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Marie Toussaint dans le grand huit des Européennes

Marie Toussaint sur le bateau «The Corsaire », à la foire du Trône, à Paris, le 15 mars.
Marie Toussaint sur le bateau «The Corsaire », à la foire du Trône, à Paris, le 15 mars. © Virginie Clavières / Paris Match
Florent Buisson , Mis à jour le

La candidate écolo mène sa première campagne comme tête de liste, alors que la défense de l’environnement recule parmi les principales préoccupations des Français.

Dans les cirques de La Réunion, ce 21 avril 2002, le soleil cogne fort. Chaussures de randonnée au pied, Marie Toussaint, 14 ans, maudit la radio qui vient d’annoncer les résultats de la présidentielle. Jean-Marie Le Pen au second tour face à Jacques Chirac, pour cette ado d’un quartier populaire du Val-d’Oise, c’est une gifle, cuisante comme un coup de soleil sur « l’île intense ». Mais au milieu de l’océan Indien, la jeune fille vit surtout un déchirement personnel. Sa mère souffre d’un cancer à un stade avancé et ATD Quart Monde, mouvement de lutte contre la pauvreté pour qui ses parents sont volontaires permanents, lui a offert quelques jours sous un ciel plus clément. « Sa maman est décédée quand Marie avait 15 ans, confie son père, Jean Toussaint. Ensuite, on a vécu tous les deux. Je me sentais terriblement responsable d’elle, et elle de moi. »

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Un sens des responsabilités, une forme de résilience aussi, dans laquelle la tête de liste Les Écologistes aux européennes puise peut-être pour avancer au cours de cette campagne difficile. La protection de l’environnement n’est plus que la cinquième préoccupation des Français, selon une étude Ipsos du 17 février (alors qu’elle était en deuxième place en 2019), et les sondages lui attribuent 8 % d’intentions de vote. « Personne ne calcule la liste Toussaint 2024, cingle un cadre du parti Les Écologistes, réfugié dans l’anonymat. Car son positionnement est flottant. Ni une alliance avec la gauche ni un rassemblement des écologistes. » Le même raille « ­l’horizon de douceur », cette idée qu’elle voudrait porter dans la société française, la campant en creux en bobo déconnectée.

 

Je suis assez technique mais pas techno! Je n’ai aucune difficulté à parler avec le plus grand nombre

Marie Toussaint

« Il y a des mauvaises langues qui ont essayé de dire partout que j’étais incompréhensible, réagit la candidate. Je suis juriste, élue au Parlement européen, je suis assez ­technique mais pas techno ! Je n’ai aucune difficulté à parler, ni avec les gens oubliés, ni avec le plus grand nombre. » Elle met en avant les 2,3 millions de Français engagés dans l’action qu’elle a lancée, « l’affaire du siècle », et qui ont signé la pétition pour réclamer des mesures en matière ­climatique, conduisant à la condamnation de l’État en 2021. « Je n’ai pas peur des combats difficiles à mener, y compris sur les mots, ­ajoute-t-elle. Quant aux ­sondages, il y a cinq ans, on était bien en dessous, pour finir en surprise de l’élection. »

« En 2019 et même en 2009, les écolos étaient respectivement à 10 % et à 12 % d’intentions de vote quinze jours avant le scrutin et ils ont fini à 13 % et à 16 %, analyse Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. Mais considérer que c’est automatique serait présomptueux. Il y avait deux incarnations fortes, Yannick Jadot et Daniel Cohn-Bendit. En 2024, au-delà de la très faible notoriété de Marie Toussaint, Les Écologistes ont disparu des radars, effacés par l’alliance Nupes, qui a volé en éclats. »

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Face aux vents contraires, Marie Toussaint cherche donc à mobiliser son camp. Le 15 février, à Saint-Malo, pour manifester contre un mégachalutier. Le soir même à Grenoble, « la » ville écolo, devant 80 militants. Sur les murs d’un café solidaire, son visage, rehaussé par du rouge à lèvres et cadré par de larges lunettes, s’affiche sur fond vert, avec le slogan « Justice, paix, écologie ». « Je suis impressionnée par sa maîtrise des sujets, témoigne Claire, nouvelle adhérente de 66 ans, qui lorgne une assiette de frites, sauce végan maison. Je la sens solide, malgré son jeune âge. C’est une découverte. Et j’ai enfin compris pourquoi il y avait le mot paix sur son affiche. Sans écologie, pas de justice sociale. Sans justice sociale, pas de paix. »

