alliés noirs américains en Normandie, en juillet 1944.
Au centre, avec le béret, Rudolph Dunbar, correspondant de guerre, interroge des soldats alliés noirs américains en Normandie, en juillet 1944. (©National Archives USA)
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Voici une photo étonnante. Non parce qu’il s’agit de soldats noirs photographiés quelque part en Normandie au mois de juillet 1944. On sait depuis longtemps quel rôle ont joué les noirs américains dans la logistique alliée.

On sait aussi le racisme dont étaient victimes ces mêmes noirs américains au sein de leur propre armée, et on sait qu’en vertu de ce racisme, on a aussi accusé de tous les maux (entre autres, de viols) les troupes noires américaines stationnées en Normandie.

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Un personnage atypique

Mais là n’est pas le sujet et revenons à notre photo. Si on l’observe attentivement, on constate que tous les regards convergent vers le personnage du milieu. Il est noir lui aussi, mais à la différence des autres, casqués, il porte un béret. Et sur ce béret, les insignes de correspondant de guerre. Une preuve supplémentaire est le calepin qu’il tient à la main et sur lequel il prend des notes. Nous voilà donc devant un correspondant de guerre noir interrogeant des soldats noirs.

Mais ce n’est pas encore le plus étonnant. Car ce correspondant de guerre n’est pas n’importe quel correspondant de guerre. Il s’agit de Rudolph Dunbar, peut-être l’un des personnages les plus atypiques ayant participé au Débarquement et à la Bataille de Normandie.

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Jazz, swing et clarinette

Qui est Rudolph Dunbar ? Il est né en Guyane Britannique au début du siècle (1902 ou 1907). Au début, rien ne le prédestine à la musique, mais il tombe sous le charme des airs classiques interprétés par l’orchestre militaire de la colonie, et à l’âge de 14 ans, entre dans l’orchestre pour y apprendre la clarinette.

Le garçon est doué, à tel point qu’à l’âge de 19 ans, il rejoint le prestigieux Institute of Musical Art de New York d’où il sort diplômé en 1925. A New York, outre la clarinette, il apprend le piano, mais il découvre aussi le jazz et se produit dans les clubs de Harlem ou travaille comme musicien de studio pour des enregistrements.

Puis il part en Europe, à Paris, Vienne et Londres, où sa palette de talents s’agrandit encore en même temps que sa réputation : il s’intéresse à la composition, travaille comme critique musical pour les journaux, et à Londres, ouvre la première école mondiale dédiée à la clarinette. Avec les deux orchestres de jazz auxquels il appartient, il fait swinguer toute l’Angleterre dans les années 30.

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Un noir à la baguette

La guerre lui ouvre encore de nouveaux horizons. En 1942, il dirige l’orchestre philharmonique de Londres pour un concert donné à l’Albert Hall pour les troupes alliées “de couleur”. A Paris en 1945, il présente le festival de la musique américaine au théâtre des Champs-Élysées.

Au mois de septembre suivant, il conduit le prestigieux philharmonique de Berlin qui interprète Weber et Tchaïkovsky. En 1948, il est à Hollywood pour conduire l’orchestre du Hollywood Bowl.

A peine âgé de 40 ans, Rudolph Dunbar est au faîte de sa carrière, et c’est d’autant plus remarquable que c’est un noir. Que ce soit à Londres, Berlin ou Hollywood, il a non seulement conduit des formations prestigieuses, mais il est aussi le premier homme “de couleur” à avoir accompli cet exploit, qui n’est pas mince à l’époque.

D’ailleurs, quand il s’est agi de diriger le philharmonique de Berlin, les Américains (pas avares de contradictions) ont vite compris l’intérêt qu’ils avaient à laisser Dunbar manier la baguette, histoire de montrer à ces racistes d’Allemands, que eux les Américains, n’hésitaient pas à laisser un noir conduire un orchestre symphonique…

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Le mystère Dunbar

La suite de l’histoire ? Curieusement, quelques années plus tard, Dunbar que tout semblait promettre à une brillante carrière mondiale, disparaît des écrans. Pourquoi ?

Trois explications différentes. D’abord, un retrait voulu, Dunbar s’intéressant davantage à la lutte antiraciste et à l’implication des Noirs dans la musique occidentale. Ensuite, le retour à la tête des grands orchestres symphoniques, notamment européens, des anciens chefs d’orchestre, punis un temps pour leurs relations avec l’Allemagne nazie, mais revenus en grâce après quelques années de purgatoire. Dunbar aurait ainsi été éclipsé par leur concurrence.

Et enfin troisième raison, que Rudolph Dunbar indique à un journaliste six mois avant sa mort en 1988 : la présence à la BBC (dont Dunbar avait dirigé l’orchestre) d’un directeur musical omnipotent qui détestait Dunbar, et qui fit des pieds et des mains pour briser sa carrière en Europe après-guerre. Laquelle de ces trois raisons l’emporte ? Le mystère reste entier.

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Des talents de journaliste

Et notre photo dans tout ça ? Que vient faire Dunbar au beau milieu de la bagarre normande de 1944 ? En plus d’être un musicien hors pair, Dunbar a développé avant-guerre des talents de journaliste, livrant des chroniques régulières au magazine musical Melody Maker.

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A partir de 1932, il est aussi le correspondant permanent à Londres de l’Associated Negro Press, une agence de presse basée à Chicago alimentant en informations les journaux destinés à la presse noire américaine.

C’est à ce titre qu’en 1944, il suit les troupes alliées qui débarquent et se battent en Normandie, suivant plus particulièrement les troupes noires… en compagnie des autres correspondants de guerre noirs. Chacun sa guerre, chacun son combat.

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