Vous connaissez forcément Steven Spielberg, ce cinéaste américain au génie indéniable à qui l’on doit une flopée de classiques, à l’instar d’E.T. L’Extraterrestre ou Jurassic Park, mes deux petits favoris. Mais saviez-vous qu’en plus d’entretenir une filmographie monumentale, l’homme est également un féru de jeux vidéo et a même apporté sa pierre à l’édifice de l’industrie ? Dans une interview accordée à Entertainment Tonight dans les années 1980, il confiait déjà à propos du médium : "Pour moi, c'est un plaisir rapide. Je veux dire qu'il me faut un an pour avoir un frisson rapide avec un film. Avec un jeu vidéo, je peux jouer à Tempest et, en 10 minutes, j'ai probablement l'impression d'avoir accompli quelque chose aujourd'hui". Pendant plusieurs années, Spielberg offre même un coup de main aux projets de l’un de ses meilleurs amis, George Lucas, qui a alors créé sa propre société de développement de jeux. Il écrit notamment l’histoire de The Dig, un titre de science-fiction en point-and-click que vous pouvez trouver pour moins de six euros sur Steam et qui fait l’objet d'une novelisation par l’auteur Alan Dean Foster. Il participe aussi, malheureusement, au développement du jeu maudit E.T. d’Atari, espérant d'abord orienter l’équipe vers "quelque chose de plus proche de Pac-Man". Finalement, le concept s’avère si complexe que l’accueil est une calamité et l'éditeur se voit forcé d’enterrer les milliers de copies invendues dans le désert du Nouveau-Mexique. L’échec ne décourage pas tellement Spielberg puisque dix ans plus tard, il s’essaye encore à de nouveaux projets vidéoludiques.

Le jeu FMV de Spielberg

C’est en 1996 que Spielberg s’installe derrière la caméra qui enregistre les images de sa Director's Chair, un jeu en prises de vue réelles sur CD-ROM qu’il conçoit en collaboration avec Knowledge Adventure et DreamWorks Interactive. L’expérience simule le processus de réalisation d'un film et consiste en une succession de séquences que le joueur doit choisir en préproduction, lesquelles sont commentées par les conseils avisés du cinéaste. Une sorte de masterclass interactive donc, censée inspirer de jeunes étudiants, et qui se paye même le luxe d’avoir dans son casting Jennifer Anniston, alors vedette de la série Friends, qui racontera plus tard que le projet était un "truc de dernière minute" : "Je faisais quelque chose à New York, et mon agent m'a appelée pour me dire que Steven m'avait demandée". L’actrice donne la réplique au non moins célèbre Quentin Tarantino qui campe ici le rôle d’un prisonnier dans le couloir de la mort tandis qu’Anniston incarne sa petite amie, lancée dans une folle course contre la montre pour prouver son innocence. Les plus connaisseurs reconnaîtront également les magiciens Penn et Teller et l'actrice Katherine Helmond sur plusieurs plans.

Ce Director's Chair s’inscrit dans une grande tendance des années 90, celle des jeux FMV. C’est dans les salles d'arcade que le procédé puise ses origines. En 1983 précisément, soit la même année que le fatidique krach de l’industrie, Sega sort Astron Belt, un jeu de vaisseau spatial qui tire plusieurs de ses séquences des films A Message From Space et Battle Beyond the Stars. En parallèle, Dragon's Lair, un titre de Cinematronics, impressionne avec ses véritables extraits de films d'animation, bien que son gameplay frustrant et limité lui porte préjudice. D'autres productions comme Space Ace, Cobra Command et Mad Dog McCree élargissent l'offre dans les salles d'arcade. Mais c'est surtout le Mega CD de Sega qui marque un tournant décisif pour la FMV en 1990, l’accessoire offrant aux joueurs la possibilité de tester des jeux consoles sur CD. Les avancées technologiques en matière de stockage et de compression numérique encouragent les développeurs à considérer les vidéos préenregistrées comme une évolution naturelle. Sortent alors les très populaires nanars Night Trap, Phantasmagoria, The X-Files Game et compagnie. Les bons scénarios se faisant trop rares, la tendance meurt rapidement.

Une nouvelle version 20 ans plus tard

Vingt-quatre ans après sa sortie, une fois la fièvre des FMV retombée, le développeur italien Paolo Pedercini (aussi enseignant à l'université Carnegie-Mellon), probablement lancé dans un élan expérimental, met au point une toute nouvelle version de la Steven Spielberg's Director's Chair qui redouble d’interactivité. Le joueur peut cette fois décider en temps réel des actions de Tarantino et d’Anniston, tout en influençant l’ambiance comique ou tragique d’une séquence. L’expérience est cette fois bien plus proche des films interactifs que l’on peut retrouver aujourd'hui sur Netflix, à l’instar de Black Mirror: Bandersnatch. L’acting de Tarantino, lui, n’a néanmoins pas perdu une once de sa singularité. Le magazine Computer Gaming World, qui accorde au jeu original la note de 2,5/5 en la réservant aux "fans inconditionnels de Spielberg seulement", écrivait justement à ce propos :

La raison pour laquelle Quentin Tarantino a été choisi comme l'un des "acteurs" de ce jeu est un mystère... Auteur superbe et réalisateur prometteur, le style idiosyncrasique de Tarantino se retrouve rarement dans son interprétation... Parfois, il est carrément pénible à regarder."

Il serait bien dommage que vous passiez à côté de cette curiosité à l'atmosphère proche de celle de la série Twin Peaks de David Lynch, Pedercini ayant généreusement partagé un lien de sa refonte sur sa page Twitter. “Les images étaient totalement brutes, j'ai dû monter tous les clips, ajouter des sons et de la musique. J'ai également mis à l'échelle les vidéos ultra basse résolution avec un outil d'IA. Projet très stupide, je ne recommande pas”, commente-t-il plus bas.

La Steven Spielberg Director's Chair est loin d’être le dernier coup d’essai du cinéaste en matière de jeux vidéo. Dans les années 2000, l’homme s’associe à Electronic Arts et s’attelle à la création de LMNO, nom de code donné à ce qui consistait en un road trip en monde ouvert accompagné d’un gentil extraterrestre doté de pouvoirs spéciaux. Il s’agissait de cacher cet allié spécial des humains dans une expérience qui mêlait parkour et énigmes. Une sorte d’E.T-like très original mais malheureusement annulé en cours de route. En 2008, Spielberg retente le coup avec EA pour développer Boom Blox, un jeu de fête pour la Nintendo Wii plutôt réussi qui aura droit à une suite, Boom Blox Bash Party, en 2009. Mais sa plus grande contribution au monde du jeu vidéo reste Medal of Honor, une franchise inspirée du film Il faut sauver le soldat Ryan. L’amour de Spielberg pour le jeu vidéo est également visible sur les écrans de cinéma, notamment depuis la sortie de Ready Player One, son adaptation du roman éponyme d'Ernest Cline. Il s'est aussi fortement impliqué dans la série Halo sur Paramount+.