C’est une vraie force, la douceur

Marie Toussaint

Dans la capitale iséroise, Marie Toussaint appelle à « déjouer les pronostics » et recadre gentiment le maire, Éric Piolle, plus loquace sur la présidentielle de 2027 que sur les européennes. La douceur a ses limites. « Quand je parle de douceur, ce n’est pas de la mièvrerie, de la naïveté, c’est au contraire ce qui résiste, reprend-elle. C’est une vraie force, la douceur. Il faut résister face à ce glissement vers la violence généralisée, qui avant était l’apanage de l’extrême droite et qui se répand dans toute la société. »

Ces élections européennes sont pour elle les plus importantes depuis 1989. « On a les nationaux populistes qui arrivent au pouvoir, et si on leur donne aussi le Parlement européen, c’est fini. Le projet européen n’a jamais été autant en danger, et ­l’urgence climatique et environnementale aussi grande. » La candidate considère Strasbourg comme le bon terrain d’action pour changer concrètement la donne. « Les objectifs climatiques, on les fixe au niveau européen. Les engagements européens pèsent dans la diplomatie économique et climatique mondiale. La fin des voitures thermiques en 2035 – on aurait fait différemment en légiférant sur la taille des véhicules –, ça reste quand même une décision d’une ampleur mondiale, car ça change le marché international. »

Je ne crois pas une seule seconde que les citoyens n’aient pas envie de transition écologique

Marie Toussaint

Autrefois pas hostile à une alliance avec les insoumis, aujourd’hui ouverte au ralliement des macronistes « qui se sentent à gauche et plutôt écolos », Marie Toussaint veut mener la lutte contre ce « front des droites et ces multinationales qui se battent pour préserver le modèle économique et social. Quant aux citoyens, je ne crois pas une seule seconde qu’ils n’aient pas envie de transition écologique. Si on ne fait pas d’écologie, non seulement les boîtes ferment, mais on laisse des terres polluées qui compliquent la recréation de l’activité. Si c’est trop pollué, les gens sont malades et le foncier s’appauvrit… » Voilà qui ne rassurera pas ceux qui font des Verts les annonciateurs du chaos et les promoteurs de l’écologie qui punit. « On n’est pas là pour emmerder le monde, mais pour le protéger ! » ose en réponse la jeune femme, convertie aux punchlines sur le plateau de Public Sénat, le 14 mars, lors du premier débat entre candidats.

« L’agriculture, c’est le meilleur exemple, précise-t-elle auprès de Paris Match, le système est déjà normatif avec beaucoup de paperasse, de la mise en concurrence. Et ça, ce ne sont pas les écolos qui en sont responsables. Je propose de travailler sur leur dette et de pouvoir garantir un revenu pendant trois ans aux agriculteurs. » Avec quelle marge de manœuvre ? Au Parlement européen, les Verts français pèsent, mais ne dominent pas leur groupe – qui est le quatrième plus important – comme Renaissance domine Renew, force pivot à Strasbourg. « Les Verts français sont plus à gauche que les Verts allemands, et si Marie Toussaint s’est imposée au fil du temps grâce à sa maîtrise des dossiers, elle demeure une figure montante », analyse Fabien Cazenave, journaliste spécialisé.

Moment de nostalgie à la Foire du Trône 

On retrouve la candidate mi-mars, à 450 kilomètres de la capitale alsacienne, sur le site de la foire du Trône, à Paris, pour une séance photo. Elle qui a grandi entre Lille, la région parisienne et Bordeaux, où elle est retournée vivre aujourd’hui, se sent dans une fête foraine comme à la maison. « J’adore les lumières, la chaleur, la joie, les gens heureux… Ça me rend heureuse ! Je joue encore aux machines dans lesquelles vous mettez des pièces qui font tomber d’autres pièces… On y jouait avec ma maman. C’est comme ça que j’ai gagné un petit synthétiseur, à 9 ans. »

« C’était leur escapade entre filles, se souvient son père. On l’a inscrite au piano après ça. Un jour, son prof du conservatoire de Saint-Ouen nous a dit que le synthétiseur avait fait son temps. On s’est endettés pour lui acheter un piano. En rentrant de l’école, elle se mettait ­dessus pendant trente minutes. Ça la détendait. » Quand sa mère est tombée malade, sa prof de musique lui a ensuite offert un piano droit. Vingt-cinq ans plus tard, en dépit des déménagements, il a trouvé sa place chez elle, à Bordeaux. Trait d’union entre le passé et le présent. 

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